La Presse Pontissalienne 138 - Avril 2011

La Presse Pontissalienne n° 138 - Avril 2011

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INTERVIEW Le scientifique Vincent Bichet éclaire le débat “Ils cherchent du pétrole, pas du gaz de schiste !” Géologue à l’Université de Besançon, le Pontissalien Vincent Bichet met en garde contre les interprétations et annonces trop hâtives. Attention, selon lui, à ne pas confondre ce que les pétroliers recherchent en Ardèche et dans le Jura.

POLITIQUE Se sont-ils emballés trop vite ? “Notre boulot était d’alerter” En février, les écologistes lâchaient une bombe en parlant de “gaz de schiste” dans le Haut-Doubs. Depuis, elle s’est désamorcée. Était-ce un coup politique avant les cantonales ? Réponse de François Mandil, élu d’Europe Ecologie-Les Verts. Rendez-vous le 18 avril.

Entre 1934 et 1936, le sous-sol de Sainte- Colombe avait été exploré. Le pétrole n’a pas coulé à flot.

D ans la brèche du gaz de schiste potentiellement exploitable dans le Haut-Doubs, François Man- dil s’y est engouffré le pre- mier évoquant sur son blog de campagne (au mois de février) les conséquences désastreuses qu’un tel chan- tier aurait sur les nappes phréatiques et sur l’eau en général. L’alerte, il l’a donnée après que des écologistes qué- bécois aient interpellé José Bové sur les permis d’exploration accordés en France et dans le Jura à Cel- tic Energy. Le célèbre alter- mondialiste deMillau a ensui- te contacté la cellule E.E.L.V. duHaut-Doubs pour les infor- mer à son tour sur le danger du “gaz de schiste qui guet- tait notre territoire.” E.E.L.V. a fait son boulot en montant rapidement au créneau, aler-

non démocratique de ces per- mis de construire accordés de manière cachée par l’État. C’est inquiétant.” Depuis cette annonce relayée par les médias nationaux, reprise par le Parti socialis- te du Haut-Doubs, François Mandil a mis de l’eau dans son vin : “Mi-mars, j’ai écrit un deuxième papier sur mon blog de campagne en disant que l’on pouvait être rassuré car il est peu probable que la compagnie vienne chercher du gaz de schiste. Mais nous restons vigilants !” Un collectif va se réunir pour échanger et informer le lun- di 18 avril (en soirée) à la sal- le Morand de Pontarlier. Sur ce sujet de l’énergie fossile, les militants ont fait leur bou- lot : ils préfèrent prévenir que guérir. E.Ch.

tant les médias. Un peu vite peut-être car la probabilité que des compa- gnies pétrolières exploitent ce gaz de schiste est quasi nulle dans notre sous-sol selon les experts (lire par ailleurs). Y aurait-il eu un effet d’annonce ou une récupéra- tion politique quelques semaines avant les élections cantonales ? “Non” se défend François Mandil. Il ajoute : “Oui, on a crié au loup et

L a Presse Pontissalienne : Le sous-sol du Haut-Doubs deviendra-t-il la future mine d’or des pétroliers ? Vincent Bichet : Le Jura a été la cible des pétroliers jusque dans les années 1980 avec des forages vers Nozeroy, dans le Risoux ou sur le Laveron (lire par ailleurs). Les pétroliers y cherchaient du pétrole et du gaz conventionnels. Les résultats se sont avé- rés négatifs même si notre sous-sol recèle théori- quement de bons pièges - avec des anticlinaux - où il est envisageable d’exploiter gaz ou pétrole par forage “traditionnel” sans avoir recours au proces- sus de fracturation artificielle (N.D.L.R. : technique utilisée pour aller chercher le gaz de schiste). L.P.P. : Vous ne parlez donc pas de gaz de schiste alors que les politiques (Europe Écologie-Les Verts ou le P.S.) sont mon- tés au créneau en dénonçant ce processus aux conséquences catastrophiques sur l’environnement. Ont-ils crié au loup trop vite ? V.B. : Je ne dénigre pas les prises de position des poli- tiques, leur vigilance est légitime mais attention à ne pas faire l’amalgame entre ce qui est envisagé en Ardèche et ce qui peut se faire dans le Jura. La géologie est différente. Ici, il y a potentiellement du gaz et du pétrole conventionnels plus faciles et moins chers à exploiter que les non-conventionnels. C’est la cible prioritaire des prospections annoncées par les pétroliers. Le potentiel gaz de schistes est beau- coup plus incertain dans le massif jurassien, même si le socle dumassif pourrait contenir quelques gise- ments. L.P.P. : L’exploitation de gaz ou de pétrole conventionnels a- t-elle des conséquences écologiques plus faibles ? V.B. : Un forage n’est jamais sans conséquences envi- ronnementales et je ne dis pas que c’est mieux ou moins bien : je demande juste que l’on donne à la population toutes les informations… Je n’ai aucun conflit d’intérêt, je ne travaille pas pour les pétroliers !

Avec un baril à 115 dollars et les problématiques géopolitiques actuelles, le moindre gisement susci- te de l’intérêt. L.P.P. : Des milliers de barils pourraient être alors produits. À quelle profondeur faut-il forer ? V.B. : Ce ne sera jamais de gros gisements, même s’il y a un potentiel entre 1 500 et 2 500 mètres de pro- fondeur. L.P.P. : Combien de pétroliers sont intéressés par notre sous- sol ? V.B. : Trois compagnies principales se partagent les permis attribués sur le massif du Jura (France et Suisse). Celtique Énergie Petroleum possède le per- mis d’exploration dit de Pontarlier. L.P.P. : Le sol va donc bientôt être percé ? V.B. : Le permis d’exploration de Pontarlier est déli- vré pour 5 ans. Si des forages de reconnaissance sont envisagés, ils seront sans doute réalisés dans ce délai. Mais la première étape consiste à réinter- préter toutes les données anciennes, en particulier les prospections sismiques avec les moyens infor- matiques d’aujourd’hui. L.P.P. : S’il n’y a pas de forage dans l’immédiat, que feront-ils ? V.B. : Pour préciser les cibles de forage, ils feront sans doute des prospections sismiques au moyen de camions vibreurs. L.P.P. : Ces ondes sismiques ont-elles des conséquences sur l’environnement ? V.B. : Non, absolument aucune. Ce type d’étude sis- mique est courant et vient par exemple d’être réa- lisé à Morges (en Suisse) non loin des habitations, sans aucune nuisance. L.P.P. : Quelle est la position du scientifique que vous êtes ? V.B. : Le scientifique est intéressé mais le citoyen est hésitant et vigilant ! Je suis un farouche militant pour l’abandon progressif des énergies fossiles.Mais je suis réaliste quant à la durée nécessaire à cet abandon.Tant que l’on reste dans le conventionnel, avec les contrôles environnementaux en vigueur en France, pourquoi pas. L.P.P. : A quoi ressemblerait le Haut-Doubs si l’exploitation était autorisée ? Pontarlier, un nouveau Koweït ? V.B. : L’exploitation n’est pas pour aujourd’hui. Si l’exploration s’avère positive, alors l’État devra auto- riser ou non l’exploitation. Mais le Koweït certai- nement pas ! Cela fait 40 ans que l’on exploite du pétrole en Alsace ou en Aquitaine avec des instal- lations discrètes et a priori sans préjudice majeur pour l’environnement. Restons toutefois vigilants, les techniques pétrolières évoluent et sont de plus en plus offensives ! Propos recueillis par E.Ch.

j’assume. C’est le lot de tout mili- tant que d’alerter car personne n’était au cou- rant ! Je rappel- le que nous ne sommes pas des spécialistes. Notre volonté était de démon- trer le caractère

“On peut être rassuré.”

“Un forage n’est jamais sans consé- quences.”

L.P.P. : Justement, on a l’impression que ces informations sont secrètes ! V.B. : Elles ne sont pas secrètes,mais il faut aller les chercher, c’est vrai. Je vous invite à vous rendre sur le site du bureau d’exploration-pro- duction des hydrocarbures (B.E.P.H.). Dans le bulletin de sep- tembre 2010, le permis de Pontar- lier était écrit noir sur blanc. L.P.P. : Pourquoi les compagnies pétro- lières reviennent-elles à la charge trente ans après avoir exploré notre sous-sol ? V.B. : Les moyens de connaissance du sous-sol se sont beaucoup amé- liorés depuis l’époque des premières explorations dans le Haut-Doubs.

Si l’écologiste François Mandil se dit “rassuré”, il dénonce un processus “non démo- cratique” d’obtention des permis d’exploration.

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