La Presse Pontissalienne 151 - Mai 2012

SANTÉ 44

La Presse Pontissalienne n° 151 - Mai 2012

LES POINTURES DU C.H.U. Soins palliatifs Régis Aubry, le médecin pétri de philosophie Pionnier des soins

L e professeurAubrymarche sur une ligne de crête souvent inconfortable et doit jongler avec cet étonnant paradoxe : partant du constat que notre société moderne a énormément médi- calisé la fin de vie, des questions essen- tielles comme celle des limites de la médecine ont, du coup, été totalement escamotées. La fin de vie est ainsi deve- nue une discipline médicale en soi dont ce professeur bisontin a fait sa spé- cialité il y a 17 ans. Pourquoi ? “Parce que pour moi, dit-il, la médecine est le dépassement des compétences techniques pour retrouver le dépassement de l’homme. Et comme lamédecine n’a pas trouvé de médicaments contre le savoir, elle repousse toujours plus loin les limites de la vie.” Régis Aubry navigue donc sans cesse aux limites : du savoir, de la vie, de ses propres limites et de cel- le des patients. Tel un habile funam- bule, sans jamais tomber d’un côté ou de l’autre de cette étroite ligne de crê- te. D’ailleurs la discipline du profes- seur Aubry dépasse le strict cadre de la médecine, elle touche à la société tout entière. “On est en plein dans l’éthique confirme le praticien. Et l’éthique est démocratique.” D’où la créa- tion de l’observatoire national de fin de vie qu’il préside depuis sa création début 2010. À ce titre, Régis Aubry a remis, mi-février, le premier rapport de cet observatoire au premier ministre François Fillon. Ce sont bien les progrès de la médeci- ne qui sont à l’origine de ces questions éthiques. “Ces progrès considérables font qu’aujourd’hui on ne guérit pas forcément de toutes les maladies mais on vit le plus longtemps avec” poursuit le P r Aubry. On est là au cœur de sa discipline : l’objectif principal des soins palliatifs n’est pas la guérison, mais le maximum de vie possible. Entre l’acharnement thérapeutique et son contraire, l’euthanasie, c’est là que doit naviguer au quotidien le service du palliatifs en France, Régis Aubry a su imposer cette discipline où la question éthique est au centre des considérations. Contraire- ment aux détracteurs des soins palliatifs, il estime lui que le traitement de la souffrance est au cœur de la médecine, et même à la croisée des chemins de toutes les disciplines.

Le professeur Régis Aubry a remis mi-février

au premier ministre le

premier rapport de l’observatoire

national de la fin de vie qu’il préside.

créé en 1992, depuis 16 ans. D’une capa- cité d’accueil de 4 lits au départ, le ser- vice s’est agrandi et propose aujour- d’hui une quinzaine de lits autonomes couplés avec le centre d’évaluation et de traitement de la douleur. Une dizai- ne de lits ont été également créés sur le site de Belfort-Montbéliard. La psychologie joue un rôle capital dans ce service fréquenté par des personnes qui, se sachant condamnées, posent aux équipes soignantes la question cen- trale du sens de la vie et de la pour- suite des traitements. “Un patient qui rentre ici sait que la visée principale des traitements n’est pas la guérison mais la qualité de la vie.” C’est donc bien de vie qu’il s’agit avant tout ici. Car près de la moitié des patients ne décéderont pas dans le service. Autre paradoxe de ce service si différent des autres : c’est souvent en fin de vie que les patients investissent le mieux pos- sible ce qui leur reste de potentiel de vie. En ces lieux, la joie ou la sérénité ne sont donc pas totalement absentes… Le travail en équipe est fondamental. Car ici les patients ne ménagent pas le personnel et “la parole d’une aide- soignante est souvent primordiale” ajou- te le chef de service. Un groupe de paroles est en place, avec quatre psy- chologues ainsi qu’un système d’équipes mobiles de soins palliatifs composées de deux médecins, un psychologue et une infirmière. Leur rôle est de venir épauler les soignants dans les centres hospitaliers, hôpitaux locaux et mai- sons de retraite de la région. “Le rôle de ces sept équipes mobiles est d’aider les soignants à soigner. Un des enjeux très forts de ces équipes est d’être les leviers de l’acculturation palliative” ajouteM.Aubry. La formation desméde- cins à la culture du soin palliatif est une des priorités actuelles. “Je dirige une équipe universitaire de recherche composée de philosophes, de sociologues et demédecins sur cette question éthique.” Comme la médecine moderne avait fabriqué de l’acharnement thérapeu- tique, le législateur s’est penché sur cette épineuse question. La loi Léo- netti, votée en 2005, n’autorise pas l’euthanasiemais interdit l’acharnement thérapeutique. Euthanasie, le mot est lâché, il revient dans le débat à chaque échéance électorale. Régis Aubry en a l’habitude. Lui qui est confronté tous les jours à cette question évite évi- demment de tomber dans le débat idéo- logique. “Dans le service, 90 % des demandes d’euthanasie disparaissent quand on discute avec le patient. ” D’aucuns estiment que cette loi doit

évoluer, lui répond qu’elle suffit à répondre à bon nombre de questions. “Si on met en œuvre la loi Léonetti, il n’y aura plus de demandes d’euthanasie. Dans le service, on traite les douleurs non contrôlées, on retire aux patients la vision apocalyptique de la fin de vie qu’ils ont parfois et on leur fait com- prendre qu’ils ne sont pas une charge” estime Régis Aubry. Fort de son expérience, le professeur bisontin est le coordinateur national

du plan “soins palliatifs 2008-2012” dont un des objectifs est de permettre l’égalité de l’accès aux soins palliatifs en France, de développer la formation et la recherche et de financer un congé d’accompagnement de 21 jours rému- nérés pour les familles. À Paris, il pré- side aussi l’observatoire national de la fin de vie. Ce rythme de travail le fait naviguer sans cesse entre Besançon et Paris - “Je suis un jour sur deux à Paris” - et soutient aussi les initiatives de

Maisons de vie, semblables à celle qui fonctionne depuis l’an dernier à Besan- çon. Ces lieux “sont une alternative entre le domicile et l’hôpital qui contri- buent à donner du sens à la vie de ces patients” estime le professeur Aubry, qui a doublé ses études de médecine d’un doctorat de philosophie. Un pied dans la médecine, l’autre dans la phi- losophie, il cultive toujours cet art sub- til de l’équilibriste. J.-F.H.

professeur Aubry qui s’acharne à “diffuser la culture palliative dans tous les champs du soin.” La mission principale du service de soins pal- liatifs au C.H.U. de Besançon, c’est d’accueillir les situations les plus complexes. “Les douleurs non contrôlées ou encore les souffrances morales peuvent se manifester par une demande d’euthanasie. Il est évident que le plus difficile pour nous est de faire face à la souffran- ce des patients.” Régis Aubry dirige ce service

“La parole d’une aide- soignante e st souvent primordiale.”

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