La Presse Bisontine 64 - Mars 2006

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Sans emploi, Frédéric Moreau vient de créer son Pour y parler de Planoise, “ce qui va et ne va pas.” blog sur internet.

L a chanson s’appelle “Viens faire un tour chezmoi.” Un rap dont les paroles ne par- lent pas de violence, de pro- blèmes des jeunes à s’en sortir, de la police et des petits trafics des banlieues. Mais du quar- tier, de Planoise. “Viens faire un tour chez moi. Un village mal famé où tout le monde se connaît. Viens faire un tour chez moi. Y a le monde entier” , dit le refrain. Un cri qui résume la position deGerminal Pagani, le rappeur. Le jeune homme de 34 ans est arrivé à l’âge deux ans dans le quartier de Planoise et ne l’a jamais quitté depuis, même s’il a parfois des “envies de cam- pagne.” “Je m’y plais, tout sim- plement” , assure-t-il en sou- riant. “La preuve, à la trentaine, on se retrouve à habiter toujours

ici. C’est que ce n’est pas si mal.” Dans son rap, Germinal a vou- lu parler du quartier de façon positive. Pour une fois. “La vie ici, c’est pas aussi noir qu’on le dit. Même si la drogue, lamisè- re, l’économie parallèle, ça exis- te. Mais le côté multi-ethnique, c’est formidable” , reprend-il. Son album, sorti il y a quelques années, n’a pas eu le succès escompté. Tropmarqué de l’éti- quette “banlieue” dès le début. Sa satisfaction, c’est que son texte a été étudié en cours de français au collège Diderot. Planoise. Dans les médias, le quartier fait souvent la “une” pour les flambées de violence ou les trafics de stupéfiants. Rarement pour des initiatives positives. Construit à partir du milieu des années 60, le quar- tier s’est progressivement agran-

mais à la maison des associa- tions de Besançon. Il est Pla- noisien de naissance, mais doit déménager et quitter le quar- tier à la fin dumois. Et lui aus- si se bat contre “les images sté- réotypées de banlieues craignos qui collent à Planoise. C’est pas les cités chaudes de la couron- ne parisienne. Ici, les boîtes aux lettres ne sont pas défoncées, les ascenseurs fonctionnent. Il fait bon vivre à Planoise” , procla- me-t-il. De 2006 à 2010, la ville de Besançon doit engager son pro- gramme de rénovation urbai- ne du quartier. Les travaux, qui devraient dépasser les 87 mil- lions d’euros, doivent permettre la création d’un nouveau pôle d’animation culturel, et la démo- lition de l’ensemble vétuste du Tripode. Une opérationqui deve- nait nécessaire, juge Saïd Madoui, car “cela va permettre d’aérer le quartier, l’ouvrir à autre chose aussi, pour qu’il ne se replie par sur lui-même. Il était temps.” Mais pour lui, il faudrait faire plus encore. Avoir plus d’édu- cateurs dans le quartier, qui puissent venir chercher les jeunes par lamain, les motiver

di. Les Époisses tout d’abord, puis les immeubles autour de la rue d’Ile-de-France et la pla- ce autour du centre commercial Cassin au début des années 80. Désormais, ils sont près de 20 000 habitants à y vivre. Au total, plus d’une cinquantaine de nationalités différentes qui cohabitent. Mais le quartier est aussi l’un des plus défavorisés de Besan- çon, qui concentre la plus forte proportion d’allocataires du R.M.I. et de familles en situa- tion de surendettement. “Il y a des initiatives positives. Des tas de gamins quimontent des asso- ciations, mais on n’en parle pas, c’estmoins vendeur. Depuis quin- ze ans, j’ai vu des tas de groupes de musique émerger, avec des vrais talents” , reprend Germi- nal Pagani. Jusqu’en février, le jeune hom- me animait àmi-temps des ate- liers de rap au C.A.E.M. (le centre d’animation et d’éduca- tionmusicales) de Planoise. Et croit à la force de la musique. “Faut pas croire, les rappeurs, c’est souvent des mecs qui sont bons à l’école, clairs. Ça peut apporter beaucoup à des gamins déscolarisés. Des jeunes de 15 une explosion de gaz a ravagé une partie de son immeuble, près de la rue de Franche-Com- té. Dont son appartement. “L’en- vironnement est bien, mais il faut sans cesse se battre pour la propreté. Les gens respectent moins” , affirme-t-il. Son fils a dû repeindre le neuvième éta- ge et l’ascenseur de son immeuble pour effacer les tags , parce que “si on demande à l’of- ficeH.L.M., ils nous disent qu’ils ont déjà refait les peintures l’an- née dernière.” Il y a aussi, racon- te-t-il, les poubelles renversées, les vols de sacs à l’arraché. Et l’insécurité. “Pas juste un sen- timent mais une réalité” , affir- me-t-il encore. À côté de lui, un de ses amis, la cinquantaine, l’écoute parler. Lui a longtemps habité Pla- noise, jusqu’à ce que sa voitu- re brûle en 2001. Il a déména- gé à la campagne. “Les anciens de Planoise, il y en a pas mal qui sont partis. Mais moi, je ne partirai pas. En partie parce que je n’en ai pas les moyens” , souffle Gérard Bruot. ■

ou 16 ans qui retrouvent le goût d’écrire, avec une vraie plume, alors qu’ils étaient sortis du sys- tème. Ça peut les faire réfléchir sur pas mal de trucs.” Au bord de la rue de Dole, la radio associative Radio Sud a installé son quartier général dans un local un peu décrépi, au plafond moisi par les fuites d’eau. Née dans le quartier de l’Escale, aujourd’hui disparu sous les coups des bulldozers de la rénovation urbaine, pour “combattre une certaine poli- tique menée avec ce quartier” , la radio est devenue au fil du temps le porte-parole du quar- tier. On y vient pour y faire des dédicaces à ses potes, pour jouer samusique en direct. “Même si on est diffusé sur toute la ville et que des gens de tous les quar- tiers viennent et participent, on est souvent perçude cettemaniè- re par les Planoisiens” , s’amu- se Mohamed Hakkar, le direc- teur de la radio. “On est devenu un lieu de rencontres.” Des initiatives, Planoise n’en manque pas. C’est aussi l’avis de SaïdMadoui. Employé pen- dant des années au centreMan- dela, la salle des associations du quartier, il travaille désor-

Construit à partir du milieu des années 60, le quartier s’est progressive- ment agran- di. Près de 20 000 habi- tants y vivent désormais.

risme. “C’est devenu plus indi- vidualiste. Il y avait beaucoup plus de monde dans les asso- ciations. Maintenant, il n’y a plus grand-chose pour faire le lien. Les gens se retrouventmain- tenant plus par origine ou par religion” , dit-il. Et puis conti- nue-t-il, il y a “le sans gêne” ambiant, qui dégrade un peu l’atmosphère. Dans son laboratoire photo, ins- tallé dans un ancien apparte- ment près de la place JeanMou- lin, Gérard Bruot, 63 ans, partage son sentiment. Profes- seur à la retraite, il anime le club de photo depuis 37 ans. Depuis qu’il a été l’un des pre- miers à venir s’installer à Pla- noise. Les cartons de photos recèlent de trésors sur l’âge d’or de Planoise. Des clichés de défi- lés de majorettes, de grandes fêtes populaires au milieu du quartier flambant neuf. De la fenêtre de son huitième étage, il a vu les tours et les barres d’immeuble pousser com- me des champignons les unes après les autres. Il affirme que le quartier n’est plus le même depuis 1992. Cette année-là,

individuellement, leur servir de repère. “Des structures de loisir, des associations il y en a. Mais il manque d’écoute de la population jeune. Un ado de 15 ans, il ne sait pas quoi faire, il n’ira pas de lui même dans une association. Il faut le faire bou- ger.” À 28 ans, Frédéric Moreau vit lui aussi depuis toujours à Pla- noise. Et n’a “même jamais envi- sagé d’aller prendre un appar- tement ailleurs.” Au chômage, il connaît “la galère” et les petits boulots. Plutôt que de recevoir sonR.M.I. sans rien faire, il s’est lancé depuis le début du mois de février dans la rédaction d’un blog sur internet entièrement consacré à Planoise. “Pour par- ler de la réalité du quartier. Dire ce qui va et ce qui ne va pas. Parce que même si on l’aime, il a changé” , explique-t-il. “Et ça donne une utilité” , ajoute-t-il un peu amer. Le blog a déjà reçu plus d’une centaine de visiteurs. Le “blogeur”, qui participe aus- si au journal de quartier la Pas- serelle vante la diversité du quartier, mais regrette lamon- tée d’un certain communauta-

Les ateliers du C.A.E.M., un vecteur supplémen- taire d’inté- gration par la musique.

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