La Presse Pontissalienne 150 - Avril 2012

PONTARLIER ET ENVIRONS

La Presse Pontissalienne n° 150 - Avril 2012

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HISTOIRE

Des anciens combattants témoignent

Ils se souviennent, l’Algérie… Ils avaient à peine plus de vingt ans quand on les a envoyés sur le front algérien. Ces Pontissaliens aujourd’hui septuagénaires racontent leur guerre.

L eur visage alterne entre sou- rires et gravité. Leurs souve- nirs entre anecdotes légères et drames enfouis. Comme tous les autres Français envoyés de l’autre côté de la Méditerranée pour “main- tenir l’ordre” , ils ne savaient pas bien ce qu’on attendait d’eux. “À 20 ans, on n’était pas mécontents de partir” note le Pontissalien Marcel Bianqueti pour illustrer l’insouciance de ces jeunes soldats dont certains auront passé plus d’un an enAlgérie. D’autres, à l’image de Camille Martin, ont été rappelés là-bas. “J’ai fait mon servi- ce militaire en Autriche pendant un an, puis six mois en France. La quille est arrivée en avril 1954 et en mai 1956 on me rappelait pour partir en Algé- rie !” dit le retraité pontissalien. “On venait de se marier” ajoute discrète- ment son épouse Ginette. Pour tous, ce fut donc la surprise et la découverte d’un conflit qui les dépas- sait. Les premiers appelés l’ont été en 1954, au sortir de la guerre d’Indochine, les derniers après les accords d’Évian du 19 mars 1962 aux moments terribles des attentats per- pétrés par l’O.A.S. Certains de ces Pontissaliens étaient postés au plus

près des conflits, dans le djebel algé- rien. D’autres, plus loin, à l’image d’Alain Barthe qui aura passé 8 mois tout au Sud de l’Algérie, “la région du pétrole et des essais nucléaires fran- çais” en tant que responsable de la poste d’un village du Sahara. Il était également chargé de payer leurs pen- sions de retraites aux anciens com-

battants algériens qui étaient aux côtés de la France en 39-45. Il a connu la dernière pério- de de la guerre d’Algérie. “On n’avait pas le choix, il n’y avait pas à discu- ter dit-il lui aussi. Un mot de trop et on nous envoyait en arrêt de for- teresse à Bitche en Mosel- le.” Appelés dans l’innocence de leurs vingt ans, tous ces jeunes avaient pour- tant été “conditionnés poursuit M. Barthe. On était dans l’esprit de nos parents qui avaient fait 39-45 avec l’esprit de patrie. Jamais on n’aurait envisagé de ne

“On tirait, on n’avait pas le choix.”

De gauche à droite, Alain Barthe, Marcel Bianqueti, Michel Arrigoni, Pierre Barthod, Camille Martin et Michel Bez. Tous ont combattu en Algérie.

bas, alors on y est allé” ajoute Michel Arrigoni qui a passé un an en Algé- rie, entre 1958 et 1959. C’est une fois sur le sol algérien que ces jeunes appelés ont vite pris conscience de la réalité de la guerre. Sans pour autant en saisir les enjeux. “On n’avait aucune information sur l’évolution du conflit” dit Marcel Bian- queti. “En France, le gouvernement changeait tous les trois jours, c’était incompréhensible. Et pas sûr qu’on comprenne tout encore aujourd’hui” ironise Alain Barthe. Michel Bez, lui, sera resté deux ans là-bas. De quoi engranger des souvenirs qu’il garde pourtant bien enfouis, et qu’il a eu peu l’occasion de raconter dans sa vie, comme ses camarades d’ailleurs. Pier- re Barthod, autre Pontissalien, était en Algérie de septembre 1958 à juin 1959. 28 mois de service militaire dont 10 en guerre. Il était chargé de surveiller les “zones d’insécurité”. “Il pouvait se passer six mois sans aucun accrochage et tout d’un coup, notre lieutenant a été tué par une grenade.” La mort, ils l’ont donc tous vu en face, ou à côté. “Dans une embuscade, on a perdu une douzaine de nos camarades” raconte Camille Martin. Là aussi, le culte du silence et de la discrétion prévalait. “Quand il y avait un mort,

pas faire notre service militaire. De toute façon c’était obligatoire pour celui qui voulait faire un concours de l’administration” précise l’ancien pos- tier. “On nous a dit il faut aller là-

les gendarmes venaient au domicile des parents à la tombée de la nuit en demandant de ne pas ébruiter les choses. “Vous voulez qu’on rapatrie le corps en France ? Alors ne dites rien” disait-on aux parents” poursuit Alain Barthe. Cette chape de silence a duré pendant tout le conflit. Le silence, ces Pontissaliens tentent de le briser 50 ans plus tard, même si, reconnaît M.Arrigoni, “on n’a jamais eu envie d’en parler et on ne le fait jamais.” “Nos proches n’ont même jamais su ce qu’on était allé faire là- bas” ajoute Michel Bez. La plupart d’entre eux ont eu à se ser- vir de leur arme. “On tirait, on n’avait pas le choix non plus” lâche un de ces anciens combattants. “Dans certaines situations, c’était le gars en face, ou moi. Alors quand on est derrière un mur et qu’on voit bouger, on tire” ajou- te cet autre Pontissalien le regard encore troublé. La guerre d’Algérie aura fait 30 000 morts côté français, sur 1,340 million de jeunes Français appelés là-bas. Du côté algérien, le bilan est beaucoup plus lourd : plus de 500 000 victimes, civiles ou militaires. Pour quel résul- tat ? Les Pontissaliens témoins de ce conflit se le demandent encore. J.-F.H.

Zoom Anciens d’Algérie, deux visions du souvenir C es six anciens combattants pontissaliens appartiennent à la F.N.A.C.A. (Fédération nationale des anciens combattants en Algérie, Maroc et Tunisie). Cette fédération créée en 1958 sʼest donnée pour objec- tif de défendre les droits matériels et moraux de tous ceux ayant pris part à la guerre d'Algérie et aux combats du Maroc et de Tunisie (1952-1962) et dʼagir en faveur de la Paix en commémorant la date du 19 mars 1962, le cessez-le-feu ayant mis fin officiellement à la guerre dʼAlgérie. Une autre association, lʼU.N.C., plaide pour une autre date de commémora- tion du conflit, estimant que le 19 mars 1962 nʼa pas mis fin aux massacres. Les anciens combattants de lʼU.N.C. ont obtenu de Jacques Chirac une nou- velle date de commémoration, le 5 décembre, devenue journée nationale dʼhommage aux morts pour la France pendant la guerre dʼAlgérie. La F.N.A.C.A. maintient sa position en faveur du 19 mars.

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