La Presse Pontissalienne 142 - Août 2011

LE PORTRAIT

La Presse Pontissalienne n° 142 - Août 2011

35

FRASNE

Un savoir-faire menacé

Tailleur de pierre et fier de l’être

Emmanuel Vitte est passé par les rangs du compagnonnage pour apprendre son métier de tailleur de pierre. Ce savoir-faire d’excellence mériterait selon lui un peu plus de considération.

Emmanuel Vitte a appris le métier chez les compagnons.

N ul n’est prophète en son pays. Ce tailleur de pierre installé à Frasne depuis 1989 s’étonne par exemple de n’avoir pas été consulté par sa commune sur le projet de rénovation de l’église. “En règle générale, il n’y a pas de lot “taille de pierre” dans ce type d’opération.Tout est noyé dans le lot maçonnerie. Dès qu’il y a une pierre à changer, la com- mune semble ignorer qu’il existe sur son territoire deux entreprises spéciali- sées dans ce domaine” déplore celui qui approche de la cinquantaine. On sait combien les artisans apprécient de pou- voir de temps en temps de pouvoir tra- vailler sur place. Des entreprises d’envergure nationale règnent sans par- tage sur le marché des monuments his- toriques, ne laissant que quelques miettes aux petits. “Il n’y a aucune soli- darité dans la profession, c’est plutôt le contraire” , regrette l’artisan réaliste mais pas découragé. Le travail ne manque pas et l’envie est

service militaire au camp de Mourme- lon sous les ordres de l’adjudant Cha- nal. Réfractaire à toute forme d’autorité, on finit par le caser aux écuries com- me moniteur d’équitation. Ce qui lui laisse le temps d’assouvir sa passion du cheval. Le retour à la vie civilemarque le début des grandes migrations au fil des chan- tiers à Marseille, Lyon, Besançon, en Suisse. Après le coup de foudre senti- mental à Villers-le-Lac où il rencontre sa future épouse, le tailleur de pierre implante finalement son atelier à Fras- ne. “On travaille avant tout du calcai- re dur, très peu de granit car on n’est pas équipé pour. Ce n’est pas toujours facile de trouver de la bonne pierre. Les carriers ont tendance à se garder les meilleurs blocs. On va parfois s’approvisionner en Croatie ou en Espagne. On commence aussi à trouver sur place dumatériau intéressant com- me àMignovillars,Montfort, Quingey.” L’artisan taille tout ce qui peut être taillé. Son champ d’action s’étend de l’évier à l’escalier monumental en pas- sant de temps en temps par la sculp- ture. On lui doit par exemple la fon- taine de Valdahon située près de la Maison des services ou la statue de la Vierge à la chapelle de l’Espérance à Pontarlier. “Le problème de la sculptu- re, c’est la casse. On peut remettre en cause des mois de travail au moindre coup de travers.On subit aussi la concur- rence des machines à sculpter à com- mande numérique. Le résultat n’est pas excellent, loin s’en faut. Le coût varie du simple au triple entre le fait main ou l’industriel.” Massette enmain,Manu est un as.C’est

intacte. Originaire de Saint-Dizier, “Manu” s’intéresse depuis l’enfance aux ouvrages monumentaux enpier- re : pont, château, cathédrale. Après un C.A.P.-B.E.P. en maçonnerie,il s’engage à l’âge de 18 ans chez les compagnons pour se spécialiser dans la taille de pierre. Il y restera cinq ans jus- qu’au “grade” d’aspirant compagnon. Il effectue ensuite son

Il craint de voir sa profession disparaître.

un peu moins vrai quand il se retrou- ve dans la peau du patron avec 10 sala- riés à gérer. “C’était catastrophique. On est allé jusqu’à la liquidation pour repar- tir sur une nouvelle structure.” Quand Damien et Marie le sollicitent il y a quelques années pour apprendre le métier, l’artisan échaudé leur propose de partager son atelier sous réserve qu’ils se mettent à leur compte. “Du coup, j’ai pris un apprenti. À deux, on fait plus de chiffre qu’à 10. C’est plus pertinent de fonctionner sur ce schéma, de se développer par l’apprentissage.” À défaut des monuments historiques, le compagnon tailleur se positionne dans l’habitat bourgeois.Ce qui lui ouvre de belles perspectives, surtout quand on lui confie la rénovation complète d’une belle demeure. “On m’a deman- dé récemment de restaurer un superbe escalier monumental à double entrée.” Pas du tout inquiet pour sa fin de car- rière, Manu craint de voir sa profession disparaître petit à petit. Ou tout du moins le savoir-faire artisanal tel qu’il l’a appris et se charge de le transmettre. “C’est regrettable en France de voir l’importance du commercial sur un pro- duit. On devrait taxer la machine qui amis des hommes au chômage.Avec ces machines à commandes numériques, on est en plein dans cette logique-là.” Emmanuel Vitte n’est peut-être pas toujours ravi de la tournure des évé- nements. Personne ne lui enlèvera le plaisir, pour ne pas dire la fierté res- sentie en passant au pied de la cha- pelle de l’Espérance. “Je sais qu’il res- tera quelque chose quand j’arrêterai.” F.C.

Made with FlippingBook - Online Brochure Maker