La Presse Bisontine 89 - Juin 2008

LE GRAND BESANÇON

La Presse Bisontine n°89 - Juin 2008

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REPÈRES 5 % de plaintes Les victimes de viol parlent peu C’est une certitude, les femmes victimes de viol se murent le plus souvent dans le silence et ne portent pas plainte comme le révèle l’enquête nationale des personnes victimes de viol.

VIOLENCE

20 ans après les faits

Elle oublie le pire pour continuer à vivre C’était un jour d’hiver, en fin d’après-midi, dans le Doubs. Constance a été violée alors qu’elle était adolescente. Le crime a été commis il y a plus de vingt ans. Pendant tout ce temps, elle s’est tue.

L e calvaire de Constance n’est pas un cas isolé. L’association “Solidarité femme” à Besançon reçoit de façon régulière des femmes qui ont été victimes de viol. La réac- tion de cette Pontissalienne à l’égard de son agresseur contre lequel elle n’a pas porté plain- te n’étonne guère cet organis- me. “Finalement, assez peu de plaintes sont déposées, car c’est une démarche très longue et éprouvante pour la victime. C’est une manière de rendre public l’acte de violence qu’elle a subie. Il y a aussi des expertises médi- cales, psychologiques, la procé- dure est assez lourde.” En 2000, l’enquête nationale sur les vio- lences envers les femmes (la seule étude qui ait été faite sur le sujet !) confirme toute la rete- nue des personnes victimes de viol. En France, environ 50 000 femmes de 20 à 59 ans sont vic- times de viol chaque année. “Cette estimation est à rappro- cher des déclarations faites à la police et à la gendarmerie : 7 828 viols en 1998, dont 3 350 concernaient des personnes majeures. Seuls environ 5 % des

viols de femmes majeures feraient ainsi l’objet d’une plain- te.” Cette étude qui n’a jamais été réactualisée en huit ans met en évidence l’ampleur et l’occultation des violences par les femmes qui les subissent. “L’interrogation des femmes dans un cadre neutre et ano- nyme a contribué à lever le voi- le qui masquait les violences sexuelles : un grand nombre de femmes ont parlé pour la pre- mière fois au moment de

L e décor est celui d’un bar mor- tuacien en milieu d’après-midi. En poussant la porte du café, Constance avoue qu’il y a enco- re deux mois, elle n’aurait jamais eu le courage de pénétrer dans ce genre d’établissement. Ces choses simples pour la plupart d’entre nous sont pour elle une petite victoire. C’est le signe qu’elle reprend goût à la vie après plus de vingt années de souffrance. Constance a 39 ans. C’est un prénom d’emprunt, c’est aussi une “qualité que j’ai depuis toujours” sourit- elle. Pour raconter son histoire, elle a choisi de dissimuler sa véritable identi- té derrière ce “joli nom” afin de préser- ver ce qui lui reste d’intimité après avoir vécu “l’horreur.” Elle a été violée quand elle était adoles- cente par un proche de sa famille. “J’étais la proie idéale et ce type un minable.” Le crime s’est produit dans le Doubs, en hiver, en fin d’après-midi. “Ça a été très violent, très sanglant. Pour survivre à cela, je n’avais pas d’autre choix que celui d’oublier.” Après avoir pris un bain et mis toutes ses affaires dans un sac-poubelle, “le silence s’est installé.” Constance s’est

tue. La cruauté des actes a provoqué chez elle une amnésie consécutive à la violence du choc. Depuis, la jeune fille a vécu comme s’il ne s’était rien passé. Jamais elle n’a por- té plainte devant les auto- rités publiques. Elle n’a par- lé de son calvaire à personne ni même à une amie. “J’ai tout fait pour qu’on ne remarque rien. J’ai toujours agi pour me montrer par- faite. J’ai été très exigeante

libère de son fardeau. Toutefois la plaie ne s’est pas refermée avec le temps. Le viol a frappé son existence. La barbarie dont elle a été victime l’a poussée dans une cellule dont les barreaux sont ceux de la honte et de la culpabilité. “Pendant toutes ces années, je suis sortie de moins en moins. J’évite encore de me confronter aux autres et en particulier aux hommes. Je n’arrive pas à faire confiance. Je me suis fermée à tout. J’avais l’impression jusque-là que je ne méritais rien. Je ne prends jamais de vacances, je ne me mets jamais en maillot de bain. Mon agresseur a vécu l’impunité et moi la prison.” Constance retrouve doucement le plai- sir de la vie depuis qu’elle est en théra- pie. “J’ai le goût de désirs basiques com- me acheter des vêtements, aller au restaurant, prendre soin de moi, j’apprends tout cela.” Elle se sentirait prête aujourd’hui à entre- prendre une action en justice contre son agresseur. Mais il est trop tard. Il y a prescription. “Je commence seulement à parler. Quand j’ai pris conscience que por- ter plainte serait inutile, j’ai réalisé que j’allais devoir me taire. Toutes les filles qui sont dans mon cas n’auront jamais droit à la justice. J’avais envie de réta- blir cet équilibre.” Constance a spontanément choisi nos colonnes pour raconter son parcours et inviter les femmes victimes d’un viol à ne pas attendre pour entreprendre des démarches comme elle-même a attendu. Le temps ne résout rien, au contraire. “J’ai 39 ans et je me dis que je n’aurais peut-être jamais la chance d’être mère. Cette échéance me fait prendre conscien- ce du temps qui s’est écoulé. Il s’est pas- sé plus de 20 ans depuis les événements. Tout s’est figé à ce moment-là.” Constan- ce apprend à faire le deuil de ces injus- tices pour espérer pouvoir un jour tour- ner la page. T.C.

“J’ai réalisé que j’allais devoir me taire.”

l’enquête des vio- lences sexuelles dont elles ont été victimes. Le secret est d’autant plus fort que la situa- tion se vit dans l’intimité, il relève probablement d’un sentiment de cul- pabilité, voire de honte éprouvé par les victimes, et sou- ligne une certaine carence de l’écoute, tant des institu- tions que des proches.”

“Un sentiment de culpabilité.”

avec moi-même.” Des résultats scolaires corrects, une vie sociale - presque - nor- male, Constance s’est constitué une cara- pace pour éviter d’avoir à affronter un jour les questions de son entourage qui auraient pu la contraindre à la confi- dence. “J’ai fait en sorte de réussir ma vie professionnelle et de ne dépendre de personne.” Elle a tenu son rôle. Coquet- te, pomponnée, des longs cheveux pei- gnés, vêtue d’un tailleur, elle a l’allure d’un cadre commercial. Les apparences sont trompeuses. Le mal-être de Constan- ce est sous-jacent. Jusque-là, elle n’était pourtant pas capable d’en définir la cau- se précise du fait de son état amnésique. La bulle qu’elle s’était constituée pour tenir bon et avancer avec pugnacité pen- dant toutes ces années s’est craquelée lors du décès d’un de ses proches il y a deux ans. “Tous ces souvenirs que j’avais enfouis au fond de moi-même ont ressurgi avec la même violence qu’à l’époque des faits.” Alors pour la première fois en 20 ans, elle s’est décidée à aller en parler à un psy- chothérapeute. “Ça a été très dur de fai- re le pas car on se dit que toute manière les gens ne comprendront pas. Mais au moins aujourd’hui, je sais pourquoi je vais mal.” Petit à petit, Constance chemine et se

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Constance souhaite par son témoignage que les femmes qui sont dans son cas ne se résignent pas.

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