La Presse Pontissalienne 122 - Décembre 2009

SOCIÉTÉ

La Presse Pontissalienne n° 122 - Décembre 2009

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HAUT-DOUBS

Débat sur l’adoption

Témoignage exclusif du couple homosexuel qui s’est vu refuser une cérémonie pour fêter leur P.A.C.S. à Villers-le-Lac. Sébastien et Régis évoquent leur quotidien, les rancœurs, les railleries… et leur rêve. Celui d’avoir prochainement un enfant. Ils prévoient de s’installer en Espagne pour le réaliser. Deux hommes et un couffin

S ébastien et Régis sor- tent du silence. Non pas pour s’afficher mais pour montrer qu’ils forment un couple comme les autres et aussi pour réagir à notre article paru dans notre précédent numé- ro, lequel évoquait les 10 ans du P.A.C.S. et le refus du mai- re de Villers-le-Lac de célébrer leur union dans la salle d’honneur. Régis Cachot (25 ans) et Sébastien Demange (32 ans) sont propriétaires d’un salon de coiffure situé au cœur de Vil- lers-le-Lac, les deux amoureux témoignent. Sans tabous.

municipal - par la négative. Je peux comprendre. L.P.P. : Il est effectivement dans ses droits. Aucune mairie n’est obligée d’organiser une cérémonie dans ce cadre. Sébastien : Effectivement, mais c’est la manière de le faire qui nous dérange : lorsque nous avons fait part de notre volon- té, il nous a ri au nez (il soupi- re). Puis, nous avons eu connais- sance de l’article où il dit “n’être pas très chaud à l’idée de célé- brer des P.A.C.S. pour homo- sexuels.” Cette phrase nous choque, elle est discriminatoi- re. L.P.P. : Ce P.A.C.S, c’est donc plus qu’un bout de papier pour vous ? Sébastien : Voilà sept ans que Régis et moi sommes ensemble. Nous avons invité 130 personnes au repas pour célébrer notre P.A.C.S. le 25 juillet 2009. La cérémonie, c’était pour débuter la journée et faire comme un couple hétérosexuel sachant que nous n’avons pas le droit au mariage. Nous avons même tiré un feu d’artifice.Avec ce P.A.C.S., nous avons les mêmes droits que les autres et aussi un avan- tage financier, je l’avoue. L.P.P. : Être homosexuel dans une petite ville du Haut-Doubs semble difficile, surtout lorsque l’on tient un commerce (ils sont coiffeurs). Vous confirmez ? Régis : Oui. On a entendu tout

et n’importe quoi. Du style : “Dans leur salon, ils coiffent avec des jupettes.” Sébastien : Avoir un commerce, je dis que ça nous aide car notre clientèle est super-sympa. L.P.P. : Vous semblez assumer votre homosexualité. Racontez-nous votre rencontre et le jour où vous avez annon- cé votre choix à vos proches. Régis : Ma famille a bien réagi. peut-être parce que je ne suis pas une “folasse” (rires). Je crai- gnais mon père qui au départ ne voulait déjà pas que je devien- ne coiffeur. Il a finalement bien accepté et j’ai été aidé par ma grande sœur qui en parlé à ma mère. Avec elle, j’ai discuté tou- te la nuit puis j’ai annoncé la nouvelle à tous avec perte et fracas. Finalement, la famille a accepté. Sébastien : On se souvient tou- jours de ce moment ! Je l’ai annoncé tardivement, à l’âge de 24 ans, dans un premier temps à ma mère puis ensuite à tou- te la famille. Avec Régis, nous nous sommes rencontrés dans le salon de coiffure dans lequel on travaillait. J’étais son maître de stage. L.P.P. : Devient-on ou naît-on avec cet- te attirance pour un homme ? Régis : J’ai toujours su que j’étais gay et que je deviendrai coiffeur (rires). Sébastien : Je suis sorti avec des filles pour montrer aux gens que j’étais comme eux. Mais je

n’étais pas heureux.

ovules, les spermatozoïdes mais nous n’avons pas la légalité. Sébastien : Les pays européens sont beaucoup plus évolués que nous. En Espagne, pays très catholique, les homosexuels peu- vent se marier, avoir des enfants. Idem en Belgique. L.P.P. : Imaginez-vous tomber dans l’illégalité pour avoir cet enfant tant désiré ? Sébastien : Non,mais nous irons à l’étranger pour le faire. Notre but est d’aller travailler et vivre en Espagne. Peut-être dans deux ans. La coiffure à l’étranger, c’est comme la cuisine française : ça marche. En France, nous sommes trop taxés. Ce départ est un projet familial et profes- sionnel. L.P.P. :Le débat sur l’adoption est relan- cé par une décision du tribunal admi- nistratif de Besançon (lire ci-dessous). Pourquoi tant de difficultés à adopter en France ? Sébastien : C’est terrible à dire mais les “homos” sont considé- rés comme des pédophiles et je suis sûr que l’adoption ne se fait pas à cause de ça. Or, personne n’aime plus enfant que nous. Régis : Je m’identifie plutôt com-

me à une femme qui est stérile. L.P.P. :Unemère por- teuse, est-ce la solu- tion ? Régis : Il faut une femme qui soit forte psy- chologiquement ! Ma sœur ne pourrait pas por- ter un enfant et nous le laisser. Par contre, elle n’est pas contre un don d’organe et nous donner ses ovocytes (avec les sper- matozoïdes de Sébastien) pour que l’on puisse avoir un enfant. Une mère por- teuse, c’est peut-

Sébastien Demange (debout) et Régis Cachot.

L.P.P. : Dans le Haut-Doubs, les gays se cachent-ils pour se rencontrer ? Et que répondez-vous à l’infidélité du milieu ? Régis : Beaucoup de pères de famille mariés vont voir d’autres hommes. Ils se cachent, sont malheureux et font d’autres mal- heureux. Les gays ne sont pas plus infidèles que certains couples hétéros. Regardez-nous ! Sébastien : Nous ne fréquen- tons pas trop ce milieu. Les ren- contres gays, c’est plutôt Besan- çon ou Lausanne mais pas trop le Haut-Doubs. Sinon, c’est Inter- net. L.P.P. : Qui d’entre vous deux s’occupe des tâches ménagères ? Régis (rires) : On se partage les tâches car nous travaillons les deux. Sébastien fait plutôt la cuisine et moi le reste. Nous sommes comme un couple nor- mal : on partage, avec le machis- me en moins. L.P.P. : La finalité d’un couple n’est- elle pas de fonder une famille ? Aime- riez-vous devenir papas ? Régis : Oui. Nous avons tout ce qu’il faut : la mère-porteuse, les

La Presse Pontissa- lienne : Quel a été votre réaction lorsque la mairie de Villers- le-Lac a refusé d’organiser une céré- monie célébrant votre pacte civil de solidarité (P.A.C.S.) ? Sébastien : Nous étions déçus même si nous avons compris. Nous avions demandé aumai- re (N.D.L.R. : Jean Bourgeois) la possibilité d’organiser une cérémonie pour marquer le coup. Dans un courrier, il nous a répon- du - après avoir consulté le conseil

“Nous ne tomberons pas l’illégalité.”

être plus facile car il n’y a rien d’elle. Les femmes qui font ça sont en général très pauvres et le font pour l’argent. En moyen- ne, c’est 15 000 euros. Et enco- re, on n’est pas certain que ça fonctionne et elle peut accou- cher et garder l’enfant. Propos recueillis par E.Ch.

Zoom Ce que dit la loi

Pour pouvoir adopter un enfant en France, il faut obtenir un agrément délivré après évaluation des conditions dʼaccueil de lʼenfant sur les plans familial, éducatif et psychologique. Cʼest le président du Conseil général, après consultation de la commission dʼagrément du dépar- tement, qui prend la décision finale. Les personnes ayant obtenu lʼagrément (valable cinq ans), peuvent ensuite constituer un dossier en vue de lʼadoption dʼun pupille de lʼÉtat en France ou se tourner vers lʼadoption internationale pour accueillir un enfant étranger. Que change la récente décision de justice ? En enjoignant au Conseil général du Jura de délivrer un agrément à une femme en couple avec une autre femme, la justice relance le débat sur lʼégalité des droits face à lʼadoption, suivant que lʼon est célibataire, marié, hétérosexuel, homosexuel. Le tribunal administratif de Besançon a rappelé ceci : oui, en Fran- ce, un célibataire (de plus de 28 ans) a le droit dʼadopter un enfant. Lʼorientation sexuelle ne doit pas être un motif pour refuser lʼagrément. Le tribunal de Besançon se conforme à un arrêt de la Cour euro- péenne des droits de lʼHomme qui a condamné la France pour “dis- crimination” basée sur lʼorientation sexuelle. Le président du Conseil général du Jura, Jean Raquin (Divers droite) aurait pu sʼy tenir. Il ne lʼa pas fait et a été rappelé à lʼordre. Qui peut changer la loi ? Nicolas Sarkozy est trop attentif à sa majorité pour lui faire avaler lʼadoption par des couples de même sexe. Nadine Morano et Luc Chatel ont répété que le gouvernement nʼétait pas favorable à un changement de la loi. La gauche est acquise au principe de lʼégalité des droits. Et se sert de lʼargument de lʼEurope. En Belgique, au Danemark, en Espagne, en Norvège, aux Pays-Bas, en Suède et au Royaume-Uni, les couples de même sexe peuvent adopter des enfants.

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