La Presse Bisontine 73 - Janvier 2007

DOSSIER

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CONCURRENCE Réactions Les patrons veulent rediscuter les accords bilatéraux

franco-suisses, signés en 2002. “Il ne s’agit pas de revenir sur l’intégralité des accords, mais des modifications doivent être apportées, vers plus de réci- procité. Actuellement, on est les parents pauvres du système. Pour les entre- prises, les règles du jeu sont inégales” , reprend Daniel Ganahl, le secrétaire général du M.E.D.E.F., qui regrette que les entreprises “n’aient pas été entendues à la signature de ces accords.” Dans le collimateur des entreprises, se trouvent principalement le systè- me de chômage des travailleurs fron- taliers et les problèmes de formation. “Un travailleur transfrontalier qui perd son emploi est indemnisé en France sur la base de son salaire suisse. Il gagnera plus en restant au chômage qu’en travaillant” , regrette Étienne Boyer. “On ne peut pas non plus indé- finiment former les salariés en Fran- ce pour les voir partir en Suisse dès qu’ils acquièrent de l’expérience, cela a un coût” , reprend un industriel. Du point de vue politique aussi, la concurrence suisse inquiète. “La ques- tion n’est pas une remise en cause des accords mais une évolution de ceux-ci. Les accords ne sont pas figés. Le prin- cipe doit être maintenu mais en allant plus loin. Il est clair qu’actuellement la Suisse n’a pas toutes les contraintes de l’Union européenne” , affirme le dépu- té du Haut-Doubs Jean-Marie Biné- truy (U.M.P.) qui a participé à la com- mission d’information parlementaire sur les délocalisations dont le rapport vient d’être remis à la commission éco- nomique de l’assemblée. Lors de son

enquête, la commission s’est notam- ment intéressée à la concurrence fran- co-suisse et préconise notamment un assouplissement des contraintes régle- mentaires et administratives du code du travail et une adaptation du droit fiscal. “Le financement de la couver- ture sociale s’appuie sur les cotisations salariales et patronales. Certains membres de la mission ont préconisé de substituer à ce système le principe

Face à l’accélération de la fuite de la main-d’œuvre qualifiée vers la Suisse, les accords bilatéraux adoptés en 2002 sont dans la ligne de mire du patronat.

“F e plus en plus de respon- sables d’entreprises se demandent ce qu’ils font en France” , affirme Étien-

ne Boyer, le président de l’union des industries et métiers de la métallur- gie (U.I.M.M.) du Doubs. Alarmés par la fuite de la main-d’œuvre qualifiée

vers la Suisse et les projets de délo- calisation d’entreprises frontalières, les milieux patronaux appellent à la remise en cause les accords bilatéraux

d’une T.V.A. sociale per- çue sur les produits impor- tés” , explique ainsi Jean- Marie Binétruy. Dans la bande frontaliè- re, certains élus locaux réclament aussi l’instau- ration d’une zone franche franco-suisse, pour rédui- re les distorsions de

“Les accords ne sont pas figés.”

SUISSE

Attractivité “Le coût horaire du travail est 12 % moins cher en Suisse” Moins de charges patronales, des temps de travail plus longs… Selon les chefs d’entreprises comtois, le coût du travail est moins cher en Suisse.

concurrence entre les deux pays. “Peu probable que cela soit choisi car vu de Paris, la région avec ses 5 % de chô- meurs est un secteur favorisé” , reprend Jean-Marie Binétruy. Une solution qui ne satisfait pas non plus les syndicats, opposés à la zone franche mais favo- rables à une révision des accords bila- téraux. “Une zone franche, cela veut dire plus de cotisations sociales pour financer la solidarité. Par contre, il faut peut-être renégocier les accords, ce n’est pas un gros mot. Les compé- tences professionnelles sont acquises chez nous, il faut payer la réalité des coûts” , dit Maxime Guillemin, secré- taire départemental de la C.G.T. qui prône une “harmonisation fiscale et sociale.”

“O n a fait le compa- ratif. De façon très précise. Avant les 35 heures, les coûts à l’heure de travail étaient les mêmes des deux côtés de la fron- tière. Désormais, le travail est 12 % moins cher en Suisse qu’à Besançon” , affirme Olivier Bour- geois, vice-président du groupe Bourgeois. Sous les feux de l’actualité depuis plusieurs semaines, pour avoir remis en cause l’accord sur les 35 heures au sein de son entre- prise bisontine, le groupe pos- sède depuis quinze ans R.D.H., une filiale spécialisée dans le découpage de tôles de transfor- mateurs à Courgenay, dans le Jura suisse. R.D.H. y emploie une cinquantaine de salariés et produit 10 à 15 % de du volume total du groupe. Une implanta- tion en dehors de l’Union euro- péenne qui permet à Bourgeois de contourner les quotas euro- péens en matière d’approvi- sionnement de métaux pour sa filiale et d’accéder à desmatières premières “moins chères et sans limite quantitative.” C’est le paradoxe suisse. À entendre les chefs d’entreprise franc-comtois, la Confédération Helvétique est un pays low-cost au niveau du coût du travail, alors même que les salaires y sont pourtant 50 à 60%plus éle- vés qu’en France en moyenne.

On aura tout vu ! Les raisons de cette différence de compétitivité, pour l’entre- preneur : les charges françaises et la durée du temps de travail. Car les Suisses ne disposent que de quatre semaines de congés payés - contre cinq en France - et de 42 heures de travail heb- domadaires. “Le taux des charges est plus que du simple au double en additionnant les charges sociales et patronales, on arrive à un taux de 70 % en France - dont 48 % à la charge de l’em- ployeur - contre 32 % en Suisse - dont 18 % de charges patro- nales” , poursuit Olivier Bour- geois. “La Suisse reste un pays low-cost . Même si le sujet reste souvent tabou. Il faut véritable- ment se pencher sur le problème de la compétitivité française.” Et le problème est encore plus visible dans leHaut-Doubs, fron- talier avec la Suisse. De la por- te de l’usine de Raymond Bre- net, aux Verrières-de-Joux, on peut presque apercevoir le pos- te frontière suisse, àmoins d’une centaine de mètres de là. Direc- teur de Sedis, une entreprise spécialisée dans la fabrication de chaînes, Raymond Brenet subit de plein fouet la concur- rence de la Suisse. “On ne peut plus garder notre personnel qua- lifié, ils sont attirés par les salaires suisses, c’est logique. En deux ans, on a ainsi diminué de 30 %

notre effectif et on ne remplace plus les départs. Si nous n’avons plus personne pour régler les machines, nous n’avons plus besoin d’ouvriers sur ces machines” , reconnaît le chef d’en- treprise, incapable de rivaliser avec les salaires proposés de l’autre côté de la frontière, près de 30 % plus intéressants brut dans son secteur d’activité. Selon une enquête de l’U.I.M.M. auprès de ses membres, plus de 200 nouveaux salariés auraient ainsi quitté la France cette année pour la Suisse, attirés par les salaires plus élevés. Face à cet- te fuite de lamain-d’œuvre, plu- sieurs entreprises de décolleta- ge et de polissage de la région de Morteau et Pontarlier ont choisi d’implanter des ateliers côté suisse, auLocle, àLaChaux- de-Fonds ou aux Verrières-de- Joux. “En France, on travaille 1 600 heures par an, en Suisse, 1 850 heures. Et les charges patro- nales sont aussi plus faibles en Suisse. 18%contre 48%enFran- ce” , énumère Raymond Brenet. Le salaire d’un régleur qualifié tourne autour de 2 000 euros bruts en France, contre 4 500 francs suisses - près de 3 000 euros - de l’autre côté de la frontière, selon l’entrepreneur. Résultat : “En France, le coût horaire d’un ouvrier qualifié est de 23,50 euros alors qu’il est de 25 euros en Suisse. Il n’y a pra- tiquement de différence, par contre pour le salarié, l’écart de revenu est énorme.” Pour stopper l’hémorragie de main-d’œuvre vers la Suisse, le chef d’entreprise avait un temps envisagé de créer une filiale de l’autre côté de la frontière, afin d’embaucher des ouvriers selon les conditions et les salaires suisses tout en les faisant tra- vailler dans l’usine française. Mais le projet a été refusé par la direction du travail. Depuis, Sédis a délocalisé l’un de ses ate- liers à Troyes et entrepris de robotiser au maximum le pro- cessus de production. Pour rédui- re ses besoins demains d’œuvre. S.D.

Joyeuses fêtes de fin d’année et meilleurs vœux pour 2007 !

Selon Olivier Bourgeois, la Suisse est devenue un pays low-cost.

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