La Presse Bisontine 85 - Février 2008

La Presse Bisontine n° 85 - Février 2008

DOSSIER

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REPÈRES 2,5 interventions par an Spéléo Secours Français est sur le qui-vive Le Doubs est une terre propice à l’exploration spéléologique du fait de la nature même d’un sous-sol karstique fait de galeries et cavités. L’ antenne départementale du Spéléo Secours Français observe que c’est dans le Doubs “que les secours en milieu sou-

TÉMOIGNAGE Un des six spéléos Didier Pasian : “Je ne suis pas infaillible” Conseiller technique départemental en spéléo auprès du préfet du Doubs, Didier Pasian était un des six prisonniers du Verneau. Il raconte son expérience.

de Saône. Le département duDoubs est truffé de gouffres et de grottes qui sont les “portes” par les- quelles les randonneurs accèdent à ce sous- sol périlleux. Le pratiquer impose de connaître les règles de base nécessaires à la pratique de la spéléologie. Cette discipline laisse peu de place aux amateurs, “c’est pour eux que le Spéléo secours du Doubs intervient dans 90 % des cas. Les sauvetages sont très spécifiques : longs, complexes,milieu particulier, techniques multiformes (plongée, pompage, désobstruc- tion…). Ceux-ci sont donc hors de portée des structures de secours traditionnelles (pom- piers, gendarmerie, Samu, etc.) qui n’en accom- plissent qu’une faible partie (moins de 10 %).” Spéléo Secours Français recense en moyen- ne 18 accidents par an depuis 2003 “contre 60 il y a 15 ans. Chaque opération mobilise de 20 à 100 sauveteurs pour une durée de 5 à 48 heures.”

terrain sont parmi les nombreux de France” soit “2,5 interventions par an depuis 15 ans.” La nature même du sous-sol de ce territoire favorise les explorations. Il est caractérisé par un vaste réseau de galeries et de cavités qui forment le karst. Les entreprises de tra- vaux publics font souvent l’expérience des caprices du milieu géologique. Lors du creu- sement du tunnel desMercureaux par exemple, les équipes techniques ont été confrontées à l’affaissement brutal du terrain. C’est dans ce sous-sol tourmenté qui res- semble à un vaste labyrinthe que circule l’eau dans des quantités abondantes. Elle se dépla- ce pour ressurgir parfois au grand air sous la forme d’une source comme le Verneau à Nans-sous-Sainte-Anne, ou à Arcier, résur- gence des eaux qui s’écoulent sur le plateau Les secours en chiffres L’historique des secours spéléos dans le Doubs On distingue deux périodes “pic” : 1989-1990-1991 : période dite “des gros secours”, 10 interventions au total pour 66 010 euros. Quatre secours importants ont eu lieu pendant cet- te période : deux dans le réseau du Verneau, un dans la Grotte de Chauveroche, un à la Grotte de la Goulue. Ces quatre interventions totalisent 61 440 euros, les six autres totalisent 4 570 euros. 2001 : trois secours pour 55 190 euros, dont le Bief Paroux, à Goumois, totalisant à lui seul 51 380 euros. Ce secours est le plus coûteux du département de toute lʼhistoire de la spéléologie. Lʼintervention la plus longue restant celle du Gouffre du Paradis en 1968, à Trepot. Entre ces deux périodes, on distingue des phases plus ou moins calmes, avec 19 secours pour un total de 26 530 euros, avec un coût moyen/an de 2 590 euros et par opération de 1 396 euros. 2002, 2004, 2005 : aucun secours. Pour la première fois depuis 1950 (date à laquelle remontent les historiques précis), il nʼy a pas eu de secours pendant deux années consécutives. Avant Déservillers, il sʼétait coulé trois ans entre les deux derniers secours (Baume Sainte-Anne, août 2003 et Grotte des Cavottes août 2006). Cʼest la plus longue période sans secours dans le dépar- tement. Ce qui confirme une nouvelle fois, la baisse du nombre des interventions amorcée il y a déjà plu- sieurs années. Période 2000-2007 : Il peut être intéressant dʼobserver les interventions de cette période. Il y a eu sur ces huit années six secours, soit moins de un par an. Le total des frais générés par les équipes civiles du Spéléo Secours Français sʼélève à : 58 386 euros. Ce qui représente un coût annuel moyen de 7 298 euros et un coût moyen par opération de 9 731 euros. Cette période comprend le secours de Goumois (mai 2001), qui a coûté a lui seul 51 380 euros, soit 88 % du coût de tous les secours de ces huit années ! Le coût total des interventions en milieu souterrain, des équipes civiles de la Fédération Française de Spéléologie, pour le département du Doubs, depuis 1988, soit depuis 20 ans, est inférieur à 150 000 euros. Le coût moyen par opération est de 4 379 euros.

L a Presse Bisontine : Quel était votre objectif en descendant dans le Verneau ? Didier Pasian : On voulait faire une escalade dans le réseau afin d’essayer de trouver de nouvelles galeries. Cette opé- ration devait durer entre 15 et 20 heures. Nous avons fait cette escalade. Nous nous trou- vions alors dans des galeries sèches. On ne s’est pas rendu compte de la montée de l’eau.

Nous avons tenté de faire un repérage, ce que nous n’aurions pas dû car c’est là que deux copains ont été emportés par le courant. L.P.B. : Comment expliquez-vous que l’eau soit montée aussi rapidement ? D.P. : L’hiver est toujours une période intéressante pour les explorations spéléologiques justement parce que nous ne sommes pas soumis aux aléas climatiques tels que des épi- sodes orageux qui impactent de façon brutale sur la mon- tée des eaux. Le vendredi, lorsque nous avons pris la météo avant de partir, elle n’annonçait rien d’alarmant. Par ailleurs, comme il n’avait pas plu depuis longtemps sur le secteur, le niveau de l’eau était bas. Ce qui s’est passé est la conjonction de plusieurs fac- teurs. En novembre, il y a eu de fortes précipitations. Cette eau a été piégée dans la terre avec le froid. Mais avec le réchauffement de la tempéra- ture pendant le week-end, c’est comme si d’un coup on avait serré une grosse éponge. L.P.B. : En 2001, vous faisiez partie des sauveteurs qui sont intervenus à Goumois. Qu’avez-vous ressenti lorsqu’avec vos compagnons vous avez été piégés ? D.P. : Nous avons pensé à ces jeunes que nous étions allés chercher. Nous nous sommes dit aussi que nous étions plus protégés qu’eux, plus équipés, plus expérimentés. Pour notre petit groupe de quatre, on savait qu’on ne risquait rien. La seule chose à gérer, c’est le temps, les vivres et le niveau de l’eau. Évidemment, nous étions inquiets pour nos deux compagnons. L.P.B. :Vous vous doutiez qu’en sur- face secours et médias étaient mobi- lisés ? D.P. : Tous les six nous prati- quons la spéléo depuis long- temps, nous sommes tous des sauveteurs. On sait par expé- rience que les opérations de secours sont toujours très

médiatisées. Nous nous doutions que cette affaire allait faire autant de bruit que celle de Goumois. En plus, le fait que l’on soit sauveteurs nous- mêmes, en ajou- tait à l’histoire. J’ai d’ailleurs été contacté par Lau- rent Ruquier et Canal + pour par- ticiper à des émis- sions. J’ai refusé. L.P.B. :Comment avez- vous géré le stress et la faim ? D.P. : Nous avons rationné de manière drastique

“Un abricot et un pruneau sec par jour.”

COMMENTAIRE L’avis d’un spécialiste Samuel Prost : “Leur expérience leur a sauvé la vie” Conseiller technique adjoint au Spéléo Secours Français, il revient sur l’opération de sauvetage de Déservillers qui a nécessité l’intervention de cent sauveteurs spéléos.

les vivres. Ce n’est pas une anecdote quand on dit que nous avons mangé un abricot et un pruneau sec par jour. En revanche, nous avons bu beau- coup d’eau que nous allions puiser dans un petit torrent situé à une centaine de mètres de l’endroit où nous avions trouvé refuge. Je ne dirais pas que cette aventure est trau- matisante. Elle l’aurait été s’il était arrivé quelque chose de grave à nos deux camarades. Cela restera un mauvais sou- venir. Le plus dur à supporter quand on est dans cette situa- tion, c’est le stress compré- hensible des familles qui sont en surface. L’attente est insup- portable pour elle. L.P.B. : Estimez-vous avoir commis une imprudence ? D.P. : Quand on pratique une activité, même si cela se fait avec la prudence, on n’est jamais à l’abri d’un tel pro- blème. Je suis conseiller tech- nique départemental auprès du préfet, mais je ne suis pas infaillible. Nous avons annu- lé de nombreuses sorties spé- léo à cause de la météo. Nous serons encore plus vigilants à l’avenir.

L a Presse Bisontine : Est-ce que les spéléologues, expérimentés pour- tant, ont commis une faute en s’engageant dans le gouffre, ou alors est-ce un accident ? Samuel Prost : En fait, c’est plutôt la faute “à pas de chance.” C’est l’excès de chaleur qui a fait fondre la neige sur le plateau et qui a considérablement fait augmenter le niveau de l’eau dans les gale- ries du Verneau. Honnêtement, tous les gens qui pratiquent la spéléo seraient descendus dans le gouffre ce jour-là au regard des conditions météo. Cette affaire montre que nous sommes jamais assez vigilants et qu’il vaut mieux renoncer parfois plutôt que s’engager. L.P.B. : Les six spéléologues sont expé- rimentés. Leur formation les a sauvés selon vous ? S.P. : Je pense en effet qu’une bon- ne formation évite des drames.

fréquentation importante du sous- sol, par des spéléologues, qui offre des cavités exceptionnelles. Le Doubs est le terrain d’expédition le plus proche pour les Belges, les Allemands, ou les Hollandais. Beaucoup de spéléologues étran- gers viennent visiter notre sous- sol qui ne présente pas davanta- ge de risques que les Alpes ou les Pyrénées. Aussi les interventions auxquelles nous sommes habitués sont banales et classiques. Elles durent une demi-journée au maximum. Le dernier sauvetage d’envergure que nous avons eu à mener est celui de Goumois en 2001. L.P.B. : La spéléologie est-elle un sport dangereux ? S.P. : En France en 2007, il y a eu moins de 15 interventions. La spé- léologie n’est donc pas accidento- gène. L.P.B. :Combien de secouristes sont inter- venus à Déservillers pour mener cette opération ? S.P. : Il y a eu cent sauveteurs spé- léo de la fédération française de spéléologie.À cet effectif s’ajoutent les pompiers et les forces de gen- darmerie. L.P.B. : Pourquoi un sauvetage en milieu souterrain nécessite le déploiement d’autant de moyens, alors que ce sont des petites équipes de 8 à 10 hommes qui sont descendues chercher le grou- pe ? S.P. : La particularité de ce genre de secours est qu’il prend du temps. Il faut savoir qu’une équipe de sauveteurs part sous terre pour

Propos recueillis par T.C.

S’ils n’avaient pas été compétents, la fin de cette histoire aurait été proba- blement moins heu- reuse. L.P.B. : Le Doubs est une terre propice à la pra- tique de la spéléologie. Pour autant,est-elle plus dangereuse ? S.P. : Le Doubs n’est pas plus dangereux qu’un autre dépar- tement karstique. Le nombre d’opération de secours est lié à la

“La vie de six personnes n’a pas de prix.”

dix heures. Pendant toute cette période, vous n’avez plus de nou- velle de personne. Ensuite, quand les sauveteurs sont de retour à la base, ils ont besoins de 10 à 15 heures de récupération. Il nous faut au moins autant de sauve- teurs opérationnels en surface, que dans les galeries pour inter- venir rapidement. À Déservillers, en plus des 100 spéléos présents sur le terrain, il y en avait une cinquantaine d’autres en pré-aler- te, qui étaient prêts à se mobili-

ser en cas de besoins.

L.P.B. :Avez-vous déjà chiffré le coût de l’opération de secours de Déservillers ? S.P. : On travaille sur la question. Mais c’est inutile de rentrer dans la polémique qui suit souvent ce genre d’événements et qui consis- te à savoir si les secours sont coû- teux ou non. Ce qui est sûr, c’est que la vie de six personnes n’a pas de prix.

Propos recueillis par T.C.

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