La Presse Pontissalienne 128 - Juin 2010

ÉCONOMIE

La Presse Pontissalienne n° 128 - Juin 2010

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HORLOGERIE Un Français grand patron en Suisse “Nous étions tombés

dans une euphorie excessive” François Thiébaud est un des rares Français à diriger une entreprise horlogère en Suisse. Depuis 1996, il préside aux destinées de la marque Tissot. Il fait partie du cercle très fermé du directoire du Swatch Group, premier groupe horloger mondial avec un portefeuille de 20 marques horlogères, de Swatch à Breguet, et près de 25 000 collaborateurs dans le monde.

L a Presse Pontissalienne : La crise que traverse l’horlogerie depuis deux ans n’a pas semblé avoir eu d’emprise sur la marque. Comment expliquez-vous cette exception ? François Thiébaud : Depuis 1996 que je dirige lamarque,Tissot a en effet connu 14 ans de croissance ininterrompue, y compris en 2009. Nous sommes, avec Longines, les deux seules marques du groupe Swatch à avoir été positives en 2009. Plusieurs facteurs expliquent le succès de Tissot. D’abord c’est une marque qui a toujours fait preuve d’innovation. En 1930 déjà, Tissot sor- tait la première montre anti-magné- tique. Nous avons inventé, dix ans avant l’I-Phone, la technologie tactile avec la “T-Touch” sortie en 1999. Tis- sot a sorti la montre plastique méca- nique dix ans avant la Swatch. Nous avons utilisé d’autres matériaux com- me la pierre (la “rockwatch”) ou le bois pour nos montres. L’innovation s’est toujours faite aussi dans la façon de présenter nos pro- duits, avec un marketing et une com- munication très poussés. Malgré tout cela, nous n’avons jamais perdu le côté traditionnel de la marque. Nous appar- tenons à un terroir et le respect de la tradition horlogère est fondamental. Enfin,Tissot a toujours fait des montres à des prix raisonnables. Beaucoup de marques ont augmenté leurs prix ces dernières années mais parfois la cher- té ne fait pas la rareté… L.P.P. : La crise est due à un certain emballe- ment duquel on semble revenir ? F.T. : Nous étions en effet tombés dans une euphorie excessive. On s’aperçoit aujourd’hui qu’on n’a plus forcément besoin de changer de téléphone ou de montre tous les six mois ou tous les ans, on a oublié qu’il fallait prendre le temps de respirer, de vivre. Ce “ralen- ti” économique nous a fait prendre conscience qu’une mauvaise année, comme pour un agriculteur à cause des conditions météo, peut arriver. Nous avons eu une grosse “grêle” dans notre système économique. Les gens ont alors privilégié leur vie au quoti- dien (et leurs vacances), ils ont donc remis d’autres achats comme la télé ou la montre à plus tard. Et grâce à

Internet, ils se sont mis aussi à com- parer les prix et ont découvert cer- taines vérités. L.P.P. : Que par exemple les montres Tissot présentaient un excellent rapport qualité- prix… F.T. : Peut-être se sont-ils dits “pour- quoi mettre plus cher alors qu’avec Tis- sot, j’ai une vraie montre suisse à un prix raisonnable ?” Sans doute que nous avons bénéficié de cette période de crise en effet. La première montre traditionnelle accessible avec la répu- tation suisse, c’est Tissot. L.P.P. : Comment se porte la marque au-delà des frontières suisses ? F.T. : Sur 17 pays européens dans les- quels nous avons une filiale, 11 ont été positifs en 2009, dont la France avec + 16 %. Six ont été négatifs, dont l’Italie et l’Espagne. En Amérique du Nord, le Canada a été positif, nous avons per- du aux États-Unis et au Mexique. Enfin, en Asie, nous avons profité de la montée en puissance des pays dits “émergents”. Nous sommes positifs dans 10 pays sur 11. Seul le Japon, pays très difficile qui a ses propres marques réputées, a été négatif. L.P.P. : Dire que Tissot est positionné sur le moyen de gamme n’est pas péjoratif à vos yeux ? F.T. : Pas du tout. Avec des prix publics situés entre 150 et 700 euros, nous sommes bien dans le milieu de gam- me et nous n’avons surtout pas la pré- tention d’être sur le haut de gamme.

L.P.P. : Combien de personnes emploie Tis- sot ? F.T. : Nous employons 300 personnes sur notre site historique du Locle et près de 3 000 personnes avec les socié- tés que nous faisons travailler locale- ment. Dans le monde, nous avons le plus grand réseau de distribution hor- logère parmi les marques suisses, avec 16 000 points de vente. En Suisse, nous avons vendu 160 000 montres l’an der- nier avec un réseau de 480 points de vente, plus important que le réseau de Swatch. Pour le monde, nous en avons exporté plus de 2,2 millions. L.P.P. : Pourtant la production ne se fait pas dans votre site du Locle ?… F.T. : Au Locle, c’est en effet le centre logistique, de développement des pro- duits, les services achats, vente, mar- keting et informatique. Nos principaux centres de production sont dans le Tes- sin et dans le Jura suisse, à Porren- truy. L.P.P. : La production ne se fait pas dans le canton de Neuchâtel parce les salaires sont plus bas au Tessin ou dans le Jura ? F.T. : Pour une main-d’œuvre non qua- lifiée, au 1 er janvier 2010, les salaires minimaux sont de 2 500 F.S. au Tes- sin, 3 183 F.S. dans le Jura et 3 500 F.S. dans le canton de Neuchâtel. L.P.P. : Comment se présente l’année 2010 ? F.T. : C’est très bien parti pour nous avec des augmentations supérieures à 20 %. Pour l’horlogerie en général, ça semble aller mieux aussi. L.P.P. : L’horlogerie sort donc de la crise ? F.T. : La crise est apparue fin 2008 et depuis, l’horlogerie a connu 14 mois de baisse. Pour les grosses commandes (Noël 2008, Noël 2009), les entreprises ont puisé dans leurs stocks et aujour- d’hui, on assiste à la reconstitution de ces stocks. C’est cela qui génère cette légère reprise.À fin mars 2010, on pen- sait arriver au niveau des années 2006- 2007. L’horlogerie en général va retrou- ver un niveau comparable à 2008. L.P.P. : Et le Swatch Group qui représente envi- ron 30 % de l’horlogerie suisse ?

François Thiébaud préside la manufacture Tissot depuis 1996.

Zoom François Thiébaud, du Haut-Doubs au Swatch Group L e patron horloger a suivi des études juridiques et commerciales à lʼUniversité de Besançon et à lʼI.C.G. de Paris avant de se diriger vers lʼhorlogerie où il est appelé pour ses compétences commerciales par la marque Rectus-Hora qui employait alors près de 100 personnes à Morteau. La crise du quartz et le déclin de lʼhorlogerie française amènent le Bisontin à traverser la frontière en 1979. Le propriétaire de la marque Breitling lʼappelle pour relancer la marque suisse alors à lʼagonie. Pari réussi. En 1993, il est approché par le groupe Asia Commercial, propriétaire des marques Juvénia et des marques sous licence Léonard et Montana, avant dʼêtre “débauché” en mars 1996 par Nicolas Hayek en personne, président du Swat- ch Group, qui le propulse directement président du “paquebot” Tissot. Quand François Thiébaud reprend la direction générale de Tissot en 1996, la marque suisse vend alors 840 000 montres par an. En 2009, Tissot a écoulé 2,545 millions dʼexemplaires dans le monde. En 2010, les ventes devraient osciller entre 2,8 et 3 millions de pièces. Tissot réaliserait à lui seul plus de 400 millions dʼeuros de chiffre dʼaffaires. François Thiébaud a été décoré de lʼordre national du mérite.

La force du SwatchGroup est justement d’être orga- nisé sous une forme pyra- midale, avec une base soli- de qui est la marque Swatch, et une forme pyramidale progressive jusqu’au haut de gamme avec Breguet, en passant par Oméga et Longines. D’autres groupes qui ont tout misé sur le luxe et le haut de gamme ont peut-être fait une erreur d’organiser leur straté- gie sur la base d’une “pyramide inversée”.

“C’est un travail colossal.”

François Thiébaud est aussi le président des expo- sants suisses au salon de Bâle et vice-président de l’A.M.S. (Association des fabricants d’horlogerie). Dans cette fonction, il a initié la formation de Conseiller(ère) de Vente en Horlogerie, aujourd’hui assurée au Locle et à l’issu de laquelle les étudiants reçoivent un brevet fédéral.

Désormais chaque année, plus de 2,5 mil- lions de montres transitent par le siège de l’entreprise Tissot, basé au Locle. Une des plus

F.T. : Le groupe s’en est plutôt mieux tiré. En 2009, le Swatch Group était en baisse (pour l’horlogerie) de 7,7 % par rapport à 2008 alors que les expor- tations horlogères suisses (chiffres communiqués par la Fédération Hor- logère) accusaient une baisse de 22,3%. Le Swatch Group avait fait le choix de bloquer les salaires mais de gar- der tout son personnel. Il n’a procédé à aucun licenciement. L.P.P. : Vous qui résidez entre Neuchâtel et Besançon, que pensez-vous des relations franco-suisses ? F.T. : Besançon et Neuchâtel sont deux villes jumelées distantes de 110 km. Si on avait fait des autoroutes com-

me cela a été fait en Bretagne après le passage du Général De Gaulle (qui avait été stupéfait de l’enclavement de la Bretagne), les deux villes seraient à une heure l’une de l’autre. Les Bison- tins iraient au lac de Neuchâtel en une heure et les synergies entre les deux villes seraient bien meilleures, notam- ment concernant l’Université, la chro- nométrie, les sciences médicales… Il y a le même terrain de la microméca- nique et de la précision entre les deux villes. Un Bisontin est plus proche d’un Neuchâtelois que d’un Bourguignon, et qu’un Neuchâtelois d’un Bernois. On doit absolument travailler ensemble, très en amont, dès la formation. Propos recueillis par J.-F.H.

importantes plateformes

logistiques de toute la Suisse.

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