La Presse Bisontine 71 - Novembre 2006

L’ÉCONOMI E

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B ANQUE

3 000 contrats par an “Nous ne vivons pas sur le dos de la misère”

Le Crédit Municipal se distingue des autres banques par son activité de prêts sur gages. Le principe est simple : on y dépose un bien de valeur contre une somme d’argent. C’est parfois la seule solution pour joindre les deux bouts.

L a Presse Bisontine : La raison d’être des Crédits Municipaux, c’est le prêt sur gages. Sur quoi repose ce principe ? Yvon Pouleau : Le service des prêts sur gages est un mono- pole des Crédits Municipaux, l’exemple même de notre voca- tion de banque solidaire. Ce service s’adresse à des gens démunis sur le plan des reve- nus, ou qui sont confrontés à un problème ponctuel de res- source qui pourrait les condui- re, à terme, à des situations d’exclusion sociale ou de déchéance. Dès lors que ces personnes possèdent un bien,

L.P.B. : À part le service des prêts sur gage, où est la notion de soli- darité au Crédit Municipal ? Y.P. : Nous avons été les pre- miers à s’intégrer dans le pro- jet de la caisse solidaire de Franche-Comté initié par la ville de Besançon. Son objec- tif est de boucher le vide qui existe pour les gens qui ne peu- vent pas avoir accès au crédit bancaire classique. Cela se tra- duit par des aides au maintien ou à la création d’emplois, ou par l’intermédiaire du micro- crédit social. 98 % des béné- fices du Crédit Municipal sont reversés à des organismes à vocation sociale. Le plus impor- tant est le C.C.A.S. de Dijon, ville dont dépend notre agen- ce de Besançon. Nous lui ver- sons plusieurs millions d’eu- ros par an. Nous sommes aussi partie prenante au système d’épargne solidaire qui consis- te, pour l’épargnant, à céder une partie de ses intérêts à une association de solidarité. Ain- si cette année, nous avons déjà contribué à déposer 54 000 euros par ce biais dans le sys- tème. L.P.B. : L’évolution étonnante des prêts sur gage est révélatrice d’une société qui perd pied ? Y.P. : Ce n’est pas forcément le signe d’une misère grandis- sante mais c’est révélateur du fait qu’il y a de plus en plus de gens qui ne savent pas gérer leur budget. Ils ont une sorte de gestion infantile, pour ce qui concerne notamment les

lière qui représente près de 30 % des cas, c’est la clientèle maghrébine. Les femmes, qui ont souvent des petits trésors en bijoux, jonglent avec ce patri- moine. Beaucoup de dépôts se font alors avant l’été. Pour elles, le système présente un double avantage : elles mettent leurs objets en sécurité au moment d’aller en vacances dans leur pays d’origine et avec l’argent, elles achètent de l’électromé- nager qu’elles revendent là- bas. Le prêt sur gages fait par- tie de la culture de certains pays, comme les pays duMagh- reb. L.P.B. : Le prêt sur gages représen- te combien d’actes par an ? Y.P. : Nous sommes à plus de 3 000 contrats par an, soit au moins 10 par jour. Jusqu’en 2004, l’activité augmentait de 25 à 30 % par an. L.P.B. : Cette activité peut-elle être bénéficiaire ? Y.P. : Hélas non, elle ne l’est pas. C’est d’ailleurs pour cela que nous avons réduit nos horaires par deux depuis l’an dernier. Ce qui explique la légère bais- se du nombre de contrats depuis. Cette baisse s’explique aussi par la réouverture de l’agence de Belfort. Comme le service des prêts sur gages est déficitaire, pour le faire vivre, il faut trouver d’autres moyens. C’est l’acti- vité bancaire traditionnelle et les placements que nous ten- tons de développer.

L.P.B. : Les personnes récupèrent- ils souvent leur bien ? Y.P. : Dans 80 % des cas. C’est la première hypothèse : la per- sonne peut payer ses intérêts et rembourser son capital, donc elle récupère son bien. Ou alors, deuxième hypothèse, la per- sonne ne peut même pas payer ses intérêts et au bout d’un an, on met en vente son bien aux enchères publiques. Il y a envi- ron trois ventes par an. La der- nière a eu lieu le 14 octobre à la salle Proudhon. L.P.B. : Dans ce cas, qui empoche la somme de la vente ?

Y.P. : Si le prix de ven- te couvre la somme du capital et des inté- rêts, il permet de rembourser le Cré- dit Municipal. Et si lemontant de la ven- te est supérieur à la somme prêtée au déposant, c’est un

elles peuvent venir le déposer chez nous en échange d’une somme d’ar- gent. L.P.B. : Vous acceptez tous les biens ? Y.P. : Plus mainte- nant. Les voitures,

“Les bijoux, tableaux, sculptures, objets d’art.”

boni, c’est-à-dire que la diffé- rence revient au déposant. Ça fait partie de notre mission de solidarité. Contrairement à ce qu’on pense parfois, on ne fait pas de bénéfices sur le dos de la misère. Ce système est là pour éviter aux gens de s’en- foncer dans l’exclusion. L.P.B. : Quel est le client-type des prêts sur gages ? Y.P. : Il y a de tout. La person- ne qui a un problème de loyer et que le propriétaire menace d’expulser, la personne qui a des impôts en retard, ou enco- re celle qui hérite mais qui est incapable de payer ses droits de succession en attendant que l’héritage tombe. On a aussi affaire à beaucoup de gens qui ne savent pas gérer leur bud- get. Exemple : ils ont un home cinéma flambant neuf et ne peuvent pas payer leur loyer. Le profil est vraiment varié. Il y a une catégorie particu-

manteaux de fourrure, tapis… on ne les accepte plus notam- ment pour des raisons de stoc- kage. Il y a deux grandes caté- gories d’objets que nous acceptons : les bijoux d’une part (or et pierres précieuses) et les objets divers comme tableaux, sculptures, objets d’art, à la rigueur ménagères en argent. Cela peut aller de la montre à 20 euros au tableau à plusieurs milliers d’euros. L’estimation de ces biens est faite par mes collègues qui ont reçu une formation spécifique et qui ont une délégation de la part du commissaire-priseur. Ensuite, on fait aux déposants une proposition de prêt. La per- sonne signe un contrat et on lui donne la contre-valeur en liquide. Il s’engage au paie- ment semestriel des intérêts. L’objectif étant qu’au final, il récupère son bien après avoir remboursé son prêt.

Yvon Pouleau est à la tête d’une équipe de 5 personnes à l’agence bisontine du Crédit Municipal.

Z OOM Le prêt sur gage, cinq siècles d’histoire Le système des prêts sur gage remonte à l’année 1462 ! La lutte contre le système des prêts à taux d’intérêts abusifs est à l’origine des Monts de Piété en Italie. Ces banques de charité sont une aide pré- cieuse pour la population qui peut enfin emprunter à des taux modérés en contrepar- tie du dépôt d’objets de tou- te nature. Ce système s’étend ensuite à tout le vieux conti- nent dont la France. Le premier établissement de prêts sur gages est créé à Paris en 1637 à l’initiative de Théo- phraste Renaudot. Le 6 février 1822, le Mont de Piété de Dijon, dont dépend aujour- d’hui encore l’agence de Besançon, est officiellement créé. Les Monts de Piété sont rebaptisés caisses de Crédit Municipal en 1918. Le Crédit Municipal de Dijon (et donc de Besançon) est présidé par François Rebsamen, maire de Dijon.

crédits à la consommation pro- posés par les grandes surfaces. C’est une vraie dérive actuel- le. Propos recueillis par J.-F.H.

Le Crédit Municipal a été créé en 1977 à Besançon, rue Charles Nodier.

Les bijoux en or comptent parmi les objets le plus souvent déposés.

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