La Presse Bisontine 68 - Juillet-Août 2006

6 L’ÉVÉNEMENT ’

Faut-il avoir peur de L’INCINÉRATEUR ?

L’incinérateur de déchets de Besançon est aux normes. Les fumées sont traitées. Et pour- tant, le professeur Jean-François Viel, méde- cin épidémiologiste du C.H.U. vient de rendre deux études successives dont une indique qu’il y a un risque 2,5 fois supérieur de déve- lopper un cancer (lymphomemalin non hodg- kinien) pour les populations qui vivent au Nord-Est de l’incinérateur, dans la zone de dispersion des fumées de l’installation. La seconde, présentée début juin, pointe du doigt un taux anormalement élevé de dioxi- ne (43 picogrammes) dans des œufs de pou- le prélevés sur cette même zone (à partir de 50 pg certains spécialistes estiment qu’il y a un risque pour la santé). Et pourtant, l’inci- nérateur est aux normes. Mais la durée de vie de la dioxine est telle que l’on paie (et pour longtemps encore) les émissions du passé. Malgré les résultats de ses travaux, le professeur Viel estime ne pas être en mesu- re aujourd’hui de démontrer que les dioxines issues de l’incinérateur sont responsables de ces cancers. Il a toutefois interpellé les ser- vices sanitaires de l’État qui vont lancer une vaste enquête sur une zone plus élargie autour de l’usine pour dresser ainsi un état des lieux de la situation. De son côté, le syndicat de traitement des déchets qui gère l’usine s’in- terroge sur la pertinence de remplacer un des deux fours qui arrivera en fin de course en 2009.

S ANTÉ Incinérateur et cancer Le lien n’est toujours pas formellement établi

L’incinérateur de Planoise en chiffres E n 2005, 53 770 tonnes d’ordures ménagères ont été incinérées à Besançon dans les deux fours que compte l’installation. Ces détritus pro- viennent de 220 000 habitants répartis dans 198 communes. Le volume inci- néré tend à baisser selon le Sybert (syn- dicat de Besançon et sa Région pour le traitement des déchets), puisqu’il était de 54 486 tonnes en 2004. Ce recul s’ex- plique par le passage au tri sélectif des derniers quartiers de Besançon. Mais cet- te chute est à minimiser depuis 2005, car l’usine de Besançon assure désormais l’incinération des ordures ménagères du Val Saint-Vitois (1 600 tonnes). Les fumées de l’incinérateur sont traitées. Des réac- tifs sont introduits pour piéger les pol- luants. Les 1 900 tonnes de résidus d’épu- ration des fumées sont enfouies au centre de Vaivre (Haute-Saône). Parmi les sous- produits de l’incinération, il y a les métaux ferreux qui passent de 2 133 tonnes en 2004 à 1 856 tonnes en 2005, et lesmétaux non ferreux qui représentent 80 tonnes (le chiffre est stable). Ces deux types dematé- riaux sont recyclés. Enfin, les mâchefers qui représentent 10 057 tonnes en 2004 contre 9 801 tonnes en 2005, dont une partie est valorisée en sous-couche rou- tière et le reste est enfoui à la décharge de Corcelles-Ferrières. Le coût actuel d’in- cinération des déchets est de 73 euros hors taxe la tonne, il passera à 75 euros en 2006.

Le professeur Viel et son équipe viennent de rendre les derniers résultats de leurs investigations sur l’hy- pothèse d’une influence de l’incinérateur de Besan- çon sur l’apparition de certains cancers.

en février dernier. Ils se sont mis en quête de personnes qui élevaient des poules dans des quartiers ciblés situés dans le panache de fumée de l’usine. “J’avais l’argent pour réaliser 11 pré- lèvements. Nous avons trouvé trois familles” dit-il. Les analyses des œufs ont dévoilé un taux anormal de dioxi- ne de “43 picogrammes, soit 14 fois plus que la normale. Je ne m’atten- dais pas à de tels résultats. Je ne peux pas affirmer pour autant que la sour- ce de contamination est l’incinérateur, car les poules sont soumises à plu- sieurs voies d’exposition.” L’usine reste cependant l’hypothèse la plus vraisemblable. L’expérience desœufs amontré qu’ils faisaient par- tie des facteurs qui participent à la surexposition, mais cela n’explique toujours pas l’incidence accrue sur le développement du cancer. “Il nous reste donc une chose à terminer et nous aurons fait le tour de cette question à Besançon. Nous devons finir une enquê- te qui porte sur 40 personnes atteintes d’un lymphome et 40 personnes non malades. Nous allons analyser leur sang, dans lequel se concentre la dioxi- ne pendant 8 ans. Nous verrons bien dans le temps si les gens atteints d’un cancer ont un taux plus élevé de dioxi- ne que les autres.” Avec cette dernière étape, le profes- seur Viel et son équipe apporteront peut-être la preuve qu’il y a bien un lien entre le risque accru de dévelop- per un lymphome et le fait de vivre au pied d’un équipement comme l’in- cinérateur. T.C.

Mais cette étape est une des plus dif- ficiles. On connaît la nocivité de la dioxine et sa durée de vie (de 25 à 100 ans). Une longévité qui confirme que si l’incinérateur deBesançonest aujour- d’hui aux normes et rejette des par- ticules dans des quantités extrême- ment faibles, “cela n’empêche pas que l’on paie encore les expositions du pas- sé.” Nous les paierons encore long- temps. Les dioxines se concentrent dans les graisses (viande, lait, œuf, volaille, fruits demer). L’alimentation est donc la principale voie d’expositionde l’hom- me à ces particules. Le chercheur bisontin et son équipe explorent cet- te piste. Le problème est que les témoins qui habitent dans la zone à risque ne vivent pas en parfaite auto- nomie. Ils n’élèvent pas de vaches, ni de poules, ni ne cultivent de jardin. Or, l’ingestion de ces produits soumis aux effets de l’incinérateur aurait per- mis de confirmer la source des dioxines, d’étudier leur transfert à l’organisme et de mettre en évidence une surex- position dans le périmètre de l’usine de traitement des déchets. Mais com- me nous tous, les habitants de ces quartiers de Besançon achètent leur lait en supermarché, tout comme leur viande et leurs légumes. Ces habitudes de consommation brouillent cette piste et la voie d’une contamination par voie aérienne inté- ressante pourtant, est techniquement inexploitable. Jean-François Viel et ses collaborateurs se sont malgré tout lancés dans l’étude de l’alimentation

J e ne suis pas capable de démon- trer aujourd’hui que les rejets de l’usine d’incinération de déchets de Besançon sont la cause à la sur- venue de lymphomesmalins nonhodg- kiniens” avoue avec prudence le pro- fesseur Jean-François Viel. Pourtant, les résultats de l’étude qu’il a menée avec son équipe, publiés récemment dans la revue de référence mondiale “Environnemental Science and Tech- nologie” confortent l’hypothèse d’une association entre l’exposition envi- ronnementale à la dioxine et l’appa- rition de lamaladie. Il y a 2,5 fois plus de risques de développer ce type de cancer “qui fait partie de ceux dont on connaît le moins de choses” lorsque l’on vit dans le périmètre le plus expo- sé aux rejets de dioxines de l’inciné- rateur. Cette étude valide une zone rouge de 3 km environ, qui se situe au Nord- Est de l’usine (la Bouloie, Les Tille- royes). Le risque s’estompe au fur et à mesure que l’on s’éloigne de l’ins- tallation. En revanche, l’enquête est plus réservée sur une zone située au Sud-Est de l’incinérateur (Château- farine,Avanne). “C’est beaucoup plus confus pour une raison simple liée à la topographie de ce secteur qui est

plus complexe et qui rend difficile la modélisation” dit-il. Le second volet de ses recherchesmet en évidence la nature des dioxines. Jusqu’à présent, les détracteurs du professeur Viel, pourminimiser la fia- bilité de ses travaux, lui objectaient qu’il existeplusieurs sources dedioxines comme la circulation automobile, et qu’il est donc inexact d’accuser de tous les maux l’incinérateur. Les analyses montrent le contraire. “Il y a des centaines de dioxines dif- férentes, c’est vrai. Elles sont réperto- riées suivant 17 formes chimiques dis- tinctes. Chacune d’elle a un profil spécifique. Nous sommes capables, en fonction du modèle analysé, de déter- miner sa source d’émission. Les 75 points de contrôle - 700 euros l’ana- lyse, financés par le ministère de la Santé - que nous avons analysés autour de l’usine ont tous la même signatu- re. Il n’y a donc qu’une seule source possible : l’incinérateur” affirme Jean- François Viel. Les suspicions sont donc fortes entre les rejets de cet équipement et l’ap- parition de lymphomes, mais le lien de cause à effet n’est pas encore éta- bli. C’est ce que tente de démontrer le chercheur.

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