La Presse Bisontine 98 - Avril 2009

BESANÇON

La Presse Bisontine n° 98 - Avril 2009

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ORCHESTRE

Le chef Peter Csaba se confie “J’ai vraiment le sentiment d’un gâchis” Le contrat du chef de l’orchestre de Besançon, que la ville voulait remercier, doit être prolongé d’un an pour dissiper la polémique suscitée par le projet municipal. Il défend son travail et plaide pour le maintien d’un orchestre digne de ce nom dans la capitale régionale.

L a Presse Bisontine : Après la période houleuse que vous traversez, quelle décision avez-vous pris quant à votre maintien ou non à Besançon ? Peter Csaba : Je vais probablement continuer pour un an. Je pense avant tout à l’orchestre. Si je pars en juin, ce serait dramatique car beaucoup trop brusque et tellement rapide. Quelque part, pour les musiciens et l’orchestre, je me sens presque obligé de repartir. C’est le seul espoir pour l’orchestre d’assurer la prochaine saison. L.P.B. : Vous avez été tenté de claquer la porte après que la mairie a signifié son souhait de tout remettre à plat ? P.C. : Bien sûr mais je ne peux pas faire cela, même si j’en ai eu envie. Humainement, c’est très difficile de laisser tomber quelque chose dans lequel vous vous êtes investi depuis près de 15 ans. Pour le public, ce ne serait pas cor- rect non plus. L.P.B. :Vos rapports avec la mairie sont tendus, on le sait, qu’en est-il avec les musiciens de l’orchestre ? P.C. : Excellents, c’est justement ce dont la ville ne s’est peut-être pas rendu compte. Il est fré- quent dans les villes qui ont un orchestre que les rapports soit très tendus entre le chef et son orchestre. À Besançon, on avait la chance que ce ne soit pas le cas. Depuis que je suis là, il y a la paix, l’harmonie entre l’orchestre, le public et moi-même. Je trouve assez bizarre de tout vou- loir remettre en cause. L.P.B. :Vous attendiez-vous à une telle remise en cause ? P.C. : Très honnêtement non. Certes je ne pen- sais pas rester encore 20 ans à Besançon mais j’avais encore des choses àmettre en place, notam- ment structurellement et administrativement, là où ça pêchait jusqu’à maintenant. À cet orchestre, il manquait une bonne administra- tion, c’est désormais chose faite. Mon objectif était d’obtenir une base solide, mais tout le mon- de n’a pas mis toute la bonne volonté qu’il fal- lait. La preuve que ce n’était pas pérenne, c’est qu’on décide du jour au lendemain que tout est fini. Certes, on a eu des périodes de tâtonnement mais je sentais bien que depuis quelque temps, ça ne voulait pas bouger dans le sens d’une vraie dimension régionale pour cet orchestre. Le pro- blème est qu’il n’y a plus cette volonté de la vil- le. L.P.B. : C’est une impression de gâchis, d’échec person- nel pour vous ? P.C. : D’échec personnel non car on a fait beau- coup pour cet orchestre : on a augmenté le niveau,

tion à représenter tout une région. Au-delà de la ville, il y a aussi les quatre Départements. Tout le monde devrait être d’accord pour faire un vrai orchestre régional. Seulement, le discours de la ville est de vou- loir faire autrement, plus res- treint, moins ambitieux et moins coûteux. L.P.B. : Qui pourrait sauver cet orchestre ? P.C. : Si le maire de Besançon le voulait, il le pourrait. L.P.B. : Le nom de votre éventuel suc- cesseur avait déjà circulé, qu’en pen- sez-vous ? P.C. : Je ne le connais pas mais je sais seulement que ce n’est pas un chef. C’est peut-être quel- qu’un de très bien mais le confronter comme ça à un orchestre, ça ne peut pas fonc- tionner. Son projet serait de fai- re autre chose, une plus petite formationmais pas un orchestre symphonique.

“Si le maire le voulait, il le pourrait.”

L.P.B. : Vous restez très amer… P.C. : Quand je dirige, ma motivation et la pas- sion pour mon travail sont intactes. Mais j’ai vraiment le sentiment d’un gâchis. Ceci dit, ça fait chaud au cœur de sentir que les gens aiment ce qu’on fait, que l’on est soutenu. En plus, je ne crois pas avoir fait beaucoup de cinéma pour vendre mon travail. L.P.B. :Vous vous dites très attaché à Besançon. Pourquoi ne vous y êtes-vous jamais installé ? P.C. : Je réside à Lyon car j’y suis toujours le direc- teur de la classe d’orchestre du conservatoire national supérieur de musique et de danse. Je prépare les programmes de cette classe et j’y fais des sessions de travail et de direction. L.P.B. : Besançon n’est peut-être pas une ville à votre dimension… P.C. : (hésitation)…On peut discuter de cela. Peut- être que oui…Mais je pensais qu’il y avait vrai- ment des choses à y faire. Dans ma jeunesse, en Roumanie, on parlait déjà du concours des chefs d’orchestre de Besançon. Je pensais que même si ce n’était pas une grande ville, la musique avait ici une certaine importance. Peut-être que je me suis trompé… L.P.B. : Si vous décidez de rempiler d’un an, comment aborderez-vous cette année supplémentaire ? P.C. : Si je prolonge d’un an, je ne veux pas avoir le moindre problème, je souhaite que l’on garan- tisse à l’orchestre un fonctionnement normal, que tout le monde travaille dans les conditions actuelles. C’est le minimum. C’est dans l’intérêt de tout le monde que ça se passe bien. L.P.B. : Et après cette année de “rab” ? P.C. : Je ne sais pas. Si c’est comme maintenant, je pense que ce sera définitivement fini pour moi. L.P.B. : Comment jugez-vous le fait que Besançon semble plutôt vouloir miser sur les musiques de rue ? P.C. : Très honnêtement, ça me choque qu’aumême moment, dans un monde qui évolue tel qu’il évo- lue, on ne fasse pas la différence. Être musicien classique, ce sont des dizaines d’années de tra- vail. Et si 10 ou 15 % des Bisontins souhaitent de la musique classique, il faudrait ne pas en tenir compte ? Le classique, ce ne sont pas des cliques de rue, même si je n’ai rien contre. Les œuvres de Mozart, de Beethoven ou de Monte- verdi seront encore jouées dans 500 ans. Quant au reste… On ne peut pas décréter que le mon- de n’a pas besoin demusique classique. Au contrai- re, on n’en a jamais eu autant besoin.

gagné du public, irrigué le ter- ritoire (selon nos possibilités financières) et tout cela, avec le plus petit budget de France pour un orchestre. L.P.B. : Sur ce point, il y a une petite querelle des chiffres. La mairie dit 1,1 million d’euros. Quelle est votre version ? P.C. : . Le chiffre d’1,1 million est faux. Le budget de l’orchestre de Besançon ne dépasse pas les 700 000 euros par an. La ville donne un peu plus de 500 000 euros, il n’en demeure pas moins que nous avons, et de loin, le plus petit budget de France. L.P.B. : Mais la vraie question est cel- le-là : une ville de 120 000 habitants a-t-elle les moyens de faire vivre un vrai orchestre symphonique ? P.C. : Oui, une ville de 120 000 habitants peut avoir un orchestre, c’est une question de volonté politique et de culture. Regardez ce qui se passe dans des pays voisins de la France où des villes de 20 000 ou 30 000 habitants à peine en ont un. Et qu’une région d’1 million

“Je me sens presque

obligé de repartir.”

Peter Csaba est né en Roumanie en 1952. Là-bas, dans son enfance, il entendait déjà parler du concours de chefs d’orchestre de Besançon.

Dahoui) a des idées mais ce n’est pas toujours en voulant tout changer qu’on trouve la meilleu- re solution. Dans certains domaines, c’est très bien. Mais seulement, des orchestres, ce sont des sujets très délicats, avec ses musiciens, ses sen- sibilités. Ce n’est pas comme des objets que l’on déplace comme on veut. Construire un orchestre, ça prend du temps. Certains des plus réputés dans le monde ont 100 ans, parfois 150 ans, la stabilité est un gage de réussite. Bien sûr il faut faire des ajustements, mais pas tout changer fondamentalement. L.P.B. : À l’heure où les collectivités, et notamment la vil- le, cherchent à faire de nécessaires économies, quelle peut être la solution au problème ? P.C. : J’estime que ça devrait être naturel que le Conseil régional finance un orchestre qui a voca-

d’habitants comme la Franche-Comté ne puis- se pas avoir un orchestre symphonique digne de ce nom paraît étonnant. Besançon a une gran- de tradition musicale, il faut impérativement l’entretenir. On fait ici un des concours de chefs d’orchestre les plus réputés aumonde, c’est quand même bien pour que ces jeunes chefs dirigent ensuite des orchestres ! Par comparaison, le plus petit orchestre, à part Besançon, est celui de Poi- tou-Charente qui dispose d’un budget de 3 mil- lions d’euros environ. Sans parler des plus grands comme Bordeaux, avec 11 ou 12 millions, ni même de Lyon ou Paris. Mulhouse dispose déjà de 5 ou 6 millions. L.P.B. :Vous jugez donc avec sévérité l’attitude de la mai- rie de vouloir tout remettre à plat ? P.C. : L’adjoint à la culture (N.D.L.R. :Yves-Michel

Propos recueillis par J.-F.H.

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