La Presse Bisontine 59 - Octobre 2005

UN VI LLAGE À L’HONNEUR

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Charles Belle la tête en l’air, les pieds sur terre P ORTRAIT 3 ème mandat

Conseiller municipal à Tallenay depuis 16 ans, l’artiste-peintre a un domaine de prédilection : l’urbanisme et l’architecture.

O n connaît l’artiste- peintre et moins le conseiller munici- pal. Pourtant, Charles Belle est élu depuis 16 ans à la mairie de Talle- nay. C’est son troi- sième mandat. Preu- ve vivante que l’on peut assumer un sta- tut d’homme connu et reconnu pour son art tel que le sien, sans être pour autant détaché des réalités de ce monde. Charles Belle ne vit pas à l’écart, marginal. “C’est très facile de s’isoler et de vivre dans sa bulle avec le succès et des grosses chevilles. C’est le confort. Moi j’ai envie d’être nor- mal.” La chose publique l’in- téresse et en particulier tous les dossiers relatifs à l’urba- nisme, l’aménagement, l’ar- chitecture. En un mot : à l’es- thétisme. C’est évident pour quelqu’un qui, face à sa toile, est soucieux de la couleur, de la lumière, de la matière, de

dans son travail de peintre pour lequel il est aussi jugé. Avec un air détaché de prime abord, il porte en fait un regard critique sur ce qui l’entoure et le concer- ne au premier chef. Dans le conseil municipal, il semble être celui qui a le recul immé- diat sur les choses. S’il ne se sent pas les épaules pour gérer le portefeuille communal, Charles Belle est plus à l’aise dans les commentaires sur les orientations à prendre pour préserver un cadre de vie agréable. “Ce qui est important c’est ce souci de protéger Talle- nay. Nous avons la volonté d’en faire un village piéton pour que tout le monde puisse s’y bala- der, en apportant à cette logique de circulation piétonne une harmonie visuelle. Nous sommes déjà un village dor- toir. Si en plus on devient jus- te un endroit où les gens garent leur voiture le soir quand ils rentrent chez eux, c’est nul.” Par la maîtrise de l’urbanis- me, les élus peuvent espérer

un village.” Quand il s’agit de défendre la cause, l’artistemon- te à la tribune et annonce la couleur sans détour, mais avec convictions et pédagogie. Lors de son premier mandat, il a réagi par rapport à un pro- jet de lotissement de 25 mai- sons sur 2 hectares de terres. “Cela correspondait à plus d’un quart de renouvellement de la population. Ce projet avait été voté par la précédente équipe municipale. Pour moi, c’était une aberration” se souvient-il. À force de diplomatie, faisant fi des engagements, il est par- venu à faire capoter ce dossier en démontrant à la fois aux vendeurs du terrain qu’ils fai- saient une mauvaise affaire et qu’en plus elle allait coûter cher à la collectivité si elle se concré- tisait. “C’était réactionnel. Au lieu d’avoir 25maisons en lotis- sement, il s’en est finalement construit 7 au fil des ans.” Charles Belle s’investit avec la même rigueur dans les affaires municipales que celle qu’il a

l’équilibre. Mais il aurait pu en être autre- ment. “J’ai eu trois enfants, ça m’a sauvé la vie” confie-t-il avant d’ajouter. “Ça vous oblige à vous confronter à la réalité. Cette

responsabilité a été déterminante dans mon engagement au conseil municipal.” En 1989, à 33 ans, il ne s’est pas lancé par vocation politique et

“Un individu seul ne peut rien.”

encore moins par ambition, “mais je me suis dit que je pou- vais faire cela pourmes gamins.” D’ailleurs, l’homme originaire de Rochejean dans le Haut- Doubs ne pensait même pas être élu. Il a trouvé dans la col- lectivité la manière d’apporter sa pierre à la construction d’un avenir doux et tranquille à Tal- lenay pour les générations futures. C’est pour cela qu’il agit comme le reste des membres du conseil municipal. “Un individu seul ne peut rien quand il y a des orientations déterminantes à prendre dans

Charles Belle : “J’ai envie d’être normal.”

entendre ce discours d’ou- verture qui invite à la recherche architecturale et à faire tomber les barrières du “chacun chez soi” dans un vil- lage qui se veut convivial et harmonieux. O

provoquer la rencontre des habitants et éviter l’isolement. “Parfois, la limite de notre action est liée à des problèmes culturels” déplore Charles Bel- le. Tout le monde à Tallenay n’est pas encore prêt à

Georges Conscience, l’homme tranquille T ÉMOIGNAGE Conseiller pendant 33 ans À 86 ans, Georges Conscience est le doyen du village de Tal- lenay. Un endroit qu’il n’a jamais quitté et qu’il a vu évoluer. O n dit qu’à Tallenay, Georges Conscien- ce est lamémoire du village. “Oh, vous savez, la mémoire, te partie de son histoire, sans doute trop douloureuse pour être occultée.

dir et évoluer avec ses yeux d’enfants lorsqu’il était haut comme trois pommes, jusqu’à aujourd’hui. “Je peux vous dire que ce n’est plus la vie d’avant. C’était beaucoup plus cool il y a quelque temps. Les gens désor- mais sont plus exigeants.” Il fait partie de ces conseillers qui ont souhaité préserver Tallenay de l’urbanisation intensive. Pour

beaucoup de choses car lemaître qui avait tendance à boire pas- sait le plus clair de son temps à dormir sur son bureau” racon- te Georges Conscience qui rap- pelle tout de même, que dans la généalogie de la famille, il y a un personnage illustre enBel- gique. Il s’agit de Hendrik Conscience (1830-1883), un écri- vain reconnu dans ce pays fron- talier dont la mère serait ori- ginaire du secteur. Lui n’écrira pas, mais travaillera de ses mains dans l’exploita- tion agricole familiale pour com- mencer. Il l’a quitte pour pas- ser un C.A.P. de menuiserie-agencement à l’âge de 45 ans que “j’ai obtenu avec mention très bien. J’ai travaillé jusqu’àma retraite à Valentin.” Son savoir-faire d’agenceur, il va le mettre au service de sa commune en construisant dans les années 70 trois arrêts de bus. Il bâtira lui-même samai- son et rendra un certain nombre de services autour de lui. Georges Conscience est une figure à Tallenay. Désormais, après avoir donné, il profite de sa retraite et de sa famille. Une vie tranquille. O

Mais ce personnage, casquette vissée sur la tête, c’est aussi 33 années passées au conseil muni- cipal de Tallenay. Une longé- vité qui lui a valu de recevoir, en 1987, des mains de Georges Peyronne, préfet de l’époque, la médaille d’honneur dépar-

elle flanche” lâche-t-il en ouvrant la porte de son domicile. Quoi qu’il en dise, à 86 ans, cet hom- me encore vaillant est le doyen de ce hameau qu’il n’a jamais quitté, ou alors par la force des choses. Comme en 1939 lors- qu’il est mobilisé pour partir à la guerre avec le 13 ème bataillon de chasseurs alpins, avant d’être fait prisonnier et déporté en Allemagne à l’âge de 21 ans. “J’y suis resté cinq ans.” Une longue période durant laquel- le il sera ballotté de camp en camp. “J’ai connu la faim. On travaillait de force et nous ne mangions qu’une fois par jour. Àunmoment donné, je suis arri- vé à un stade où je perdais la notion du temps. Je ne pensais même plus à ma famille, ma seule envie était de manger.” Il vivra la peur, la maladie, les wagons à bestiaux où avec ses compagnons d’infortune ils étaient entassés. Évoquer le passé avec Georges Conscien- ce, c’est d’abord revenir sur cet-

celui qui avec son épouse Paule-Mau- ricette, n’a jamais connu les vacances, il n’était pas néces- saire de partir très loin pour trouver le bonheur qui se cueillait dans les

tementale et commu- nale pour son engage- ment dans la vie publique. Comment pouvait-il en être autrement ? Lui qui est né d’une mère originaire de Tallenay et d’un père de Châ-

“Tallenay ne fournissait pas beaucoup de monde.”

prés du village. C’était le ryth- me du travail, des hivers rudes, des petites querelles de culti- vateurs, des rivalités entre les Cayennards (les enfants de Cayenne) et ceux de Châtillon- le-Duc, et du prêtre qui venait à pied de Devecey pour pro- noncer son sermon. “On allait à l’école l’hiver et l’été on gar- dait les vaches. Ici, c’était sur- tout des pâtures. Je dois vous dire qu’à l’école - elle était à Châtillon -, nous ne faisions pas

tillon-le-Duc et qui a fait ses premiers pas dans ce petit vil- lage qui ne comptait au départ “que 27 habitants tout au plus. Les jeunes garçons n’étaient pas mariés, les filles étaient souvent vieilles filles. Avec tout ça, Tal- lenay ne fournissait pas beau- coup de monde” se souvient-il avec humour. Trop peu de gens en tout cas pour que la muni- cipalité puisse constituer son conseil sans difficultés. Cette commune, il l’a vu gran-

Georges Conscience et son épouse Paule-Mauricette profitent de leur retraite après 54 ans de mariage.

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