La Presse Bisontine 62 - Janvier 2006

6 L’ÉVÉNEMENT ’

Pour la première fois, Kelly parle… Le 16 mars 2002, Kelly est sauvagement

agressée par deux de ses “amies” à Saint- Vit dans la cave d’une demeure. Pendant plusieurs heures, ses tortionnaires lui feront subir les pires sévices. À l’époque, l’effroyable fait divers défraie la chronique. D’un seul coup, le calvaire de cette jeune fille de 15 ans fait la une de tous les médias régionaux et nationaux. L’ensemble de la presse est braquée sur Saint-Vit pour tenter de com- prendre et d’expliquer de tels agissements. Et puis plus rien. Le temps a passé et le bourg a retrouvé son calme habituel. Rares sont ceux à se soucier de Kelly, de ce qu’elle est devenue, comment elle vit aujourd’hui. Elle a accepté de rencontrer La Presse Bisonti- ne pour faire le point sur son parcours depuis les faits, son quotidien, ses obsessions. À 18 ans, elle cherche à retrouver une vie nor- male et tente de tourner la page.

S AINT -V IT Retour sur l’effroyable fait divers du 16 mars 2002

Elle a 18 ans maintenant. Trois après avoir été sauvagement agressée dans une cave à Saint-Vit par deux adolescentes, ce qui a failli lui coûter la vie, Kelly s’apprête à quitter la région, dans l’espoir de se reconstruire. Mais de là à tourner la page sur ce qui s’est pas- sé, c’est une autre histoire. C’est la première fois que Kelly accepte de parler. Kelly : “J’ai besoin de faire le vide”

L a Presse Bisontine : Com- ment vous sentez-vous depuis l’agression dont vous avez été victime ? Kelly : Honnêtement, je me sens perdue par rapport aux gens. Je n’ai plus confiance. Par exemple, dès que des personnes se mettent à parler à voix bas- se, j’imagine un complot. La nuit, je fais des cauchemars dans lesquels on m’agresse ou alors c’est un autre qui se fait agresser. Je ne supporte plus la nuit. Je ne supporte plus de voir un grand couteau posé sur une table. Cela fait partie des choses qui me ramènent inévi- tablement à ce que j’ai vécu il y a trois ans. L.P.B. : Vous avez encore peur ? K. : Oui j’ai peur. Particulière- ment des femmes.Avant que je me fasse agresser, je pensais que le monde était beau, que les gens étaient bons. À mes yeux, maintenant, c’est tout le contraire. L.P.B. : Avez-vous suivi une thérapie pour vous aider à refaire surface ? K. : J’avais une psychologue.Elle était très bien d’ailleurs. Mais à chaque fois que j’allais la voir, je savais que c’était pour évo- quer cette histoire, alors que de mon côté je cherchais à oublier. À la suite de chaque rencontre, je me sentais mal. J’ai arrêté. Mais je sais aussi que je garde beaucoup de choses enmoi. J’ai fait une dépression il y a un an juste avant la rentrée scolaire. J’ai perdu du poids. Çam’a coû- té deux semaines

que je croise quelqu’un, je l’analyse, ça devient horrible. Des a priori me viennent à l’esprit sur des personnes. J’ai soudain l’impression qu’elles sont méchantes ou qu’elles vont profiter demoi.Jeme suis consti- tuée une carapace. L.P.B. : Finalement, croyez-vous pou- voir tourner la page un jour ? K. : Non, je pense que je ne pour- rai pas tourner la page. Par contre, on peut avancer mal- gré tout dans la vie en étant plus fort, mais oublier, c’est dif- ficile. Le plus dur pour moi, ce ne sont pas tant les coups que j’ai reçus le 16 mars 2002, mais les plaies au moral qu’ils ont laissé. L.P.B. : Aux douleurs morales s’ajoutent les séquelles physiques ? K. : J’ai 21 cicatrices dont 7 à la tête. Ma main gauche ne fonc- tionne plus puisqu’elles m’ont coupé les poignets. Je n’ai plus aucune sensation. J’adorais pratiquer le handball, çam’est interdit. L.P.B. : Avez-vous eu l’envie de vous venger ? K. : Oui sûrement, mais je ne le ferai pas. Je ne veux pas aller en prison pour elles. Je ne veux pas gâcher ma vie pour elles. Je veux leur mon- trer au contraire que je conti- nuerai à avancer. L.P.B. : Comment avez-vous vécu le procès qui s’est déroulé en deux temps ? K. : J’ai été très déçue par la jus-

pas si je changerai un jour.Néan- moins, je pars là où je suis cer- taine de ne connaître person- ne. Là où personne ne connaîtra mon passé. Car aujourd’hui encore, où que j’aille, il y a tou- jours quelqu’un pour dire “c’est toi Kelly, la fille à qui il est arri- vé cette histoire à Saint-Vit.” Quand j’entends ça, lorsque je rentre chez moi, je suis cassée. Finalement, à part ma famille, il n’y a rien qui me retient ici. Jem’en vais donc début janvier avec l’envie de repartir de zéro. Je vais vivre seule.Ma vie sera peut-être vide,mais tant pis, je préfère cela à essayer de faire confiance à des gens. Vous savez, à propos des deux filles qui m’ont agressé, on se connaissait depuis longtemps. On a partagé notre enfance ensemble, nos premiers secrets d’adolescentes, les premières bêtises, et vous voyez ce qui s’est passé. Les gens que je rencontre me disent “Kelly, arrête de voir le mal partout.” Je ne peux pas. Au contraire, je me protège de tout. Je ne veux pas m’attacher. J’ai des doutes sur tout le mon- de. En effet, je suis peut-être tropméfiante.Çam’a fait perdre beaucoup d’amis, en particulier mon compagnon à qui je n’ai pas su diremes sentiments.Dès L.P.B. : Vous êtes venue à ce rendez-vous avec une de vos amies. Quel- le confiance lui accor- dez-vous ? K. : J’ai confiance en elle, mais elle sait que je protégerai toujours mon cœur.

d’hospitalisation.

L.P.B. : À quoi vous êtes-vous rac- crochée pour continuer à donner un sens à votre vie ? K. : À l’école je pense. Les deux filles qui m’ont agressé ont vou- lu gâcher ma vie. Je me suis promis qu’elles ne gâcheraient pas ma vie professionnelle. Ça a été dur. À un moment donné, j’ai pris énormément de médi- caments pour me calmer, je n’arrivais plus à me lever le matin. J’arrivais en retard en cours. À ce sujet, j’ai failli me faire virer lors de ma premiè- re année de B.E.P. sanitaire et social. On m’a donné ma chan-

Kelly se méfie des gens. Elle quitte la région pour aller là où personne ne connaît son histoire. Pour cette raison, elle a accepté de témoigner, mais à visage couvert.

ce, j’ai arrêté les cachets, et j’ai eu mon examen. L.P.B. : Quelle profes- sion voulez-vous exer- cer ? K. : J’aimerais deve- nir éducateur spé-

“Je veux leur montrer que je continuerai à avancer.”

balle dans la tête.

tice. À l’annonce du premier verdict qui leur donnait deux ans et trois ans de prison, je n’ai pas supporté. Puis il y a eu l’appel et le second procès et là, elles ont écopé de 6 et 7 ans. Mais on m’a dit “tu sais Kelly, ne te fais pas d’illusions, elles sortiront de prison dans trois ans maximum.” C’est le cas. Elles ont 18 ans et la vie com- mence pour elles. L.P.B. : Pourriez-vous pardonner ? K. : Non, jamais je ne pardon- nerai. Elles ont gâché ma vie. L.P.B. : Depuis le drame, avez-vous eu des occasions de retrouver le sou- rire ? K. : Heureusement que j’ai des bonsmoments, sinon il y a long- temps que je me serais tiré une

L.P.B. : Comment a réagi votre entou- rage à la suite de l’agression ? K. : Au début, les gens ont été très attentionnés à mon égard. Maintenant, ils considèrent que je suis censée avoir oublié.Alors quand ils me voient, ils disent de moi que je “psychote”, que je suis bizarre. Pour eux, trois ans, c’est long, ça suffit pour tour- ner la page.Mais pourmoi, c’est comme si tout s’était passé hier. Il me reste des images de ce jour-là comme lorsque j’ai été enfermée dans la cave, que je ne peux pas oublier. L.P.B. : À l’époque, tous les médias régionaux et nationaux se sont attar- dés sur ce monstrueux fait divers de Saint-Vit. Comment avez-vous res-

cialisé pour aider des jeunes surtout, qui connaissent des parcours difficiles. L.P.B. : Vos agresseurs sont sortis de prison. Comment vivez-vous cela ? K. : Elles sont sorties au début de l’été dernier.Tout me revient en tête. J’ai peur du noir, je les vois partout, j’ai des sautes d’humeur. Alors j’ai décidé de partir de la région. J’ai de trop mauvais souvenirs ici. L.P.B. : Vous pensez pouvoir chan- ger en quittant la région ? K. : C’est pour cela que je m’en vais. Mais au fond, je ne sais

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