La Presse Bisontine 74 - Février 2007

REPORTAGE

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SANS DOMICILE FIXE : LE CASSE-TÊTE EST AUSSI BISONTIN Avec l’arrivée de l’hiver, la situation alarmante des sans domicile fixe a occupé le devant de la scène médiatique depuis plusieurs semaines. Mais le problème est complexe. Car les besoins ne se limitent pas à des places d’hébergements

S ur la table, entre les croissants et le café, le journal est déplié. Jean (*) cherche son horosco- pe. Sur la première page, les gros titres annoncent la vic- toire de l’association des enfants de Don Quichotte, qui a lancé la mobilisation autour de la situation préoccupante des S.D.F. et interpellé les pouvoirs publics. La veille, l’association avait obtenu du gouvernement le doublement des places d’urgence et levé son camp de tentes à Paris. Jean suit l’actualité de loin mais est plu- tôt satisfait. “Les politiques, ils ont beau- coup de bonnes idées, mais ils ne sont pas les seuls à décider. Après, il faut aus- si que les gens suivent derrière et ce n’est pas gagné” , dit-il. Pratiquement tous les matins, il se rend à l’accueil de jour de la Buanderie, dans le quartier Saint- Ferjeux. Un accueil pour les sans-abri, où on peut prendre le café, une douche ou laver son linge. Et discuter. À côté de lui, Domy, son ami de galère, la quarantaine aussi, n’attend rien des propositions actuelles. “C’est la premiè- re fois qu’on entend parler des S.D.F. parce qu’il y a des élections cette année. Faut pas se faire d’illusion. C’est facile de dire on va faire ceci ou cela” , affirme- t-il. Lui ne demande rien. Il a son “petit squat pas trop mal” , ses combines pour obtenir des croissants rassis dans cer- taines boulangeries, fait le tour des centres d’accueil. “On discute tous ensemble, il y a une bonne ambiance” , affirme-t-il. Il ne se souvient plus depuis quand il vit dans la rue. Longtemps. L’année der- nière, il avait un petit appartement. Il en est parti de lui-même en août der- nier, a toujours les clefs. “Je l’ai quitté. J’aime mieux être avec mes sacs. Avec un appartement, on n’a pas la liberté, avec tout ce qu’il faut payer, les pou- belles, l’électricité…” dit-il. “Avant, j’ai même eu du mal à dormir dans le lit. J’avais trop l’habitude des squats, alors je dormais sur le sol.” Désormais, il ne

Certains S.D.F. refusent de se rendre dans les

veut plus d’hébergement. La médiatisation “a le mérite de mettre au premier plan cette population-là et porter le problème au niveau politique” , reconnaît Ludovic Brenot, qui tient l’ac- cueil de la Buanderie. Mais pour lui, trouver un logement ne résout pas tout. “Le logement, comme l’emploi, n’est pas viable s’il n’y a pas de relations sociales” , nuance-t-il. “Des propositions d’héber- gement, il y en a toujours eu. Mais ce n’est pas parce qu’on aurait des loge- ments libres que le problème est réglé. Il y a aussi une dimension sociale, des pro- blèmes de dépendance, de santé à solu- tionner. Sinon, on risque de retourner vite à la case départ.” 530 personnes ont été accueillies l’an- née dernière à la Buanderie. “Mais dif- ficile de dire combien de personnes sont sans domicile. Tous ne viennent pas. On sait que beaucoup, à Planoise par exemple, dorment dans des caves, squattent chez des amis. Au centre-ville, on a muré tous les squats, le phénomène s’est déplacé vers des quartiers plus périphériques” , dit-il. Pour le travailleur social, l’ac- compagnement doit être progressif, lent. “Il faut partir de là où ils sont actuelle- ment. Si la personne est en squat, par- tir du squat et avancer avec eux pro- gressivement. Actuellement, on mure, on repousse le problème et on ne résout rien” , dit-il. “Si on veut intégrer les personnes, on doit d’abord les intégrer dans un accueil de jour, recréer du lien puis pas- ser à l’échelon d’un quartier et enfin à la ville. Mais il faut qu’ils gravissent doucement les échelons.” En décembre, une partie des personnes en grande difficulté sociale de l’accueil de jour ont participé au marché de Noël de Besançon. Une petite victoire pour Ludovic Brenot. “Il faut prendre des risques, mais c’est ainsi que l’on peut réussir, en laissant les personnes être acteurs.” À Besançon, pour prendre en charge les sans domicile fixe, il y a les abris de jour, la Buanderie et la Boutique. Pour la

nuit, l’abri de nuit des Glacis, qui ouvre dès 17 heures, a été entièrement réamé- nagé il y a quelques mois. “Il y a main- tenant des douches, quelques chambres individuelles, c’est infiniment mieux qu’auparavant” , poursuit un travailleur social. Mais certains S.D.F. préfèrent rester dehors. “L’abri de nuit, avant, avait mauvaise réputation, certains ne s’y sentaient pas en sécurité, avaient peur d’être volés” , reprend Ludovic Brenot. Le soir, la veille sociale patrouille dans les rues, pour aller à la rencontre des plus isolés. “On repère des situations d’isolement, on peut distribuer des cou- vertures. Cela consiste souvent juste à avoir une relation basique, créer du lien pour leur signifier qu’on est là en cas de besoin.” Dehors, il bruine doucement. “Le plus gênant, ce n’est pas le froid. C’est la pluie, l’humidité. On ne peut plus rester dehors” , dit Jean. Alors quand il pleut, “on a nos sièges réservés à la gare” , plaisante-t-il. “Il faut garder le moral, c’est le plus important. Quand on ne l’a pas, on se rebooste . Quand on touche le fond, on finit forcément par remonter. Il faut aus- si tout faire pour se tenir propre aussi et éviter de trop boire, sinon on n’est plus soi-même” , raconte-t-il encore. Son histoire est “tristement banale” , dit- il. Un divorce, le chômage. “Un jour, vous disjonctez à l’usine et donnez votre démission. Puis le divorce. Cela va très vite. Beaucoup plus vite que l’on ne croit. C’est dur, surtout quand on a tout au départ” , dit-il. Il lui reste sa voiture,

structures d’héberge- ment. Par peur d’être

rackettés par- fois ou parce que les chiens sont interdits.

c’est là maintenant qu’il habite. Pour un euro par nuit, il la gare chaque soir dans un des parkings souterrains de la ville. “Au niveau - 4, c’est là où il fait le plus chaud. En plus, c’est sécurisé, il y a un gardien” , dit-il. Les situations qui dérapent rapidement, Christophe connaît aussi. “Personne n’est à l’abri. Dans la rue, j’ai croisé des hommes qui sortaient de prison, qui avaient divorcé et avaient perdu leur appartement et se retrouvaient là” , affir-

Cette année, l’abri de nuit des Glacis a été rénové entièrement. “Il y a aussi une dimension sociale, des problèmes de dépendance, de santé à solutionner. Sinon, on risque de retourner vite à la case départ”, affirme Ludovic Brenot.

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