La Presse Pontissalienne 111 - Janvier 2009

12 LE DOSSIER

Les skis “made in Jura” F ABRICATION Un seul rescapé Au début du XX ème siècle, de nombreux artisans du bois diversifient leur savoir-faire dans le ski. Les rares fabricants qui avaient résisté à l’arrivée du plastique ont périclité, à la seule exception de Vandel à Bois-d’Amont.

Didier Coulinge, le propriétaire du café- restaurant de la Perruque au Pré Poncet (Chaux-Neu- ve), a ouvert en jan- vier 2003 une exposi- tion consacrée aux skis jurassiens. À voir absolument.

S i les Jurassiens n’ont pas inven- té le ski, ils ont su très tôt s’inspirer des premières planches arrivées probable- ment de Scandinavie. Scénario assez logique car très peu de locaux pou- vaient se permettre d’importer des skis de l’étranger. Les artisans du bois de la montagne jurassienne (menuisiers, charrons, boisseliers) se lancent dans cette nouvelle fabrica- tion. On en trouve dans la plupart des villages du Haut-Doubs et du Haut-Jura.

cintre les spatules sur une forme en les ayant préalablement trempées dans un bain d’eau très chaude. On produit alors un seul type de ski, de très grande taille et équipé d’une fixa- tion libre. La distinction entre l’alpin et le nor- dique se fera à partir des années tren- te à l’époque de la création de ces deux disciplines au sein de la Fédé- ration Internationale de Ski. Cette époque correspond également aux débuts des plus grandes marques de ski jurassien : Grandchavin aux

Parmi ces pionniers, on trouve par exemple les frères Bonneville du côté de La Pesse. Certains se souviennent peut-être de la marque Retord qui perdura jusque dans les années cin- quante. Les débuts sont assez empi- riques. On exploite d’abord les essences résineuses locales. Le sapin bien sûr s’avère vite fragile et trop poreux. C’est finalement l’utilisation du frê- ne qui s’impose. Ce bois présente les caractéristiques de solidité, souples- se et glisse requises pour un ski. Les lattes sont taillées dans la masse. On

jurassiens, à savoir Vandel. Tout a débuté avec GabrielVandel.Cemenui- sier de Bois-d’Amont débute en 1925 une petite production de skis de des- cente. Il se tourne à partir de 1947 vers le fond qui deviendra la grande spécialité de l’entreprise. Surtout grâ- ce au fils Yvon, inventeur du fameux “F 72”, premiermodèle de fond en plas- tique dont la couleur orange fluo res- te dans toutes les mémoires. Vandel a équipé quelques-uns des meilleurs skieurs jurassiens. Hervé Balland, la référence incontestée, débu- ta sur des Vandel. Dans les années quatre-vingt, la production de l’atelier de Bois-d’Amont monte jusqu’à 12 000 paires réalisées par une vingtaine de personnes. L’activité décline ensuite au fur et à mesure de l’essoufflement populaire autour de la pratique du fond.Medhi et Loïc,les deux fils d’Yvon, ont néanmoins repris le flambeau. Ils fabriquent toujours des skis nordiques et ont renoué avec l’alpin en lançant les Vautours, des skis haut de gam- me tout en bois. F.C.

Rousses, Lacroix et Vandel à Bois- d’Amont. La première s’orientera vers le surf des neiges en 1985 puis sera reprise par Rossignol en 1999. Le site de production aux Rousses fermera en 2002. Les skis Lacroix entrent dans la légen- de en 1966.Léo Lacroix termine second de la descente des championnats du monde de Portillo avec des skis de la marque familiale, réalisés à sa deman- de par son cousin Daniel. Le fabricant de Bois-d’Amont sera le premier à réussir le virage du plastique qui pré- cipita la fin de l’artisanat du ski juras- sien. Lacroix sortit même une paire de skis à 1 000 dollars à destination de la jet-set mondiale, de Robert Red- ford au roi d’Espagne en passant par le président américain Gérald Ford. À partir des années quatre-vingt, les problèmes d’enneigement fragilisè- rent l’entreprise qui passa sous le contrôle du groupe Nestlé avant d’être vendu en 1989 à un groupement d’investisseurs franco-suisses. Cet inventaire serait incomplet sans évoquer le dernier fabricant de skis

Les fabricants jurassiens ont longtemps participé à l’évolution technique, du ski polyvalent tout en bois à fixation libre aux modèles nordiques et alpins utilisés aujourd’hui.

Z OOM Mont d’Or, reflet de l’artisanat du ski jurassien La fabrication des skis “Mont d’Or” débute après-guerre dans l’atelier de Gilbert et Raoul Maire, charrons à Méta- bief. L’activité perdurera jusqu’en 1970.

“I ls ont vécu pauvre- ment mais comme des seigneurs grâce aux skis” , se souvient Gaby Maire, le fils de Gilbert en évoquant ses souvenirs de jeunesse. À la Libération, on est encore à des années lumiè- re du sport business dans ce village agricole de Métabief. Charles Maire travaille avec ses deux fils Gilbert et Raoul. Le premier est charron, le second forgeron. Histoire de compenser la baisse d’activité hivernale, ils semettent à fabri- quer des skis alpins. “Les gens passaient commande en vue d’offrir des skis à Noël. Ils ne repartaient jamais de l’atelier sans avoir bu un coup. Mon père ne comptait pas ses heures et bossait au besoin toute la nuit.” Le plastique n’existait pas. La qualité du ski est d’abord fonc- tion du choix du bois qui sert à sa fabrication. Les frênes uti- lisés sont choisis sur pied, débi- tés chez un scieur puis mis à sécher parfois plusieurs années au grand air. “Ils plongeaient le ski pendant plusieurs heures dans l’eau chaude de la buan- derie puis cintraient la spatu- le en la coinçant derrière le poê- le à sciure.” Aussi rudimentaire qu’elle paraisse, la technique n’en n’était pas moins effica-

Gaby Maire a perpétué la tradition familiale en se tour- nant dans le commerce du ski. Sa fille et son gendre tien- nent également un magasin de sports d’hiver à Métabief. Soit quatre générations autour de la même passion.

me les épouses sont mis à contribution quand il s’agit de poser à la main les 100 vis par ski qui maintiennent les carres. “Chaque client était d’abord un ami. À l’époque, ils conce- vaient le produit ski comme un moyen d’offrir un exutoire à la jeunesse du coin. Cela donnait une ambiance de plaisir assez extraordinaire” , se souvient Gaby qui n’oublie pas non plus la quantité de travail que repré- sentait ce boulot manuel. F.C.

ce. Avec le sens de la débrouillar- dise propre aux artisans, les deux frères réalisent progres- sivement l’outillage et les machines adéquats. “Ils ins- tallaient la fixation grâce à une mortaise dans laquelle était introduite la plaque de fer repliée ensuite en fonction de la forme de la chaussure.” Au début des années soixan- te, 250 paires de skis “Mont d’Or” sortent de l’atelier des frères Maire. Les enfants com-

250 paires de skis “Mont d’or” sortaient de l’atelier Maire au début des années soixante.

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