La Presse Pontissalienne 119 - Septembre 2009

TÉMOIGNAGE

La Presse Pontissalienne n° 119 - Septembre 2009

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EXCLUSIF

L’ancien condamné se dévoile Patrick Dils : “Mon histoire peut servir” Patrick Dils. Derrière ce nom, une des plus grandes erreurs judiciaires de l’Histoire. L’homme qui réside en Franche-Comté, à proximité de Montbéliard, se confie sans tabous.

C’ est une maison au cœur du petit village de Mézi- ré, dans le Territoire-de- Belfort. En bas de la sonnette, une étiquette“DilsPatrick”.Vingt- deux ans après, ce nom et pré- nom incarnent l’une des plus grandes erreurs judiciaires fran- çaises. Le 20 avril 1987, Patrick Dils,apprenti pâtissier de 16 ans, est inculpé puis condamné à la prison à perpétuité pour le meurtre de deux enfants, Cyril et Alexandre, à Montigny-lès- Metz (Moselle). Durant sa garde à vue, l’adolescent avait avoué le doublemeurtre avant de se rétrac- ter et clamer son innocence depuis la cellule de sa prison. Il atten- dra quinze ans avant d’être enten- du puis disculpé. La présence sur les lieux du crime, au même moment, du tueur en série Fran- cis Heaulme, et des incompati- bilités avec son emploi du temps, ont permis à ses avocats d’obtenir gain de cause. La Presse Pontissalienne :Aujourd’hui, que faites-vous Patrick Dils ? Patrick Dils : Comme vous, j’ai un travail qui m’occupe 8 heures par jour. Je tiens à être comme tout le monde en dehors du fait que j’ai un nomqui a défrayé la chro- nique et qui a marqué l’histoire. L.P.P. : Vous avez passé quinze ans en prison pour rien. À qui en voulez-vous ?

suite un pèlerinage à Lyon (lieu de son incarcération). L.P.P. : Racontez-nous votre sortie de prison ? P.D. : Je n’étais pas un détenu com- me les autres car j’étais innocent donc il y a eu de l’euphorie res- sentiemais je pense que pour un détenu normal, la personne sort dans l’anonymat comme elle y est rentrée. Il y a unmanque ter- rible et c’est là que mon histoire peut aider. Je ne dis pas que j’ai des solutions mais on peut amé- liorer les choses. L.P.P. :Comment fait-on pour tenir dans une cellule ? P.D. : Grâce à la flamme de l’innocence. L.P.P. : Avez-vous pensé au suicide ? P.D. : Une seule fois,mais ce n’était pas par rapport à mon innocen- ce mais par rapport aux condi- tions de détention. L.P.P. :Sont-elles aussi atroces comme on peut l’entendre ? P.D. : Je dirais qu’il y a à boire et àmanger.Mais pour y avoir pas- sé quinze ans, je peux vous dire qu’il faut arrêter de se voiler la face : il y a des suicides, des viols, des coups. J’ai vu de l’évolution mais il n’y a pas d’hygiène et pas de respect. Le gardien n’est là pour juger.Le détenu doit lui aus-

P.D. : À personne, je ne suis pas aigri.J’estime seulement que l’on m’a volé quinze ans de ma vie, alors aujourd’hui je n’ai plus de temps à perdre.Je suis quelqu’un de positif et je m’investis beau- coup pour les autres avec mon association Louve qui aide des jeunes en difficulté. Et ce n’est pas parce que j’ai été accusé du meurtre de deux enfants que je l’ai créée. Je parraine également un enfant malade (http://dylanpourlavie.hawablog.co m). L.P.P. : Quinze ans en cellule, vous avez dû vous sentir abandonné ? P.D. : Bien évidemment. Il faut rappeler que je suis resté deux ans tout seul sans avoir le droit au parloir ! L.P.P. : À 16 ans, c’est terrible ! P.D. : C’est indescriptible. On m’a volé mon adolescence même si on me dit : “Mais M. Dils, vous pouvez sortir maintenant, aller en boîte”, je réponds oui, mais ce que je n’ai plus,c’est l’insouciance des 20 ans. L.P.P. : Vous rappelez-vous la date de votre retour à la liberté ? Est-ce une date anniversaire ? P.D. : (sourire). Bien sûr, c’était le 24 avril 2002. Je ne fais pas de gâteau pour la fêter mais j’ai eu besoin de faire deux années de

si respecter. Mon histoire peut servir. L.P.P. : Libre, quel était votre souhait ? P.D. : Je suis sorti unmercredi soir, le vendredi soir, j’étais sur le pla- teau de TF1 pour l’exclusivité et lemardi matin, alors que j’aurais été en droit de partir en vacances, mon souhait était de travailler comme tout le monde. Quand on travaille, on sait apprécier les week-ends, les vacances. L.P.P. : Le chapitre prison est-il difficile à évoquer ? P.D. : Il n’y a rien de difficile à évo- quer que ce soient les conditions de vie, le viol, le tabassage, le tra- vail effectué en prison, sinon je ne ferais pas sept ans après des conférences pour faire connaître mon parcours. Ceci, je l’ai vécu… Je ne veux rien révolutionner mais si je peux aider, je le fais. J’aimerais, en partenariat avec lesmairies,pouvoir parler demon expérience aux jeunes. L.P.P. :Vous réalisez des conférences à travers la France. Quel est le thème, l’objectif ? P.D. : L’erreur judiciaire et surtout les valeurs de la vie. Les gens les ont perdues. Pourquoi ? Parce que vous n’êtes jamais privé de quelque chose. Vous prenez soin de votre santé (il me pointe du doigt),et bien vous allez voir votre

Patrick Dils, un homme comme les autres…

médecin lorsque vous êtes mala- de. Pourquoi au même titre que votre santé ne prendriez-vous pas soinde votre liberté ? La liber- té n’est pas un dû ! L.P.P. :Avez-vous des liens avec les vic- times du procès d’Outreau,autre grand fiasco judiciaire ? P.D. : Oui grâce à l’association France Justice. J’ai suivi la réfor- me de la Justice et je ne com- prends que l’on s’appuie sur des personnes qui ne connaissent pas totalement l’univers de la prison. L.P.P. : Vous paraissez à l’aise, prolixe, posé. Ce n’est pas l’image qui a été donnée de vous par les médias… P.D. : (il coupe). Prenons les mots exacts : on a dit que j’étais un “beu-beu”, un illettré. Comment peut-on juger une personne qu’on ne connaît pas ! Vous m’avez demandé si j’en voulais aux jour- nalistes. Ceux qui m’ont détruit sont ceux qui m’ont permis de mettre la tête hors de l’eau. Cer- tains ont eu une flamme et sont

allés au bout de ce qu’ils pen- saient. Moi, j’ai toujours dit que j’étais innocent.Au deuxième pro- cès, mes avocats ne savaient plus quoi faire. Je leur ai dit : “On va se battre.” L.P.P. : On vous a reconnu innocent et vous avez perçu 1million d’euros.Vous pourriez arrêter de travailler. P.D. : C’est faux, j’ai perçu 700 000 euros. Honnêtement, vous pensez que ça se calcule ! Si on avait eu la décence de me demander ce que je voulais pour réparation,je n’aurais pas deman- dé 1 centime. J’aurais demandé, mais c’est un rêve éveillé, que tous les gens qui ont eu affaire à moi - de près ou de loin - vivent et subissent ce que j’ai vécu pen- dant 15 ans. Là, on aurait été quitte… L.P.P. : Êtes-vous un homme heureux ? P.D. : Je le suis complètement. Il memanque juste une chose : être papa… Propos recueillis par E.Ch.

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