La Presse Bisontine 70 - Octobre 2006

LE PORTRAIT

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A RCHÉOLOGIE Enseignant-chercheur à l’Université de Franche-Comté Archéologue de formation, Émilie Gauthier, enseignante-chercheuse au sein du laboratoire de chrono-écologie de Besançon, étudie les traces de pollen pré- levées dans les sols. Pour en déduire la physionomie des paysages d’autrefois. Traqueuse de pollen

A n 1000. Sur les plateaux du Haut-Jura, d’immenses forêts recouvrent tout le paysage à perte de vue. Des hêtres, des ormes, peu de sapins encore. Ça et là, perdues aumilieu de l’océan d’arbres, des petites clairières sont cultivées par des grappes d’hommes, dissémi- nés sur le plateau. Émilie Gauthier est capable de décri- re pendant des heures le paysage jurassien du Moyen-Âge, faire la lis- te interminable des plantes qui s’y développaient alors, de leurs évolu- tions. Les témoignages de l’époque sont fugaces, mais Émilie Gauthier a ses sources, ses mouchards. Les pol- lens. À 37 ans, l’enseignante-chercheuse au sein du laboratoire de chrono-éco- logie à l’Université de Besançon traque depuis trois ans les traces de pollens dans le sous-sol, comme autant de témoins des évolutions des paysages. Il est des métiers dont le seul nom fait rêver. Celui d’Émilie Gauthier est de ceux-là. Palynologue. “Chaque plante émet un grain diffé- rent de la plante voisine. Le pollen est robuste, il va se conserver parfaite- ment dans les sédiments où il n’y a pas d’air. Dans les échantillons de ter-

le massif du Jura est rempli de ces lacs de montagne. Depuis la fin de l’ère glacière, il y a 15 000 ans, on peut ainsi retrouver toutes les évolutions de la faune. Tout est enregistré dans le sol” , reprend-elle. Dans le laboratoire de chrono-écolo- gie - une demi-douzaine de labora- toires de ce type existent en France -, ils sont une vingtaine de chercheurs à essayer de faire parler le pollen, les graines ou les sédiments pour com- prendre l’histoire. “On n’arrive pas à

re, il suffit ensuite pour nous de clas- ser et de répertorier les grains de pol- lens, établir des pourcentages pour arriver à reconstituer l’histoire de la végétation” , explique l’enseignante- chercheuse. Émilie Gauthier appel- le cela “faire parler le pollen.” Après un bref passage par l’école du Louvre et l’histoire de l’art, la jeune femme est venue à la palynologie par l’ar- chéologie, sa formation de base, s’est mise à potasser le nom des plantes et la biologie. La discipline est à la croi-

Palynologue, Émilie Gauthier étudie les grains de pollens présents dans les sous-sols.

nier, une équipe de chercheurs, dont ÉmilieGauthier s’est rendue auGroën- land, pour effectuer des premiers pré- lèvements. Un nouveau projet - pas financé encore - qui cherche à déter- miner l’impact de l’homme sur son environnement. “Parce que le Groën- land est resté une terre vierge, jusqu’à l’arrivée des Vikings au X ème siècle. On voudrait voir l’impact que leur arri- vée a eu dans un lieu où les hommes n’avaient jamais mis les pieds. À par- tir du moment où du bétail a été ame- né, que l’agriculture arrive, il y a dû avoir des changements au niveau de la flore. C’est ce qu’on veut étudier” , reprend la chercheuse. Aumilieu des interrogations actuelles sur l’influence des activités humaines sur le climat, le thème a son impor-

tance. Et les pollens aussi. Aux anti- podes du discours classique, les pol- lens racontent une période de refroi- dissement. “Logiquement, on est reparti vers une période froide. On a dépas- sé l’optimum climatique. À ce moment- là, le plus favorable, on avait alors des chênes à 800 mètres d’altitude. Mais la période glaciaire n’est de tou- te façon pas pour demain. Et autour de cette tendance longue, le climat varie sans cesse” , reprend la palyno- logue. Mais il faut aussi y ajouter l’ac- tion de l’homme. En profondeur. “Au Groënland, lors de nos forages, on savait lorsqu’on atteignait la période viking. Les sédiments ne sont plus de lamême couleur.” L’homme peutmême changer la couleur de la terre. S.D.

sée des chemins. L’œil au microscope, elle compte et trie inlassablement les pré- cieux grains recueillis. Sur les étagères de la chambre froide du labo- ratoire, dans un des cou- loirs de la faculté de sciences, des dizaines d’échantillons et de carottes de terre patientent, enve- loppées de plastique et éti-

dire si à droite se trouvait une forêt et à gauche un champ. Par contre, on peut évaluer le taux d’ouvertu- re du lieu, détecter la pré- sence de l’agriculture, la densité des arbres. Notre regard sur le passé est for- cément myope” , reprend Émilie Gauthier. Les végétaux ont leur his- toire et en savent long aus-

“Logiquement, on est reparti vers une

période froide.”

si sur celle des hommes. “Longtemps, on pensait que les plateaux du Haut- Jura étaient des déserts au Moyen- Âge. En étudiant les pollens, on s’aper- çoit pourtant qu’il y a des traces d’agriculture dispersées” , dit-elle. Et donc des populations. En juillet der-

quetés selon leur provenance. “Notre bibliothèque à nous” , explique la cher- cheuse en portant doucement un demi- cylindre dans ses bras. La plupart proviennent de lacs, de tourbières et de zones humides. “Là où les pollens se conservent le mieux. Ça tombe bien,

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