La Presse Pontissalienne 157 - Novembre 2012

L’INTERVIEW DU MOIS

La Presse Pontissalienne n° 157 - Novembre 2012

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ENVIRONNEMENT Monseigneur André Lacrampe “Nous ne sommes pas dans un désert spirituel” Avant son départ à la conférence des évêques à Lourdes, puis à Rome pour rencontrer le Pape, l’archevêque de Besançon a accordé un entretien à La Presse Pontissalienne. Il commente la baisse de la pratique religieuse et les sujets d’actualité.

De moins en moins de pratiquants, de moins en moins de sacrements, de moins en moins de de vocations. Tel est l’implacable constat de la pratique religieuse dans le diocèse de Besançon. L’Église catholique doit s’adapter. La pratique religieuse est en baisse générale RELIGION CATHOLIQUE Les chiffres du diocèse

P ersonne, dans le diocèse de Besançon, dans le doyenné du Pays Forestier ni même au sein des unités pastorales ne tient de statistique précise sur la fréquen- tation des églises. À part lors d’événements exceptionnels, à l’occasion de certaines cérémonies d’obsèques, les églises du Haut-Doubs sont rarement pleines. Il y a encore trente ans, on esti- mait à 10 % des chrétiens d’un secteur se rendant régulièrement à la messe du dimanche. “Ces chiffres se sont dégra- dés. Selon les secteurs, les chiffres oscil- lent entre 5 et 10 % des baptisés” esti- me le père GeorgesMesnier, le chancelier du diocèse. La faute à qui ? “A la glo- balisation de la sécularisation, de la laïcisation. La société se construit désor- mais sans référence à Dieu” avance le prêtre. Si la pratique est en baisse régulière, les sacrements le sont aussi. En tren- te ans, les statistiques ont fondu com- me neige au soleil (voir tableau plus loin). En ce qui concerne les baptêmes, ils sont passés dans le diocèse de 6 198 en 1980 à 3 361 en 2011, près de deux fois moins en trente ans. “Le baptême est de moins en moins fréquent mais il devient plus une adhésion personnelle. Les parents qui font la démarche s’impliquent vraiment. Tout comme les adultes qui sont plus nombreux qu’avant à demander le baptême. Dans notre dio- cèse, ils représentent entre 100 et 200 baptêmes par an.” Les chiffres sont pires encore pour les mariages : 2 368 unions religieuses ont été célébrées en 1981 sur le diocèse de Besançon, elles n’étaient plus que 713 l’an dernier. “C’est la dégrin-

L a Presse Pontissalienne :Deux ren- dez-vous importantsmarquent votre calendrier cemois-ci :la conférence des évêques à Lourdes début novembre et un séjour à Rome du 11 au 22 novembre. Quels sujets aborderez-vous avec vos homologues et avec le Pape que vous rencontrerez à deux reprises ? Monseigneur André Lacrampe : Il y a bien sûr tous les sujets qui touchent à l’actualité, notamment le projet de loi sur le mariage pour tous. Sur cette question, j’ai déjà fait deux interven- tions. Je continue à demander que s’ouvre un véritable débat dans la société sur cette question importan- te qui ne doit pas se cantonner en un simple débat entre parlementaires, en catimini. Il faut que davantage de citoyens soient en prise avec cette réflexion. L.P.P. : Vous réaffirmez votre opposition à ce mariage pour tous ? M.A.L. : Oui. Et on sent bien que les réactions se multiplient y compris dans le camp politique censé soute- nir ce projet. Les gens prennent conscience de l’ampleur des problèmes que pourrait susciter une telle loi. J’ai envoyé un argumentaire détaillé de nos positions aux parlementaires de la région et je constate que la plupart d’entre eux m’ont fait part de leurs interrogations. Le mariage doit res- ter l’union d’un homme et d’une fem- me et l’égalité que l’on prône ne signi- fie pas pour autant similitude entre les sexes, il y a une vraie nuance. L.P.P. : Quelles autres questions aborderez- vous ? M.A.L. : Ce débat sur le mariage n’est pas le seul que nous abordons actuel- lement. Il y a aussi la question de la fin de vie et des soins palliatifs par exemple. Sur tous ces points, j’ai mis en place dès 2008 un comité d’éthique au sein du diocèse avec des médecins, des juristes, des philosophes et des théologiens, qui nous aident à prendre le mesure de toutes ces réflexions nationales.Nous n’oublions pas le pro- blème de l’emploi avec cette idée de replacer la présence de l’homme dans l’économie. L.P.P. : Le nombre de prêtres est en chute régulière dans le diocèse, comme partout ailleurs. Comment devez-vous réagir ? M.A.L. : La crise des vocations n’est pas nouvelle, elle date des débuts du chris- tianisme il y a deuxmille ans ! Il peut y avoir, et c’est plus grave, une crise de la foi. La question des prêtres est bien réelle mais aujourd’hui, les voca- tions sontmultiples et c’est tantmieux. 13 prêtres actuellement viennent d’autres pays ou d’autres continents dans notre diocèse : duCongo, duViet- nam, de Pologne, de Madagascar ain- si qu’une dizaine de religieux et reli- gieuses. Actuellement, 8 jeunes se forment et se préparent à devenir prêtres, il y a aussi les diacres per- manents, au nombre de 29 dans le diocèse. Je vais en ordonner deux nou- veaux le 3 mars prochain. Et, ce qui est tout aussi important, un bon

golade totale” constate le chancelier, notamment chargé de suivre les sta- tistiques. Le nombre de confirmations est à l’avenant, passant d’un millier au début des années quatre-vingt à 425 en 2011. Dans ce registre peu relui- sant, seules les funérailles religieuses se maintiennent : 4 545 en 1981, 4 216 en 2011. “C’est ce qu’il y a de plus stable…” sourit le père Mesnier. Alors comment enrayer ce phénomè- ne ? Même si l’Église catholique “ne cherche pas à faire du chiffre” poursuit le père Mesnier, elle doit pourtant s’adapter à la baisse de la pratique reli-

la société actuelle. Il doit y avoir une joie de vivre sa foi, c’est cela qu’il faut expliquer à tous. L.P.P. : L’Église fête cette année les 50 ans du concile Vatican II. Est-elle toujours en phase avec la réalité du monde ? M.A.L. : On est loin d’avoir travaillé tous les textes de Vatican II, il faut les amplifier. Les choses ont évolué depuis,au sein de l’Église qui se penche désormais sur d’autres questions com- me le monde des migrants, les sans- papiers, les aides apportées en cas de catastrophes naturelles. Sur tous ces points, l’Église s’implique beaucoup, peut-être discrètement, mais elle s’implique. L.P.P. : Vous entamez votre trentième année en tant qu’évêque,ce qui fait de vous l’évêque le plus “expérimenté” de France. Vous ima- ginez-vous un jour nommé cardinal ? M.A.L. : Pas du tout. Il y a aujourd’hui une internationalisation des cardi- naux et c’est tant mieux. Les six der- niers cardinaux nommés par le Pape sont tous hors d’Europe. Quand on dit croire en une Église universelle, il faut que cela se traduise dans les faits. L.P.P. : Sur un plan plus local, où en est la col- lecte de l’Église qui finance une grande par- tie des dépenses du diocèse ? M.A.L. : À fin septembre, il manquait 560 000 euros pour réunir la même somme que l’an dernier, soit 2,8 mil- lions d’euros. On constate ici que les gens sont de moins en moins nom- breux à donner mais qu’ils donnent plus. L’an dernier, il y a eu 32 250 donateurs. Près de 1 900 donateurs manquent à l’appel par rapport à 2010. Propos recueillis par J.-F.H.

nombre de laïcs qui prennent des res- ponsabilités au sein de l’Église. Notre réflexion actuellement, c’est juste- ment cette diversité des vocations dans l’Église. L’Église a besoin de cet- te dimension universelle. Il faut ouvrir nos cœurs. Bien sûr que nous sommes préoccupés par nos ressources humaines, mais les laïcs sont là. On en a 250 par exemple qui accompa- gnent les funérailles. Il ne faut pas s’enfermer sur la question de la voca- tion des prêtres. L.P.P. : À Rome, vous allez remettre un rap- port sur l’état du diocèse de Besançon. Quels en sont les principaux enseignements ? M.A.L. : Je commence par faire une réflexion sur l’état religieux de la socié- té franc-comtoise dans un contexte d’indifférence religieuse ou de relati- visme. La pratique dominicale est en baisse, le nombre de sacrements aus- si. Je prends acte de cette évolution. Mais je souligne aussi la place de plus en plus importante prise par les laïcs en responsabilité, l’importance du dia- logue interreligieux également. Mal- gré la baisse de certains chiffres, nous

gieuse, à tous points de vue, y compris finan- cier. Le denier de l’Église a encore enre- gistré une baisse d’1,59 % l’an dernier. Cette ressource basée sur les dons des chré- tiens assure 75 % des recettes du diocèse (le reste, ce sont les dons et les legs). Dans ce contexte, selon les représentants du dio- cèse de Besançon, l’Église se doit d’être “vraie, modeste et à l’écoute des gens. L’Église ne baisse pas les bras, elle se doit d’être malgré tout une Église qui vit la chari- té. Dans un contexte où la société n’est plus chrétienne, nous devons essayer de vivre en chré-

670 prêtres en 1980, plus que 210 aujourd’hui.

sommes loin d’être dans un désert spirituel. Près de 9 000 enfants sont actuellement catéchisés dans le diocèse, il y aus- si une vraie présence dans les mouvements de jeunesse. C’est la question de la présence des chrétiens dans la société que je souhaite aborder avec le Pape lors de notre rencontre pro- grammée le 17 et le 19 novembre. Benoît XVI est hanté par l’absence de Dieu dans

“Il doit y a voir une joie de vivre sa foi.”

Monseigneur André Lacrampe est à Rome du 11 au 22 novembre.

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