La Presse Bisontine 78 - Juin 2007
BESANÇON
La Presse Bisontine n°78 - Juin 2007
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HISTOIRE Portraits croisés Des artisans racontent “leur” Planoise Claude Voidey et Juvenal Da Silva faisaient partie des ouvriers qui ont contribué à la construction du pre- mier bâtiment du quartier de Planoise. Ils se souviennent.
Juvenal Da Silva et Claude Voidey exhibent avec une certaine fierté leur fiche de paie.
P lanoise évolue. Alors que des bâtiments de ce quartier popu- laire ont été déconstruits, Clau- de Voidey et Juvenal Da Silva n’ont pas oublié. Il y a quarante ans, ces deux hommes désormais retraités étaient engagés dans la construction du premier immeuble de Planoise situé aux 1, 3 et 5 rue de la Franche-Com- té. Claude Voidey, 22 ans, était alors élec- tricien, salarié de la société Lyonnai- se Barde qui avait une antenne à Besan- çon, laquelle employait une centaine de personnes. Juvenal Da Silva, 26 ans, était quant à lui maçon de l’en- treprise générale de construction L’Hé- ritier, dont le siège était à Pont-de-Roi- de. Ils ont gardé de cette époque un wagon de souvenirs et leurs fiches de paie qu’ils exhibent avec une certaine fierté. Ces documents se présentent sous la forme d’une bande de papier large de 4 cm et longue de 40. “En janvier 1966, je gagnais 840 F. On n’était pas trop mal rémunéré. À côté de ça on avait droit à une prime qui dépendait du travail que l’on effectuait et de la sym- pathie du chef de chantier. Elle pou- vait varier entre 10 et 150 F” se sou- vient avec plaisir Juvenal Da Silva dont la langue a gardé son petit accent maternel. Portugais d’origine, il s’est
installé en France en 1962, à une pério- de où l’appel de main-d’œuvre était fort. “Je suis arrivé à 11 h 15 à la gare de Besançon. Un véhicule de la socié- té L’Héritier était là pour m’accueillir” raconte-t-il. À écouter ces deux pionniers dans l’émergence de Planoise, le contexte était bien différent de celui d’aujour- d’hui : du salaire, jusqu’à l’ambiance sur le chantier. “Sur la feuille de paie on avait trois retenues : l’assurance-
de gloire. Pourtant les condi- tions de travail n’étaient pas des plus confortables.
À Planoise les maçons construisaient en moyenne un étage par semaine. Les grues dressées sur le site ryth- maient le paysage où les vaches pais- saient encore. “Ça travaillait le jour et la nuit” se souvient Claude Voidey. La construction est faite en béton ban- ché. On n’utilisait donc pas de plots pour faire les murs, mais des grandes banches métalliques qui servaient de moule à l’intérieur desquelles lamatiè- re était coulée. “On coulait du béton chaud tous les jours quels que soient le temps et la température, et parfois jusqu’à 11 heures du soir. Il fallait absolument couler pour ne pas nuire à l’organisation du chantier. Comme il n’y avait de camion toupie, le béton était fabriqué sur place. À l’époque Planoise était de la belle construction” se souvient le maçon. À l’intérieur pas de placco pour réaliser les cloisons, mais des briques systématiquement plâtrées. Pas de répit donc, “nous tra- vaillions même les jours fériés” ajou- te l’électricien. Selon eux, environ 300 personnes étaient engagées dans la construction de Planoise, à user leurs bottes dans
maladie (5,40 %), le chô- mage (0,04 %) et la coti- sation retraite (1,44 %)” remarque Claude Voi- dey. Pour 10 centimes d’écart, les hommes qui travaillaient sur le pro- jet étaient prêts à chan- ger de société, consé- quence du plein-emploi. “Le matin un gars pou- vait quitter son employeur, et l’après- midi il commençait chez le voisin” rappelle Juve- nal Da Silva. C’était comme ça. Employeurs et employés acceptaient la règle du jeu, alors que le secteur du bâtiment vivait une de ses plus belles heures
“Étonnam- ment, nous n’avions pas la pression.”
le béton et l’huile des banches. “Il fai- sait tellement froid parfois que nous faisions chauffer l’eau pour pouvoir faire le plâtre nécessaire pour rebou- cher nos tranchées” précise Claude Voi- dey. “C’était dur, mais on en garde de bons souvenirs, car nous formions une bande de copains. On se chahutait entre corps de métiers. Le soir comme le week- end, nous laissions tous nos outils en place sans surveillance, il n’y avait pas de vol” disent-ils. L’ambiance les aidait à supporter le rythme du chantier. Les soixante heures par semaine ne les effrayaient pas. “Étonnamment, nous n’avions pas la pression. Il y avait des délais à tenir, mais on faisait les heures qu’il fallait pour les respecter. En fait, on prenait le temps de travailler.”
Pendant les grèves de 1968, “les gars du bâtiment n’ont pas débrayé. Il faut dire que nous n’avions pas de syndi- cat. Mais un matin, le chantier de Pla- noise était inaccessible car des camions de cailloux avaient été vidés devant les entrées. Là, ça a été chaud. Nous avons été arrêtés pendant deux semaines à cause des grèves.” Aujourd’hui, Claude Voidey et Juve- nal Da Silva ont pris de la distance par rapport à Planoise que le maçon avoue même détester pour “y avoir trop travaillé.” Et puis il y règne aus- si la mémoire de ces hommes qui ont laissé leur vie accidentellement lors de la construction.
Les grues occupaient le paysage.
T.C.
“Quand on construisait, il y avait encore des vaches autour de nous” disent les bâtis- seurs.
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