La Presse Bisontine 98 - Avril 2009
L’ÉVÉNEMENT
La Presse Bisontine n° 98 - Avril 2009
6
Ils sont souvent pauvres mais ne mendient pas. Ces Bisontins se débrouillent pour trouver de quoi manger au jour le jour. Il y a ceux qui se tournent vers des associations comme les Res- tos du cœur pour demander l’aide alimentaire à laquelle ils peuvent prétendre. Et puis il y en a d’autres qui préfèrent le “système D” pour remplir leur réfrigérateur. Ce sont les gla- neurs. On les croise sur les marchés au centre-ville, à Palente ou à Planoise où ils ramassent des fruits et légumes juste abîmés qui finiront à la poubelle. Ils sont aussi au petit matin à proximité des supermarchés ou ils fouillent les poubelles pleines de marchandises pas toujours périmées, en partance pour la déchetterie. Ces glaneurs-là agissent par nécessité mais aussi par dégoût d’une société de consommation dont les excès se mesurent dans les ordures. Qu’elles soient dis- cutables ou non, la crise actuelle exacerbe ces pratiques qui se développent dans les grandes villes. Le point à Besançon. POUR MANGER, TOUS LES MOYENS SONT BONS !
BESANÇON
Une pratique en augmentation dans les villes
Le commentaire des maraîchers Ils donnent ou ne donnent pas Il arrive que les maraîchers soient abordés par des glaneurs qui leur demandent des fruits et légumes qu’ils jetteraient. Cette manière de faire n’est pas nouvelle. L es glaneurs ? “Il y en a toujours eu sur les marchés. C’est aussi comme cela que mangent les jeunes qui quittent d’un seul coup leur famille” répond Géraldine du tac au tac affairée à ranger ses caisses de fruits et légumes. “Sur Palente, ça fait quinze ans que je vois les mêmes.” Les maraîchers ne sont donc pas surpris lorsquʼun glaneur les approche en “nous demandant si on a des invendus, ou quelque chose qu’on jette” poursuit Géraldine qui reconnaît ne pas donner systématiquement. Ils sont donc quelques-uns, des habitués, à solliciter sa géné- rosité et celle dʼautres de ses collègues à dʼautres étals, comme cette petite dame âgée “qui vient de faire mes caisses. Elle a pris une salade, je lui ai donné” observe Géraldine. Déambulant en tirant derrière elle un chariot, la vielle dame à lʼapparence coquette, repousse toutes les questions, indi- quant seulement “que des gens ici lui gardent quelques petites choses à manger.” Benoît est producteur de céréales. Il vend son pain bio le vendredi matin place de la Révolution. Cʼest plutôt rare quʼon lui réclame du pain au moment de remballer. “Par contre, nous recevons souvent des appels de personnes qui sont prêtes à prendre du pain rassis moins cher. On fait une remi- se de 50 % sur le pain de la veille pour le marché du len- demain” dit-il. À 81 ans, Yves est toujours en activité. La culture de la ter- re, les marchés, cʼest sa vie. Cet homme a vécu. Son expé- rience lui fait dire que notre époque nʼest peut-être pas aus- si sombre quʼon voudrait nous le faire croire. “Quand je vois la précarité d’aujourd’hui et celle que j’ai pu connaître au moment de la guerre, je peux vous dire qu’il ne s’agit pas de la même chose” lance ce solide gaillard à la chevelure argentée. Néanmoins, il laisse assez facilement aux gla- neurs des fruits et légumes abîmés. “Je leur donne. Mais je voudrais pouvoir aller regarder chez eux pour voir dans quel confort ils vivent. Je le reconnais, quelle que soit l’époque ce n’est pas facile de vivre sans argent, mais il faut que les gens se prennent en main.”
“Mission frigo” dans les poubelles des supermarchés Des glaneurs se lèvent très tôt pour aller fouiller les poubelles des grandes surfaces au moment où celles-ci renouvellent leur stock de marchandises. Ceux qui cèdent à ces pratiques de consommation le font souvent par nécessité.
I l est six heures du matin à Besançon. Justine attend à l’arrière d’un super- marché que les poubelles soient sor- ties. Une fois dehors, elle pourra com- mencer à les fouiller juste avant le passage des éboueurs. La “mission frigo” peut débu- ter pour cette jeune femme qui vient là une fois par semaine, le lundi matin. C’est le jour des livraisons, le moment où le maga- sin rentre de nouvelles marchandises débar- quées par camion. Les denrées périssables sont donc débar- rassées des rayons et jetées à la poubelle. Il y a de tout : des légumes, des viandes, des poissons, des boissons, des yaourts. La plupart du temps, la date de fraîcheur de ces produits arrive à échéance. Pour Justi- ne, ils sont consommables tout de suite. “Je remplis le frigo gratuitement. Franchement,
partira aux ordures” déplore Pierre. Mais à Besançon, des gérants de supermar- ché tolèrent que les poubelles soient visitées. Les glaneurs qui le savent gardent jalouse- ment leurs “bons plans.” Phil a découvert une adresse par hasard, en rentrant chez lui au petit matin il y a tout juste un mois. “J’ai vu en passant près du magasin ce qui se jetait. J’ai halluciné.” Ce garçon pourrait subvenir à ses besoins en faisant ses courses dans les supermarchés comme tout le monde. Mais pourquoi acheter des marchandises, alors qu’en attendant un peu elles finiront à la poubelle chaque début de semaine ? “C’est inadmissible que l’on jette de la nourriture dans de telles quantités. On trouve des mor- ceaux de viande de premier choix. Franche- ment, on pourrait nourrir tous les gens qui en ont besoin à Besançon” estime-t-il, quali-
quand je fais mes courses, mon budget ne me permet d’acheter que du premier prix. Là je trouve des barquettes de viande à 6,70 euros. Jamais, en temps normal, je ne pourrais m’acheter un morceau de viande à ce prix, pour une seule assiette en plus. Là je fais à manger en fonction de ce que je trouve. J’ai même ramassé des œufs de caille. Je ne suis pas certaine d’en avoir déjà man- gé” dit-elle. Ce matin-là, Justine remplit deux grands sacs. Il n’y a pas de légumes. Un employé du magasin a déversé de l’eau de javel dans la poubelle qui les contenait. Cette pratique courante est censée décou- rager les glaneurs. “Souvent, les grandes surfaces procèdent ainsi quand elles nous voient arriver, ou alors elles cadenassent les poubelles pour qu’on ne puisse pas se ser- vir. Comme ça elles sont certaines que tout
fiant cette situationdedéri- ve de la société de consom- mation. Pour des raisons d’hygiène, Phil ne prend que des produits qui sont sous vide. “Beaucoup de mes amis ont des réticences à l’idée que les denrées vien- nent des poubelles.Moi j’ai dépassé ce stade.” Justine n’est pas devenue glaneuse par plaisir. “C’est la nécessité qui nous pous- se à passer la barrière de principe. La personne qui a les moyens de faire ses courses ne se lève pas à 5 heures du matin pour fouiller les poubelles.” T.C.
Les glaneurs fouillent les poubelles des
supermarchés juste avant le passage des éboueurs.
Made with FlippingBook Online newsletter