La Presse Bisontine 73 - Janvier 2007

L’ÉVÉNEMENT

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Dépassements d’honoraires : L’ESCALADE

Le sujet, latent depuis plusieurs années, devient de plus en plus vif. Les derniers chiffres sont éloquents : les médecins autorisés à pratiquer des dépassements d’hono- raires n’en ont jamais autant réclamé. À tel point qu’au- jourd’hui, l’accès à certains soins est devenu quasiment impossible pour certains patients. À Besançon, des voix s’élèvent contre ces pratiques autorisées mais jugées dis- criminatoires. De leur côté, les praticiens justifient les dépassements par le maintien d’un niveau de rémunéra- tion décent. Diagnostic d’un phénomène de société.

MÉDECINE Jusqu’à 150 000 euros par an La “dérive incontrôlée” des dépassements d’honoraires

Les dépassements d’honoraires des médecins spécialistes sont supérieurs de plus de 50 % aux tarifs conventionnels. L’Assurance Maladie condamne les dépassements illégaux tandis que certaines mutuelles parlent de dérives. De leur côté, les médecins défendent le maintien d’un certain niveau de revenus.

40 % des médecins spécialistes pra- tiquent des honoraires libres : ceux situés en secteur 2 et ceux en sec- teur 1 qui bénéficient d’un droit permanent à dépassement (voir plus bas). Mais cette statistique cache de fortes disparités : les chi- rurgiens sont par exemple quasi- ment tous - à plus de 81 % - ins- tallés en secteur 2. Ils sont 53 % chez les gynécologues et à l’inver- se, moins de 14 % chez les géné- ralistes. Et par rapport aux tarifs rem- boursés par la Sécurité Sociale, là encore, les disparités sont fortes selon les disciplines. Chez les gyné- cos, les honoraires réclamés aux patients sont supérieurs de 67 % aux tarifs “Sécu”. Ils sont supé- rieurs de 60 % pour les dermato-

logues. Selon l’Assurance Maladie, la palme revient aux praticiens hospitaliers qui bénéficient du sec- teur privé à l’hôpital. Leur taux de dépassement est de 100 % ! La Mutualité Française, inquiète de cette évolution, estime que la situa- tion est “extrêmement préoccupante.” La mutuelle pointe aussi du doigt “la corrélation entre l’importance de l’offre en secteur 2 et l’impor-

réforme, c’est qu’on a ouvert les pos- sibilités de dépassements aussi aux professionnels installés en secteur 1. Et quand un patient consulte un spécialiste sans avoir été envoyé par son généraliste, ce spécialiste peut “prendre” ce qu’il veut.” Selon lui, “le différentiel de chiffre d’af- faires entre les médecins généra- listes, le plus souvent en secteur 1, et les spécialistes, le plus souvent en secteur 2, a augmenté de plus de 50 % dans les dix dernières années.” Pas étonnant alors que les étudiants en médecine lorgnent de plus en plus vers les spéciali- tés, délaissant la médecine géné- rale. “L’an dernier, il y avait 96 postes disponibles d’omnipraticiens à la sortie de la fac de médecine de Besançon, seuls 8 ont été pourvus.” La question des dépassements d’ho- noraires est devenue si sensible qu’elle a fait récemment l’objet d’un débat houleux à l’Assemblée Natio- nale. “Nous sommes arrivés dans une situation extrêmement inéga- litaire. Les dépassements se prati- quent de plus en plus couramment. Quand on parle de risque d’une médecine à deux vitesses, non seu- lement c’est devenu une réalité mais on a même enclenché la troisième vitesse !” poursuit M. Magnin-Fey- sot. Ce dernier dénonce une autre inéga- lité née de la pénurie de médecins : les discriminations opérées par cer- tains médecins qui refuseraient de recevoir les patients bénéficiant de la C.M.U. (couverture médicale uni- verselle). À ce sujet, le collectif national dont il est membre vient de déposer une plainte devant la Haute Autorité de lutte contres les discrimanations. Car autant que la question des dépassements d’ho- noraires, cette tendance récente participe au lent délitement du sys- tème de santé actuel.

tance des dépasse- ments.” Car le niveau de dépasse- ment atteint des sommets. En 2004, le dépas- sement moyen d’un spécialiste attei- gnait la somme de 73 000 euros par an,

T out ce qui est rare est cher. La formule vaut aussi pour le secteur médical, censé pour- tant être totalement extérieur à toute notion commerciale. Et pourtant. À Besan- çon comme dans le reste du pays,

En 2005, on a créé une sorte de rideau de fumée.”

la pénurie de médecins a une consé- quence inattendue : l’explosion des dépassements d’honoraires récla- més par les praticiens autorisés, c’est-à-dire essentiellement ceux situés en secteur 2, dit à honoraires “libres”. Sur le territoire national, près de

ce qui correspond environ au tiers des honoraires totaux perçus. Pour d’autres disciplines, la moyenne des dépassements crève les pla- fonds : plus de 105 000 par an pour les anesthésistes, 115 000 pour les stomatologues et 145 000 euros pour les neurochirurgiens. “Depuis dix ans, les spécialistes augmen- tent en moyenne leurs dépassements de 8,3 % par an” précise la C.N.A.M. “Comme l’offre de soins est rare sur Besançon pour certaines spéciali- tés, ces spécialistes organisent le “marché”. Les dépassements d’ho- noraires se pratiquent de plus en plus. Et c’est la même chose à l’hô- pital. Certains chefs de service peu- vent demander un complément dès lors que le patient verra la spécia- liste en question dans le cadre de ses activités privées” commente le Bisontin Christian Magnin-Fey- sot, membre du collectif interas- sociation sur la santé. “Le système a explosé ajoute Martial Olivier- Kœhret, médecin franc-comtois, nouveau président national du syn- dicat M.G. France. En 2005, on a créé une sorte de rideau de fumée avec la mise en place du parcours de soin. Un des résultats de cette

EXPLICATION La création du secteur 2, cause de tous les débordements

D epuis 1971 en France, les médecins ont l’obli- gation d’appliquer le tarif opposable fixé par la Sécurité Sociale. Mais dès 1974 ont com- mencé à apparaître des exceptions devant la grogne des professions de santé. La première au bénéfice des médecins pouvant user de dépassements per- manents (D.P.) de par leur réputation ou après avoir effectué un parcours universitaire brillant. La deuxième exception est la création d’un secteur 2, décidée par une convention nationale signée en mai 1980 entre l’Assurance Maladie et la Fédéra- tion des Médecins de France (F.M.F.), rejointe plus tard par la Confédération des syndicats médicaux français (C.S.M.F.). “Ce secteur 2 a été créé pour per- mettre à la puissance publique de conserver l’accès aux soins avec des tarifs abordables et de donner la possibilité aux médecins d’avoir des revenus corres- pondant au niveau d’investissement qu’ils enga- geaient” explique un médecin bisontin. Le secteur 2 permet aux praticiens de dépasser les

tarifs opposables tout en restant conventionné. Selon les textes officiels adoptés en 1980, il faut que ces dépassements soient faits “avec tact et mesure.” En contrepartie, les médecins en secteur 2 paieront plus de cotisations sociales que les praticiens qui ont choi- si de rester en secteur 1 qui, en échange de la modé- ration de leurs tarifs, bénéficient d’une prise en char- ge partielle de leurs cotisations sociales. En 1989, les pouvoirs publics gèleront l’accès au sec- teur 2 pour limiter les risques de dérapages. Mais cette interdiction n’est que de façade. En effet, tout nouveau praticien qui possède un titre d’ancien chef de clinique ou ancien assistant des hôpitaux, ou enco- re praticien chef de clinique peut encore bénéficier des dépassements d’honoraires. Bref, tous les spé- cialistes ou presque possèdent un de ces titres. Le secteur 2 est donc loin d’avoir vécu ses dernières heures. Plus de la moitié des spécialistes nouvelle- ment installés ont choisi le secteur 2 à honoraires libres.

J.-F.H.

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