La Presse Bisontine 89 - Juin 2008

L’INTERVIEW DU MOIS

La Presse Bisontine n°89 - Juin 2008

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Mai 2008 Quarante années ont passé et rien, ou presque, nʼa changé. Ceux qui pré- sentent les événements de Mai 68 com- me une victoire du peuple contre les nantis se trompent. Les insurgésmeneurs dʼhommes de lʼépoque - fauteurs de troubles diront les autres - sont dʼailleurs souvent les nantis dʼaujourdʼhui. Mai 68 a autant construit que détruit. Du posi- tif, on ne retiendra que les fameux accords de Grenelle - ce mot mis aujour- dʼhui à toutes les sauces dès lʼinstant où lʼon veut réformer un secteur dʼac- tivité : augmentation générale des salaires, notamment du S.M.I.C. qui atteint péniblement les 600 F, et recon- naissance des sections syndicales dʼen- treprises. Pour le reste, on ne peut guè- re affirmer queMai 68 aura été un vecteur de progrès. Cet épisode marquera au contraire le délitement de certains repères sociétaux sur lesquels la France sʼap- puyait, et rien de la contestation de lʼordre existant nʼaura donné naissan- ce à une organisation meilleure de la société française. Sur le plan de la cul- ture, de lʼéducation et même des rela- tions de travail, Mai 68 sera bien loin de lʼaspect révolutionnaire quʼon a vou- lu attribuer au mouvement. Mai 68 a voulu dénoncer la société de consom- mation dans laquelle la France et le monde sʼengouffraient. Les valeurs dʼau- tonomie et de réalisation personnelle se sont traduites au quotidien par la pri- mauté de lʼindividualisme. La refonte de la pédagogie sʼest souvent soldée par une dilution des fondamentaux édu- catifs. Lʼexcessive discipline autoritai- re a laissé le champ libre à un exces- sif laxisme. Et à Besançon, que reste-t-il de Mai 68 ? Dans les usines, les mou- vements de contestation ont fait long feu. Et les injustices nʼont dʼailleurs fait que se creuser depuis quarante ans. Mai 68, douce illusion. Aujourdʼhui, la colère est la même, les revendications sont les mêmes. Sauf que. Le mou- vement syndical nʼest plus que lʼombre de lui-même - il fallait voir le maigre défilé du 1 er mai dernier à Besançon. Et le fossé entre les nantis et les autres est toujours aussi béant. La seule dif- férence, cʼest quʼaujourdʼhui, person- ne ne propose un système meilleur et crédible à la fois, si bien que les contes- tations tournent en rond depuis qua- rante ans. Lʼidéal soixante-huitard est mort sans successeur, sans digne héri- tier. Jean-François Hauser Éditorial

MÉDIAS

Multimédias et information

Le journaliste, ancien directeur de la rédaction du Monde, vient de lancer son site Internet dédié à l’information, mediapart.fr. Un journal en ligne d’information généraliste, s’adressant à une clientèle que ni l’offre papier existante ni l’offre en ligne ne satis- font aujourd’hui. Edwy Plenel était invité à Besançon le 15 mai pour animer une conférence à l’I.U.T. de G.E.A. Edwy Plenel : “La presse traditionnelle se tire une balle dans le pied”

L a Presse Bisontine : Comment se porte ce nouveau sup- port d’information ? Edwy Plenel : Mediapart existe depuis deux mois. Le lancement est réussi, nous avons déjà 7 000 abon- nés et 250 000 visiteurs uniques par mois. Mais le pari n’est pas encore gagné. Pour que cela soit le cas, l’objectif est d’atteindre les 25 000 abonnés en 2009, les 50 000 l’année suivante et stabiliser ensui- te le site autour de 60 000 abonnés. L.P.B. : Comment définir ce nouveau “journal” ? E.P. : L’idée était d’aller, sur Internet, à contre-cou- rant de la vulgate dominante du web en faisant un journal basé sur un club de lecteurs qui soit une sorte d’agora, de forum démocratique où se noue- rait une conversation de qualité. Ce site fonction- ne sans publicité, en cela, c’est un modèle atypique et sa vraie richesse, ce sont ses lecteurs, fidèles et qui s’identifient. Le site mediapart.fr fait travailler une équipe de 29 personnes dont 26 journalistes. L.P.B. : En quelque sorte, c’est une réaction à la profusion de sites dits informatifs où passent n’importe quelles informa- tions ? E.P. : Ce n’est ni un ras-le-bol ni une salve contre le web mais l’envie de faire un laboratoire où on réin-

vente la presse, où on essaie d’ex- périmenter ce que pourrait être la presse du XXI ème siècle. Nous ne voulons pas “démoniser” Internet,

Edwy Plenel a commencé sa carrière au Monde en 1980 avant d’en diriger la rédaction pendant dix ans. Il est aujourd’hui à la tête du site participatif mediapart.fr.

c’est à nous de faire que cela soit un bon outil. Nous sommes persuadés qu’Internet permet de démo- cratiser l’information beaucoup mieux que le papier, à condition de le faire bien. Avec le numérique, nous assistons à une nouvelle révolution indus- trielle, après celle de la vapeur, celle de l’électrici- té. Et cette révolution, c’est un moment où un nou- veau rapport de force s’instaure entre le capital et

tuits et d’audience. Nous avons voulu prendre le contre-pied. L.P.B. : Une information gratuite manque forcément de crédibilité à vos yeux ? E.P. : Pas forcément. Il y a une vraie gratuité démocratique sur Inter- net, basée sur l’échange d’infor- mations, le partage de données et je pense qu’il peut y avoir une gra- tuité de qualité. Mais l’idée unique que l’on est en train d’imposer que toute information désormais sera gratuite est un mensonge et un danger. C’est un mensonge car ce n’est pas gratuit, c’est la publicité qui paye. Derrière tout cela, il y a une vraie logique économique.Notre but est bien de défendre sur Inter- net ce qui a fait l’essence démo- cratique de la presse, avec son indé- pendance. L.P.B. : Estimez-vous que la presse payan- te est condamnée ?

le travail, entre ceux qui produi- sent les richesses - en l’espèce, l’in- formation - et ceux qui se disent qu’ils pourront gagner plus par ce biais d’Internet. Via Internet, les financiers ont un cheval de Troie à deux jambes qui sont la gratui- té et l’audience. Leur idée est de dire : tout va être gratuit et plus il y aura d’audience, mieux ce sera. C’est pour cela que j’estime que toute la presse traditionnelle est en train de se tirer une balle dans le pied en faisant des sites gra-

“Nous avons voulu prendre le contre-pied.”

E.P. : À mon sens, elle n’est pas morte. Nous assis- tons plus en ce moment à une crise de l’offre que de la demande. En France, notre presse n’a pas assez de valeur d’usage, pratique. Et il n’y a pas une culture politique assez respectueuse de la liber- té de la presse, on le constate bien en ce moment. Il y a en France une crise démocratique qui n’est pas la crise économique de la presse mais une cri- se démocratique dont l’état de la presse est un témoignage. L.P.B. : Comment assurer l’indépendance totale de media- part.fr par rapport au pouvoir, politique et financier ? E.P. : C’est un journal de journalistes. J’ai investi mes économies dans ce projet, il y a une société des amis du journal puis un troisième groupe d’inves- tisseurs composé de personnes qui sont dans l’in- formatique, qui ont misé sur ce laboratoire. Et l’existence détermine la conscience : les journa- listes de mediapart n’ont pas à dealer avec des pou- voirs qui n’ont rien à voir avec leur métier. Ils n’ont pas à être parasités par autre chose, l’information est une “marchandise” très spéciale. L.P.B. : Vous êtes devenu directeur de la rédaction du Mon- de en 1995 alors que ce titre était un journal. Vous l’avez quitté onze ans plus tard alors que le Monde est devenu un groupe. C’est cette évolution qui vous a poussé vers la sor- tie ? E.P. : La fuite en avant du Monde dans un groupe a gravement déstabilisé le journal. Ce mouvement a abouti à une normalisation économique et édi- torialiste du titre. Je n’étais pas d’accord avec cet- te orientation. L.P.B. : La sortie du livre “La face cachée du Monde” vous a causé de profondes blessures, tout comme votre départ du quotidien. Deux ans après, ces blessures sont refermées ? E.P. : De telles blessures, on en garde forcément des cicatrices, mais ça tient en vie. J’ai appris des choses et je pense avoir été très naïf et présomptueux. J’ai cru que les dynamiques éditoriales suffisaient à rendre vertueuse une dynamique économique.Mais l’important, c’est d’apprendre et de continuer à se battre. Quand on est journaliste, on ne doit pas se plaindre de prendre des coups. C’est comme un boxeur. On ne lui apprend pas à donner des coups mais d’abord à en encaisser. Propos recueillis par J.-F.H.

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Crédits photos : La Presse Bisontine, C.C.P.P.O., Cie du Petit vélo, En Vadrouille, Moyse Ma Maison, Christian Sigrand, Utinam Besançon.

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