La Presse Bisontine 86 - Mars 2008

34 LE FEUILLETON TGV

La Presse Bisontine n° 86 - Mars 2008

REPORTAGE À Noironte “CHEZ MARTINE”, le rendez-vous des amis du T.G.V. Ce café-restaurant est devenu une annexe des ouvriers des travaux publics qui travaillent à la construction de la ligne à grande vitesse. Commentaire autour du zinc sur ces vies pas ordinaires.

des attaches, une maison.” Mal- gré cela,ils sont unanimes,jamais ils ne pourront s’empêcher de lar- guer les amarres.La passionpour le job est plus forte. “On est un peu dans la situation du fumeur qui sait qu’il se fait dumal,mais il n’arrive pas à décrocher.” Des liens d’amitié se sont tissés entre eux. Ils naissent sur un chantier. Puis les gars se perdent de vue pendant dix ans parfois et se retrouvent sur un autre pro- jet ailleurs en France, comme si rien n’avait changé.Des amitiés, ils ennouent aussi avec les autoch- tones de la régionqui les accueille. Martine est déjà sur le carnet d’adresse de certains qui ont pro- mis de faire le crochet par Noi- ronte si d’aventure ils repassent dans le secteur. C’est sûr, les ter- rassiers viendront voir la ligne à grande vitesse à laquelle ils ont apporté leur contribution tech- nique, une fois que celle-ci entre- ra en service. Il en est ainsi pour tous les chantiers. Enfin, ce temps-là n’est pas enco- re venu. Dans l’immédiat, il est l’heure de passer à table.Le cous- cous va finir par refroidir.

Ex-enseignante, Martine Bez gère le café-restaurant “Chez Martine” à Noironte depuis 7 mois.

Ce soir, couscous au menu.

L e café-restaurant deNoi- ronte s’anime au fur et à mesure que rentrent les clients.Ceux qui pas- sent la porte claquent une bise à la patronne accom- pagnée d’un franc “Salut Marti- ne” avant de s’accouder au zinc. Ce sont des habitués qui ont tous pour point commun de travailler sur la ligne à grande vitesse. La plupart de ces gars-là n’avaient jamaismis les pieds dans leDoubs et encoremoins àNoironte avant la mise en œuvre de ce gigan- tesque projet. Pour autant, ils ne sont pas dépaysés. Question d’habitude. Dominique, Pascal, Christian,Guillaume et les autres font partie de ceux que l’on sur- nomme “les nomades des travaux publics.” Ils se déplacent là où un chantier les appelle et se séden- tarisent pour une durée déter- minée dans une région. Pendant cette période qui peut durer deux à trois ans, ces hommes (et ces

chuté à Chaucenne. “J’aime cet- te vie.La semaine,je suis à l’hôtel. Le week-end, je rentre chez moi et c’est un plaisir.Aujourd’hui, je pense mieux connaître Besançon que Beauvais” dit-il. Mobile, il est prêt “à bouger” quand son entreprise lui demandera. L’enthousiasme des débuts… Au bar, un voisin laisse parler son expérience. Il est plus timo- ré sur la question. “C’est dur quand même lâche-t-il. On finit par ne plus avoir de vie de famil- le.Tu vois pas grandir tes enfants. Tu sais plus ce que c’est que d’avoir

et son épouse semblent avoir le leur. “On vit en quelque sorte com- me deux célibataires mariés.” Chaque week-end, il rentre à la maison, “pour la famille” comme la majorité de ses camarades de chantier. Guillaume et Joseph vont jusque dans l’Hérault pour retrouver les leurs soit “1 300 km aller et retour.” De son côté, Pascal rentre dans l’Oise. À 21 ans, titulaire d’un B.E.P.demécano,il vient de décro- cher son premier poste de méca- nicien. Du Nord-Pas-de-Calais dont il est originaire,il a été para-

me des marins. Ils sont à Noi- ronte comme dans un port, demain ils seront ailleurs, sans savoir où. La plupart d’entre eux ont déjà pas mal roulé leur bos- se pour les travaux publics, com- me Joseph qui a effectué desmis- sions en Indonésie et au Tchad. Il y a quelques années, Domi- nique a hésité à partir pour l’Afrique avant de se raviser. Le départ était incompatible avec une vie de famille déjà assezmou- vementée lorsqu’il est envoyé aux quatre coins de France. C’est un équilibre à trouver, Dominique

toujours avec le sourire dans une ambiance détendue. Deux fois par mois, elle propose même des soirées à thème, histoire d’améliorer encore l’ordinaire. “Le café est devenu en quelque sorte une seconde famille” confie Martine qui a repris cette adres- se il y a sept mois.Une volte-face dans sa carrière professionnel- le, car avant de s’installer à Noi- ronte, elle enseignait la techno- logie dans un collège parisien. Fille de commerçant, elle s’est faite à sa nouvelle vie comme à la clientèle. Car les gars du T.G.V. sont ici comme chez eux. “Ce sont des adeptes de l’imprévu. Ils disent qu’ils viennent manger à cinq et ils arrivent à dix” remarqueMar- tine qui ne s’est jamais vraiment offusquée de ce genre d’aléa.C’est ce qui plaît aux hommes desT.P., trop souvent considérés par le commerce local comme “desAmé- ricains” aux ressources sans fonds, quand ils débarquent dans une région. “Chez Martine”, on ne fait pas de chichi. La patronne cuisine des plats ajustés à un nombre de convives à géométrie variable et c’est bien ainsi.Ce soir,c’est cous- cous pour tout lemonde. S’il faut ajouter un couvert,ce ne sera pas un problème. Autour du zinc, la bande de copains parle boulot : bilan de la journée, les anecdotes, les pro- blèmes à régler. Autour du zinc, ils se marrent surtout. “Vu com- ment il pleut ici, c’est un canal qu’ils auraient dû faire, pas un T.G.V.” Prémonition ou pas, en tout cas, ce n’est peut-être pas perdu… Ces hommes sont un peu com-

femmes) s’adaptent à la localité, y cher- chent des repères autour desquels ils s’organisent une vie sociale. “ChezMartine” est une adresse qu’ils ont l’habitude de fréquenter. Cer- tains viennent y déjeuner le midi, d’autres passent le soir. Près de 20 % de la clientèle de l’établissement sont des gens qui tra- vaillent sur la L.G.V. La maîtresse de maison les accueille

“C’est dur quand même.”

Les gars de la L.G.V. tissent du lien social au café.

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