La Presse Pontissalienne 122 - Décembre 2009

LE DOSSIER HAUT-DOUBS : où sont nos traditions ? 15 À l’heure de la pensée collective, de la mondialisation et de la communication, le Haut-Doubs se démarque en perpétuant des traditions culinaires, sociales et festives qui font “que l’on est d’ici et pas d’ailleurs !” Tuer le cochon, “faire la goutte”, manger des sèches ou être conscrit résiste et cela n’a rien de désuet. C’est même à la mode, car réactionnaire. En revanche, la solidarité - auparavant si ancrée - semble péricliter et beaucoup de pratiques ont disparu. État des lieux à quelques jours de Noël. INTERVIEW Rencontre avec Daniel Leroux, garant de l’identité comtoise “Les traditions sont devant nous” La Presse Pontissalienne n° 122 - Décembre 2009 Ethnologue et fondateur de “La Racontotte”, Daniel Leroux estime la tradition comtoise aussi forte que la bretonne. Une dérive l’inquiète : la non-intégration des nouveaux frontaliers qui ont bousculé l’organisation des villages typiques.

Daniel Leroux est auteur de plusieurs ouvrages sur les traditions comtoises. Le plus célèbre : “Les Racontottes d’Honorin”. Un nouvel ouvrage va sortir.

sons de retraite pour assurer le sou- tien. L.P.P. : Comment expliquez-vous que les fêtes d’antan fassent à nouveau le plein ? D.L. : Tout le monde a besoin de racines. Je suis assez surpris de voir que beau- coup de jeunes gens âgés de 25 à 35 ans s’intéressent à notre revue La Racon- totte. Il y a dix ans, ce genre de public se détournait complètement du tradi- tionnel et de l’ancien temps car ils pen- saient que la tradition était ringarde. Aujourd’hui, c’est l’inverse, car c’est réactionnaire. comme notre Racontot- te. Dans notre revue, nous parlions déjà du danger de ce tout économique. On parlait déjà d’écologie.

L.P.P. : Refusez-vous le progrès ? D.L. : Pas du tout. J’ai un ordinateur, Internet… Il ne faut pas tout vouloir reproduire car sinon, on tombe dans le combat d’arrière-garde. La tradition, c’est un art de vivre en accord avec le monde mais il ne faut pas être prison- nier des traditions. L.P.P. : Selon vous, quelle tradition perdue peut renaître ? D.L. : Faire le jardin. Cette activité a été sacrifiée avec l’arrivée des supermar- chés. Mais ça revient fortement en vil- le et bientôt en campagne.

L e fondateur de “La Racontotte” se dévoile. Dans sa ferme comtoise de caractère installée àMont-de-Laval (canton du Russey) où le temps semble s’être arrêté, Daniel Leroux fume tran- quillement la pipe dans son bureau où des dizaines de livres sont soigneuse- ment rangés sur des étagères en sapin. Ambiance reposante en trompe-l’œil pour cet homme qui vit avec son temps tout en perpétuant les traditions de nos aïeux. La Presse Pontissalienne : Peut-on dire que le Haut-Doubs parvient à préserver ses traditions à l’époque de la communication reine et du renouvellement de population ? Daniel Leroux : Je pense que la Franche- Comté dans son ensemble est assez bien placée en terme de traditions. Elles sont aussi fortes qu’en Bretagne mais je nuancemon propos car cela ne veut pas dire que nous sommes plus riches. La plupart de nos traditions ne perdurent plus. Nous avons eu juste une chance : celle d’avoir eu au XIX ème siècle des eth- nographes qui ont collecté les tradi- tions. L.P.P. : Le patois comtois ne survit plus. Est-ce la plus grosse perte ? D.L. : Non, même si une tradition doit être soutenue par l’existence d’une langue. Dans “La Racontotte”, je ne fais plus d’enquête de terrain sur le patois car j’en sais aujourd’hui plus sur le patois que ceux qui le parlent. Il reste seulement Henri Tournier au Russey qui lemaîtrise.Que des personnes conti- nuent à le parler, c’est bien. L.P.P. :Pouvez-vous nous énumérer lesmoments forts qui font que l’on est du Haut-Doubs et pas d’autre part ? D.L. : Il y a le cycle du cochon (le tuer, la Zoom Cʼest au tout début des années soixante-dix que Daniel Leroux déci- de de créer “La Racontotte”, revue tirée à environ 1 500 exemplaires tous les trimestres sous le principe et sous la forme de cahiers dʼécologie rurale. Le mot “racontotte” désignait, à lʼorigine, les veillées paysannes.

il ne faut pas vouloir absolument les recopier. Je m’inquiète pour d’autres choses. Je pense à ces personnes qui sont arrivées dans le Haut-Doubs, qui vont y vieillir, qui seront dépendantes. Il faudra alors penser à créer des mai-

façon de conserver la viande, la fabri- cation), le cycle de Noël qui est fort. Mais attention, le sapin, la crèche et le Père-Noël ne sont pas une tradition de chez nous. Tout ceci a été rapporté. Ensuite, on retrouve le cycle de carna- val, Pâques et les “Mai”, les fanfares, les conscrits, les comices… L.P.P. :Pourquoi arrive-t-on à conserver ce par- ticularisme ? D.L. : Car nous sommes dans un endroit assez replié et à l’écart avec un climat rude où on ne vient pas forcément s’installer.Nous avons conservé nos tra- ditions grâce à une économie qui le per- mettait. Je pense à l’appellation d’origine contrôlée (A.O.C.). L.P.P. : En revanche, beaucoup de spécificités ont disparu. Pourquoi ? D.L. : Si on remonte à loin, on s’aperçoit que l’arrivée du chemin de fer et d’un transfert de population a bouleversé les particularismes. Plus récemment, c’est l’apparition de la nouvelle agri- culture qui est en train de tout chan- ger. Le support des traditions était le monde paysan. Le problème est que la modernisation de l’agriculture a tué ceci. La société traditionnelle a été sup- plantée par la communication. Nous avons perdu la foire franche, la veillée, les petites fermes qui ont été avalées par les plus grandes… L.P.P. : On dit les habitants du “Haut” solidaires de nature. Vous confirmez ? D.L. : Je vais prendre l’exemple du “Sai- gnou”, cette personne qui venait sai- gner le cochon dans le village. Aujour- d’hui, il a disparu et chacun tue le cochon de son côté. On voit apparaître un nou- veau phénomène plus inquiétant et récent avec l’arrivée abondante de nou- veaux frontaliers ces cinq dernières années. Avant, ils étaient assimilés. Aujourd’hui, ils ne le sont plus. C’est devenu unmonde à part même si beau- coup cherchent à s’intégrer. Avec les grandes embauches et aujourd’hui les licenciements, la plupart repartent dans leur région d’origine. Pendant ce temps, nos villages ont considérablement été dénaturés par rapport à l’habitat. L.P.P. :Êtes-vous inquiet pour la sauvegarde de notre patrimoine ? D.L. : Les traditions sont devant nous,

Propos recueillis par E.Ch.

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