La Presse Bisontine 73 - Janvier 2007

17 DOSSIER ILS ONT CHOISI DE CRÉER LEUR ENTREPRISE EN SUISSE

HORLOGERIE Création en 2004 Devant le manque d’écoute en France, il a passé la frontière Après une première expérience professionnelle en tant que salariés, plusieurs créa- teurs français ont choisi de voler de leurs propres ailes en créant leurs propres socié- tés en Suisse. Exemple avec Sébastien Rousseau à Saignelégier, dans le Jura suisse. Jeunes créateurs français, anciens salariés, ils ont fait le choix de créer leur activité de l’autre côté de la frontière, et non pas à Besançon. Ils disent pourquoi.

Faute d’avoir pu obtenir un écho favorable à ses projets, Sébastien Rousseau s’est tourné sans complexe et surtout sans regret vers la Suisse.

O riginaire des Ardennes, ce jeu- ne chef d’entreprise a d’abord suivi un parcours commun à la plupart des salariés attirés par l’eldo- rado suisse.Après une formation d’hor- loger en Haute-Savoie et soucieux de s’investir professionnellement dans la “complication”, il décroche assez faci- lement un emploi chez Claret au Locle, à deux pas de la frontière française, dans le canton de Neuchâtel. Il y res- tera pendant deux ans en venant vivre en France voisine. “J’avais envie de m’installer à mon compte. Au départ, j’envisageais de retourner dans les Ardennes car il existe dans cette région une très forte tradition métallurgique. Mais ce projet n’a pas du tout fonctionné. Aucune banque française ne voulait me soutenir même pour un investissement de l’ordre de 25 000 à 30 000 euros. Les services de l’État ne sont d’aucun secours

tien Rousseau Horloger Créateur - est spécialisée dans la conception, la réa- lisation ou lemontage demontresméca- niques très haut de gamme comman- dées par les grandesmarques horlogères du pays. Les phases de fabrication sont confiées à d’autres sous-traitants com- me lui souvent locataires de petits ate- liers. D’où l’idée suggérée par un hom- me providentiel, en l’occurrence Pierre-AlainGilliéron (ancien directeur de France Ébauches), de centraliser ces savoir-faire complémentaires dans un seul bâtiment. “En Suisse, fiancer la construction d’un bâtiment industriel suppose d’avoir 50 % de fonds propres. On a pu bénéficier d’une aide du gou- vernement équivalent à 20 % des inves- tissements et accordée sous réserve d’em- ployer de préférence des gens du coin.” Ce qui semblait impossible sur le plan individuel, le devient ainsi en fédérant

sept entreprises comprenant chacune de 6 à 10 salariés dont les 3/4 sont fron- taliers pour l’anecdote. Ce groupement se dote ainsi d’un bel outil de travail flambant neuf situé à la sortie de Saignelégier sur la route de Delémont. “De la conception aux fini- tions, on concentre une bonne partie des métiers gravitant autour de l’horloge- rie haut de gamme : design , reconver- sion d’anciennes machines-outils en commande numérique, fraisage, décol- letage, fabrication des pièces…On fonc- tionne également avec demultiples autres partenaires” poursuit le dirigeant. Dans le monde très confidentiel de la sous-traitance, pas question de divul- guer le nom des donneurs d’ordres, ni de révéler les projets en cours. “Cer- tains modèles peuvent atteindre le mil- lion de francs suisses” , confie Sébastien à titre indicatif. Les sept sociétés ont œuvré en commun sur un prototype de montre “cinéma” distribué lors du fes-

tival de Cannes. “C’est là tout l’avan- tage des petites structures. On est plus réactif et généralement plus rapide. Ici, on est capable de sortir un projet de montre à complication en quelques mois alors qu’il en faudrait peut-être deux fois plus au sein d’une grande société.” Au moment de la création de sa socié- té, Sébastien Rousseau a apprécié le soutien des banques locales plus com- préhensives sur certains points tels que les autorisations de découverts. Son implantation en zone frontalière se justifie par les difficultés à trouver en Suisse assez de main-d’œuvre qua- lifiée. Les compétences sont présentes en abondance en France et il est facile de les attirer vu les salaires proposés. “Les charges patronales en Suisse avoi- sinent seulement 17 % au lieu des 52 % en France. Un salarié ne coûte donc pas plus cher ici tout en étant mieux rému- néré” affirme le nouveau chef d’entre- prise.

quand il s’agit par exemple de garan- tir un prêt. Dans les réunions sur la création d’entreprise, on nous informe surtout sur la manière d’obtenir des subventions. Ça relève davantage de la course aux aides en oubliant de s’inté- resser à l’activité proprement dite” , explique Sébastien Rousseau, assez écœuré. Sans complexe, il s’est ensuite tourné vers la Suisse où les démarches sem- blent beaucoup plus réalistes. “Il suf- fit d’abord de se déclarer dans la com- mune d’implantation. C’est eux qui se chargent ensuite des rendez-vous avec les services concernés. Il y a autant de formalités à régler qu’en France mais ici, au moins, on nous les explique clai- rement” dit-il. Sébastien s’installe alors sur la commune des Bois située entre La Chaux-de-Fonds et Saignelégier. Créée en 2004, son entreprise - Sébas-

LE LOCLE

Horlogerie Un démarrage sur les chapeaux de roue

ARGUMENT L’atout “Swiss Made” Il semble très complexe de quantifier le phénomène, si phénomène il y a, des implantations ou délocalisations françaises sur la bande frontalière. La force de la Suisse réside en tout cas dans son fameux “Swiss made”. “D e par sa taille critique, la Suis- se est un État de sous-dévelop- pement statistique pour appré-

Ancien frontalier, Guillaume Camensuli a créé sa société en mai dernier au Locle. Après quelques mois d’activité, il envisage déjà de nouveaux investissements matériels et humains.

ce administratif. Vu son domaine d’activité dans la sous-traitance horlogère, il lui a semblé tout à fait logique de s’installer en Suisse. “On évite les complications doua- nières et les difficultés auxquelles sont confrontés les jeunes chefs d’en-

T ravaille d’abord, aménage ensuite. C’est l’impression ressentie en découvrant l’en- vironnement dans lequel évoluent les trois horlogers et le régleur en commande numérique formant l’ef- fectif de la sociétéC.M.P.U. Camen- suli (Complication Modèle et Piè- ce Unique). “On a vraiment été surpris par le démarrage au point de devoir anticiper sur l’achat de machines à commandes numériques qui s’avéraient indispensables pour

honorer les commandes” , indique le chef d’entreprise. Après un premier emploi en Suis- se, cet horloger a enrichi son expé- rience en travaillant quatre ans chez un grand horloger du Locle. La création de C.M.P.U. s’inscrit dans la continuité de ce parcours professionnel. À partir de janvier, Guillaume Camensuli a prévu d’occuper tout l’étage où se trouve sa société en aménageant par exemple un espa-

treprises français. Sachant que la plu- part de nos clients sont suisses, c’est important d’être dans leur pays. C’est un plus sur la car- te de visite.” Dans la famille des artisans horlogers, Guillaume Camen- suli distingue deux catégories, les

“On assemble des pièces pour les grandes marques.”

en Suisse peut se dire si ça tourne mal, j’aurai moins d’ennuis” ajoute l’obser- vateur. Pour Pierre Hiltpold, les admi- nistrations suisses appliquent également de façon plus claire les dispositions de l’accord sur la libre circulation des per- sonnes. Quand un Français s’adresse à une administration suisse, tous ses droits lui sont expliqués. “Un suisse qui ferait lamême chose en France se heurtera à un mur.”

cier ces mouvements de délocalisations. Une chose est certaine par contre, on sait très bien que l’horlogerie haut de gamme traverse une période faste. Pour le bas de gamme, ça va aussi mais sans plus” , indique Pierre Hiltpold, directeur de la chambre de commerce neuchâteloise. En période de prospérité, les grandes marques horlogères ont forcément besoin de pièces et de nouveaux sous-traitants, ce qui génère des possibilités d’installa- tion de candidats suisses ou français. “Dans ce cadre-là, l’horlogerie suisse est protégée par son fameux Swiss Made. Le simple fait de réaliser en Suisse est une garantie, un facteur susceptible d’attirer les entreprises gravitant autour de la montre.” Autre atout qui peut entrer en ligne de compte, le libéralisme économique suis- se où il est beaucoup plus facile de recru- ter et d’ouvrir une société. “Le risque conjoncturel de fermer ou de licencier est moins élevé en Suisse. C’est une facilité indéniable. Le candidat à l’installation

puristes exerçant souvent indivi- duellement dans le respect des modes de fabrication traditionnels et ceux qui s’impliquent dans l’ac- tivité en ayant le souci de créer des emplois. Bénéficiant d’un apport personnel, il n’a connu aucune dif- ficulté lors de son installation. “Déplacement compris, cela m’a pris deux heures de démarches, le tempsd’allerm’inscrire à la chambre de commerce qui se charge ensui- te du dossier.” Les trois salariés recrutés sont des frontaliers français. Guillau- me Camensuli apprécie égale- ment de travailler en bonne enten- te avec d’autres jeunes P.M.E. Une solidarité bien utile en pha- se de démarrage.

Un facteur susceptible d’attirer les entreprises.

Au sujet des aides à l’ins- tallation accordées sur le canton de Neuchâtel, il confirme leur existence tout en étant plus nuancé sur leur utilisation. “Ce type d’avantage est octroyé quand

Sitôt installé, Guillaume Camensuli a très vite été sollicité au point de devoir anti- ciper l’achat de nouvelles machines.

les répercussions locales sont importantes. Une petite entreprise de deux ou trois frontaliers n’aura donc pas grand-cho- se, au contraire d’un projet suscep- tible de générer de l’emploi local. Là, on observe généralement plus d’en- thousiasme à accorder un avantage fiscal” termine-t-il.

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