La Presse Pontissalienne 158 - Décembre 2012

L’ÉVÉNEMENT

La Presse Pontissalienne n° 158 - Décembre 2012

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LE HAUT-DOUBS DES “SURVIVALISTES”

Les heures de l’humanité seraient donc comp- tées. Les théories les plus farfelues annoncent la fin du monde pour le 21 décembre 2012. Ce jour- là, l’apocalypse frappera la planète pour la plonger dans le chaos. Rien que ça ! Dans la communauté des Hommes, il y a ceux qui sont convaincus que le ciel va leur tomber sur la tête et ceux qui en pleurent de rire tant cette histoire leur semble ridi- cule. Puis il y a ceux qui ne redoutent pas le néant mais une crise économique et sociale majeure, un événement naturel, un conflit, qui bousculera l’ordre établi de notre société occidentale qui vit au rythme effréné de la consommation. Ceux-là se préparent à faire face à des problèmes d’approvisionnement en denrées alimentaires, à des coupures d’électricité et à des difficultés d’alimentation en eau. On les appelle les “surviva- listes”. La Presse Pontissalienne les a rencontrés.

Dans le Haut-Doubs, un internaute a créé la chaîne de Grunswick qui rassemble un ensemble de vidéos dans lesquelles il se met en scène pour parler de sujets aussi divers que la crise économique ou la manière d’allumer un feu avec de l’amadou. Grunswick, la chaîne du survivalisme MÉDIAS Pontarlier I nternet foisonne de survivalistes qui délivrent des conseils pour survivre à un coup dur. Parmi les blogeurs actifs sur le web , il y a l’animateur de la Chaîne de Grunswick. Cet internaute, vraisemblablement installé dans le secteur de Pontarlier, que nous avons cherché a contacté en vain, poste des vidéos sur You Tube dans lesquelles il parle du surviva- lisme et du bushcraft, un domaine qui regroupe un ensemble de techniques pour survivre en milieu naturel. Grunswick ne spécule pas sur la fin du monde ou l’explosion d’un système qui conduirait à une guerre urbaine. Il ne joue pas sur les peurs. Les vidéos dans lesquelles l’animateur se met en scène à visa- ge découvert, mais sans jamais donner son nom, abordent des sujets très divers qui ont un lien. Au “bistrot du survivalis- me”, il parle de tout. À sa manière, il évoque la crise écono- mique mondiale, le pouvoir des banques ou la mortalité des abeilles.Autant de sujets qui reflètent une forme de décadence du monde dans lequel on vit. Il fait sa propre rentrée littéraire en présentant des ouvrages utiles au survivaliste car ils enseignent la conservation des aliments, la façon de faire un potager, ou de connaître les arbres fruitiers. Selon Grunswick, le survivaliste peut se pré- parer “à des événements peu dramatiques et se constituer une réserve alimentaire pour faire face à une rupture dans la chaî- ne de consommation de la société.” En cas de crise plus longue, le survivaliste a les moyens de vivre “en autarcie alimentai- re.” Pour cela, il doit être capable de se “constituer un potager, un verger, pratiquer la chasse et la pêche.” Il peut aussi, “avec peu de moyens” , élever des insectes comme les grillons pour se nourrir. Caméra au point, Grunswick part en randonnée autour de Pontarlier. L’occasion pour lui de donner des conseils pour sur- vivre en milieu naturel en apprenant par exemple à allumer un feu avec l’amadou, un champignon qui se fixe sur les arbres.

HAUT-DOUBS L’exemple de Philippe Prêt à faire face à un effondrement de la normalité

Cet habitant du Haut-Doubs dispose de six mois de réserves alimentaires dans son bunker. Actuellement, il engrange des connaissances pour maîtriser la culture de la terre. Rencontre avec un survivaliste qui se dit prêt à faire face à une crise qui bousculerait l’ordre établi.

din pour ceux qui ont la chance d’avoir un bout de terrain. “J’ai lamême démarche qu’avaient nos grands-parents. J’acquiers des connaissances qui vont dans ce sens. Pour moi, le survivalisme c’est être capable de faire attention à ce que l’on consomme. Pourquoi acheter dans une grande sur- face des tomates cultivées sous serre en Espagne alors que je peux en faire pous- ser sous mes fenêtres ? Pourquoi ne pas chercher à consommer local ? Je crois qu’on vit une période de fou. On perd la notion de beaucoup de choses. Si on veut que ça fonctionne, il faut peut-être revoir notre train de vie” conseille Philippe. Il va le moins souvent possible au super- marché et plaide pour les filières courtes, du producteur au consommateur. Être autonome sur le plan de la nourriture est une manière d’anticiper d’éventuelles menaces sur l'approvisionnement des magasins. En changeant sa façon de vivre au quo- tidien sans tout révolutionner, cet hom- me estime être capable de faire face à un “effondrement de la normalité” comme une période de chômage longue, un évé- nement climatique, un accident nucléai- re ou un conflit. Le monde peut s’effondrer autour de lui, comme cela arrive ailleurs sur la planète, Philippe sait déjà com- ment il va réagir car il a anticipé la cri- se. Pour la plupart des survivalistes, l’organisation qu’ils déploient doit leur permettre de faire face à une situation critique temporaire. Les armes à feu et les armes blanches font partie de leur paquetage. Même les plus modérés se disent prêts à défendre leur pré carré. Question de sécurité. Ce qui surprend dans cette démarche, c’est son côté égoïs- te et individualiste puisqu’elle répond à la règle du “chacun pour soi.” Et dire que l’avenir de l’humanité tient peut-être dans une boîte de conserve périmée en 2015. C’est moche.

I l a souhaité garder l’anonymat. Nous l’appellerons donc Philippe. En couple, père de famille installé dans le Haut- Doubs un job en Suisse, ce garçon mène une vie normale. Sa différen- ce est son tempérament prévoyant exa- cerbé. Philippe est par nature plus four- mi que cigale : c’est un survivaliste. Par définition, il est donc prêt à faire face à une situation de crise qui menacerait sa vie et celle des siens. S’il le faut, il se réfu- giera dans son abri enterré de l’autre côté de la frontière dans lequel il a de quoi vivre en autonomie. “Il est équipé de six lits et d’une pompe à air. C’est un endroit sec et frais, parfaitement adapté pour stoc- ker des denrées alimentaires” dit-il. Phi- lippe dispose d’environ six mois d’avance de nourriture dans son bunker : boîtes de conserves, pâtes, lait en poudre, eau, pro- duits sanitaires. Un stock qu’il entretient et régénère comme tout bon survivaliste qui se respecte. Mais que peut-il bien redouter pour se protéger ainsi ? La fin du monde ? Non. Il ne fait pas partie de ceux qui s’organisent et s’arment, dans l’espoir de survivre à l’apocalypse qui réduirait la terre à l’état de néant et l’humanité à la barbarie com- me dans le film “La route” de John Hill- coat. Une rupture qui fait froid dans le dos. “Il y a des gens qui attendent cela, qui voudraient que ça pète pour se livrer à une guérilla urbaine. Faire des réserves, cultiver le jardin, avoir un minimum de production, ça ne les intéresse pas. Ils veu- lent se battre. Moi je ne raisonne pas com-

me cela. Je suis plutôt d’une nature opti- miste” affirme Philippe qui ne fantasme pas sur les scénarios catastrophe. D’ailleurs, il ne croit à la date du 21 décembre, le jour où tout doit bascu- ler selon les oracles illuminés. “La gué- rilla urbaine, ce n’est pas du survivalis- me, c’est du crime organisé. Ce que l’on peut redouter en effet, c’est qu’en cas d’effondrement, qui assurera la sécurité des citoyens si l’État n’est plus en mesu- re de le faire ?” interroge Piero San Gior- gio, auteur de deux ouvrages sur le sujet. Chez notre habitant du Haut-Doubs, le survivalisme sonne comme un retour aux sources. Il se réapproprie des habitudes de vie comme en avaient nos aïeuls il y a

encore un demi-siècle.Alors tout devient question de bon sens, et de proximité avec la nature qui l’entoure. Par exemple, cultiver un jardin pour se nourrir, cueillir les fruits, faire des conserves, élever des bêtes, couper du bois pour se chauffer l’hiver, sont quelques-unes des pratiques qu’il plébiscite. Être capable de générer suffisamment de nourriture pour devenir autonome, voilà l’enjeu à relever à une époque où il est plus facile de pousser son caddie dans les rayons d’un supermarché que de s’éreinter à bêcher son jar-

“Revoir notre train de vie.”

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