La Presse Pontissalienne 160 - Février 2013

ÉCONOMIE

La Presse Pontissalienne n° 160 - Février 2013

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AGRICULTURE Un phénomène inquiétant

L’union sacrée des A.O.P. fromagères contre les imitations La réussite du comté, du morbier, ou du mont d’or donne forcément des idées à des petits malins qui jouent sur la notoriété d’un produit pour commercialiser des copies trompeuses.

P ire encore que l’attaque exté- rieure certes intolérable mais commercialement compréhen- sible, ClaudeVermot-Desroches à la tête de l’interprofession du comté ou C.I.G.C. trouve inadmissible le com- portement de certains moutons noirs dans la filière du comté. Pour écouler leur stock de lait, des ateliers qui n’ont plus assez de plaques vertes fabriquent un comté qui n’en a pas le nomavec des plaques rouges obligatoires pour tous les fromages français de plus de 10 kg. “On sait que c’est dangereux. Cela me met hors demoi.Ces pratiques sont scan- daleuses.” Le président du C.I.G.C. ne comprend d’autant pas ces écarts dans une filiè- re qui octroie à chaque nouvelle cam- pagne entre 800 et 1 000 tonnes de com- té supplémentaires en plaques vertes. “Sur 10 ans,cela représente près de 9 000 tonnes, soit 100millions de litres de lait. Je ne vois pas la nécessité de transgres- ser les lois ni de faire des imitations.” Le C.I.G.C. compte bien se lancer dans une chasse aux déviants en position de scier la branche sur laquelle ils sont assis et ce qui plus grave, sur laquelle toute une filière s’appuie. “Que le phé- nomène ne soit que marginal n’est pas rassurant et reste préoccupant. L’objectif reste : zéro fromage à plaques rouges fabriqué dans les fromageries à comté.” Le C.I.G.C. a déjà assez à faire avec ces imitations commercialisées sous les dénominations “meule comtoise”,“meu- le franc-comtoise”,“fruité du Jura” qu’on retrouve dans les rayons emballés des discounts alimentaires. Ils sont même à côté des vraies portions A.O.C. com- té. Seule différence et de taille : le prix. Ces imitations coûtent en moyenne 7 euros le kg, soit deux à trois foismoins que le vrai comté. Très difficile de lutter contre ces pro- duits qui surfent en toute légalité aux frontières de l’usurpation et du détour- nement de notoriété. Car à part le nom, difficile de se protéger des faux. Autre nouveauté : le phénomène tend à s’internationaliser pour le comté. Le C.I.G.C. a constitué une “commission imitation ” pour mieux gérer cette nou- velle donne. Il a aussi engagé plusieurs procédures de protection du nom à l’étranger. Notamment au Canada où

Sans citer de noms, le président du C.I.G.C. entend bien ramener à la raison les moutons noirs de la filière comté.

Zoom De la “Morteau sausage” made in Illinois Les I.G.P. en lien avec la filière viande porcine sont toutes confrontées à des problèmes d’imitations. L’interprofession lutte souvent contre des copieurs installés hors de Franche-Comté. L es bonnes choses voyagent bien. Mais de là à découvrir quʼun bou- cher de lʼIllinois propose sur son site Internet de la Morteau sausa- ge, il y avait de quoi en surprendre plus dʼun. “On est en train dʼintervenir sur ce dossier” , indique Véronique Fouks, responsable du service juridique et international à lʼI.N.A.O. La contrefaçon ou lʼimitation se propage désormais à la vitesse dʼInternet. Tous les copieurs ne sont pas forcément fautifs à lʼexemple des producteurs de porc de Franche-Comté qui revendiquent de fait cette nouvelle I.G.P. sans forcé- ment en connaître les modalités. “On a toujours les mêmes soucis avec les I.G.P. saucisse de Montbéliard et saucisse de Morteau avec des opérateurs situés hors Franche-Comté qui continuent à en fabriquer. On est déjà inter- venu quelques dizaines de fois sur des dossiers saucisse de Montbéliard à lʼextérieur de la zone. On observe aussi une évolution dans la manière de pro- céder en utilisant par exemple la mention “façon Montbéliard” , note Romaric Cussenot, directeur de lʼassociation Interporc Franche-Comté. Plus ancienne de quelques années, lʼI.G.P. Saucisse de Morteau nʼest plus copiée pour son nom. La falsification est plus raffinée si lʼon peut dire. Elle porte sur la présence de la fameuse cheville, sur le format, la couleur avec des dénominations du genre saucis- se de montagne franc-comtoise. Le tout sans offrir les mêmes garanties de production que lʼI.G.P. et en général à des prix défiant toute concurrence. Même des restaurateurs se font avoir en proposant dans leur menu de la saucisse de Morteau qui leur a été habilement vendue sous le nom saucisse fumée. Ce qui veut tout et rien dire. Bonne nouvelle, la filière a réussi à faire le ménage en interne après quelques coups fumeux. Croisons les doigts. “On a réus- si à instaurer un code de bonne conduite relativement bien res- pecté”, poursuit Romaric Cussenot. Comme dans les autres interprofessions, le contrôle fait partie des réflexes quotidiens à Interporc Franche-Comté. A la vitesse d’Internet.

L’interprofession du comté ne peut pas grand-chose face à ces produits d’imitation qui jouent habilement sur la confusion et attire le consommateur par des prix très attractifs.

l’on trouve une pure imitation du com- témais qui ne reprend aucun argument de communication. Et plus récemment en Russie contre des fabricants de fro- mages qui utilisent lemot comté ou son approximation “Conté” . Les moyens de défense existent mais tout est plus compliqué à l’international et le règlement des litiges privilégie tou- jours la voie amiable plutôt que l’affrontement judiciaire qui peut s’éterniser. Le comté a déjà eu des combats simi- laires à mener par le passé. Il avait par

sion boîte chaude comme c’est le cas de l’Édel de Cléron. “En terme de protec- tion, on est très peu protégé mis à par le nom” , confirme Michel Beuque, le pré- sident du syndicat du mont d’or. Face à ces menaces qui tendent à se développer, les trois A.O.P. du Haut- Doubs ont préféré se retirer provisoi- rement de lamarque régionale “Un peu, beaucoup, Franche-Comté”. Le temps de digérer la sortie des quotas laitiers et les fleurons de notre plateau de fro- mages rentreront dans le rang.À la dif- férence du comté, la production dumont d’or comme du morbier n’est pas sou- mise à un plan de campagne contin- genté. “Il suffit de mettre une plaque rouge et on peut en produire tant qu’on en veut, à partir du moment où l’on res- pecte le cahier des charges” , se déses- père parfois Claude Philippe qui prési- de l’A.O.P. Morbier. Il se produit encore du fromage à raie noire en dehors de la zone A.O.P. et tout aussi grave des imi- tations en interne. Sur les 42 ateliers de la filière, un a choi- si de commercialiser à l’export une ver- sion pasteurisée en pré-emballé. Pas de quoi réjouir le président. “Les “Fraudes” nous expliquent que le consommateur est assez intelligent pour faire la diffé- rence. J’en doute. On essaie de défendre cette raie noire si caractéristique mais on n’a pas pu la protéger.” Pas question de se laisser usurper sans réagir même si c’est le fait d’opérateurs dans la filiè- re. Les contrôles s’accumulent et chaque produit suspect détecté est soigneuse- ment enregistré et vient “enrichir” les dossiers. Même s’il ne se vend qu’à l’export,ce fauxmorbier pasteurisé sans goût et insipide entre directement en concurrence avec le vrai morbier com- mercialisé sur les marchés étrangers. Une forme de concurrence déloyale tant les conditions de fabrication sont oppo- sées entre la sécurité d’un lait pasteu- risé et les risques posés par un lait cru. Claude Philippe s’inquiète aussi du report de production sur lemorbier fau- te d’avoir assez de plaques vertes com- té. “On craint le parasitisme et l’opportunisme. Quand j’entends “Faire du morbier par défaut”, je n’en suis pas fier. C’est pourquoi on est tous d’accord pour avoir un semblant de plan de cam- pagne morbier.”

exemple obtenu la ces- sation de commercia- lisation du “gruyère de Franche-Comté.” Les autres A.O.P. du Haut-Doubs ne sont pas épargnées. Le mont d’or a ses “doubles” qui repren- nent le principe de la sangle,de la boîte.Sou- vent des fromages au lait pasteurisé qu’on peut aussi déguster toute l’année en ver-

Ces pratiques sont scandaleuses.

On trouve encore assez facilement des saucisses fumées chevillées qui ressem- blent à s’y méprendre à la saucisse de Morteau.

“On est très peu protégé mis à part le nom”, indique Michel

Beuque le président de l’A.O.P. mont d’or.

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