La Presse Bisontine 58 - Septembre 2005

LE DOSSIER

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A CTIVITÉS Les rituels d’initiation Que font les francs-maçons bisontins ? Leur activité est couverte d’un voile de mystère. Derrière leurs réunions “secrètes” se cache un rituel à caractère initiatique où les symboles sont innombrables.

O Ù SE RÉUNISSENT - ILS ? Rue Émile-Zola Le lieu de tous les “secrets” Pour la première fois, les portes du temple où se réunissent tous les francs-maçons bisontins, se sont ouvertes, pour La Presse Bison- tine. Un lieu chargé de symboles, au cœur de la Boucle.

L a franc-maçonnerie a ses codes, notamment en ter- me de langage. Par exemple, on ne parle pas de réunions mais de “tenues”.

N ous sommes au 3, rue Émile-Zola. À deux pas du lycée Pasteur. Une petite porte latérale débouche sur un étroit escalier en pier-

le mur du fond, une immen- se fresque, réalisée par le peintre et sculpteur bisontin Georges Oudot, lui-même franc-maçon. Les maçons de Besançon ont emménagé pour la première ce temple de la rue Zola en 1852. Cette ancienne église est donc le siège officiel de toutes les loges maçonniques bisontines. Depuis plus de 150 ans. O J.-F.H.

d’initiation. Unmoment racon- té par un franc-maçon de la région : “Avant l’initiation d’un nouveau frère, 3 personnes auront mené une enquête, sui- vie d’une deuxième enquête qui fait l’objet d’un rapport sur les capacités qu’a l’impétrant de devenir franc-maçon. Si le rap- port est positif, le candidat se présente devant l’assemblée. Vient alors le moment du “pas- sage sous le bandeau”, c’est-à- dire que le candidat a les yeux bandés et doit répondre à des questions. Puis on “ballotte” le candidat, c’est-à-dire qu’on vote avec des boules blanches et noires. S’il y a une majorité de boules blanches, il est accepté. Si les boules noires dominent, son entrée est refusée.” D’où le terme de “blackbouler”, passé dans le langage courant. Voilà une mince partie du rite franc-maçon dévoilée. Ensuite, les tenues se poursuivent par des “agapes”, ces repas au cours desquels “les vraies discussions et les vrais débats ont lieu.” O J.-F.H.

hauts candélabres. Aux murs, d’innombrables figures géo- métriques. De chaque côté, des bancs sur lesquels pren- nent position les maçons lors

(appelé le catéchisme). “Cha- cune de nos tenues dure entre 1 h 30 et 2 heures. Lorsqu’un frère présente une planche, on le laisse parler. Ces exposés per-

de leurs tenues. Le vénérable de la loge s’installe au fond du temple. Sur le petit bureau fai- sant office de tri- bune, un crâne,

D’une tenue à l’autre, l’ordre du jour est dif- férent. Il y a d’abord les tenues d’initia- tion. Ces cérémonies ne sont pas nom- breuses, une ou deux par an, parfois trois pour les loges les plus

re. À l’étage, une vaste salle munie d’un bar et d’une longue table rec- tangulaire. C’est la salle dite “humide”. Les verres soigneu-

mettent d’apprendre à s’exprimer, dire l’es- sentiel en un mini- mumde mots. Et c’est aussi une bonne éco- le d’autodiscipline pour ceux qui écou- tent. Un apprenti n’a pas le droit d’inter-

Une immense fresque signée Georges Oudot, lui-même maçon.

Vient alors le moment du “passage sous le bandeau”.

comme pour rappeler l’aspect fugitif de la vie sur terre. Sur

sement rangés dans les éta- gères laissent présager de la destination de cette pièce annexe. Dans les couloirs du bâtiment, d’innombrables cadres et documents mis sous verre, dont certains sont les uniques témoins de la franc- maçonnerie bisontine, com- me cette charte remontant à l’année 1720. Une haute porte à double pan s’ouvre. Nous sommes au cœur du “pouvoir” maçon- nique bisontin. Une vaste piè- ce, type chapelle, où le bleu nuit domine. Le plafond est constitué d’une voûte sur laquelle un décor céleste a été peint. Au centre de la voûte, un grand “G” en lettre d’or. Il signifie géométrie, génie, gno- se selon les interprétations, ou encore “god” pour lesAnglo- Saxons. Dès l’entrée, le visiteur pas- se sous les deux colonnes frap- pées du “J” et du “B”, comme Jakin et Boaz, références bibliques au temple de Salo- mon.Au sol est dessiné le pavé mosaïque, chargé également de symboles. Il est entouré de

importantes. “Nous initions une personne à la fois raconte ce maçon. Ce n’est pas comme aux États-Unis où ils en font 500 ou 700 d’un coup.” Les tenues dites d’élévation sont par exemple celles où un apprenti doit présenter un exposé (appelé “planche”) pour accéder au grade supérieur de compagnon. Lors des tenues ordinaires, l’orateur livre son exposé sur un sujet d’ordre phi- losophique ou sociétal qu’il aura préalablement choisi. Ces tenues sont suivies de la lec- ture du rituel maçonnique

venir dans les débats la pre- mière année” résume un franc- maçon local. Dans une tenue, tout est codifié. “On déambu- le autour du pavé mosaïque, dans un certain sens. Parfois, nous tournons dans l’autre sens, pour une tenue funèbre par exemple” illustre ce frère. Les fantasmes véhiculés autour de la franc-maçonnerie dépassent souvent la réalité. Les francs- maçons ne sont pas cagoulés, juste vêtus d’un tablier, diffé- rent selon le grade. Le rituel prend toute sa dimen- sion durant les cérémonies

H ISTOIRE 250 ans d’histoire Besançon, vieille ville maçonnique La plus vieille loge bisontine a été créée en 1764. Ce qui fait d’elle une des plus anciennes de France. À sa tête se sont suc- cédé de hauts dignitaires, à commencer par son premier grand maître, l’intendant Lacoré.

Le bâtiment est situé à l’angle de la rue du Lycée.

I Il a une rue à son nom à quelques mètres du théâtre. L’intendant de Franche-Com- té Charles-André de Lacoré (intendant de 1761 à 1784) a laissé son nom dans l’histoire comme grand serviteur des intérêts de la région mais aussi comme grand maître de la toute première loge maçonnique de Besançon : la “Sincérité”, fondée en 1764. “C’est une des plus

dant du Droit humain (obédience mixte inter- nationale) fut créée. Dix autres loges seront ensuite fondées sur Besançon pour arriver à la situation actuelle de 12 loges dans la capi- tale comtoise. O J.-F.H.

“Une fraternité dans l’histoire. Les artistes et la franc-maçon- nerie aux XVIII ème et XIX ème siècles” : c’est le titre de l’exposition visible au musée des Beaux-Arts de Besançon à partir du 16 septembre. Suivie d’autres rendez-vous “maçonniques”. Conférences, visites La franc-maçonnerie, phénomène à la mode E XPOSITION

anciennes de France” note un maçon bison- tin du Grand Orient de France. Caracté- ristique de l’époque pour les loges provin- ciales, ses membres étaient pour l’essentiel des hauts fonction-

Ses membres étaient surtout des hauts fonctionnaires.

naires, membres du clergé et du parlement ou des nobles. Plus tard, Choderlos de Laclos (l’au- teur des fameuses “Liaisons dangereuses”), alors en poste comme capitaine à Besançon, a été missionné par le Grand Orient de France pour installer une autre loge en Franche-Com- té, “l’Union parfaite”, en 1777 à Salins-les- Bains. À ne pas confondre avec “la Parfaite union” créée en 1772 à Besançon, avec laquel- le la Sincérité fusionnera en 1786, pour don- ner naissance à la loge “Sincérité et parfaite union”. Troisième loge bisontine à voir le jour, “la Constante amitié”, en 1819, qui elle-même fusionna avec “Sincérité et parfaite union” le 21 mai 1845, prenant ainsi son nom définitif et actuel de “Sincérité, Parfaite union et Constante amitié réunies” (S.P.U.C.A.R. pour les initiés). La loge S.P.U.C.A.R. fut dès cette date et pour longtemps l’unique loge de Besan- çon. Jusque dans les années 30 où une loge dépen-

L’ exposition a été ini- tiée par Frédérique Thomas-Maurin, conservateur au musée des Beaux-Arts de

et celle de la Grande loge de France sera suivie d’autres rendez-vous culturels sur Besançon : une conférence de la responsable nationale du Droit humain sur le thème de “la franc-maçonnerie et les femmes”, le Requiem de Mozart le 5 décembre au musée, une programmation du festival de musique lar- gement tournée vers le thè- me des utopies, un cycle ciné- ma sur le thème de la franc-maçonnerie au cinéma Marché Beaux-Arts. De la franc-maçonnerie cuisinée à toutes les sauces cet autom- ne à Besançon. O

la maçonnerie et les artistes tels que Bartholdi, Claude- Nicolas Ledoux, Pierre-Adrien Pâris, Jean Gigoux ou enco- re Gustave Courbet (qui

n’était pas maçon mais qui a beau- coup fréquenté le milieu maçon-

Be sanç on . El l e commence par un voyage invitant le visiteur à plonger dans l’univers de la franc-maçonne- rie à partir de l’évo- cation d’une loge puis permet d’ap-

Collaboration du musée du Grand Orient de France.

nique). “L’intérêt de l’exposition est de montrer l’impor- tance du mouve- ment maçonnique dans l’art” résume Frédérique Thomas-Maurin. Cette exposition montée grâ- ce à la collaboration du musée du Grand Orient de France

préhender les liens qui unis- sent à partir du XVIII ème siècle la pensée maçonnique et l’es- prit des Lumières ainsi que les rapports entretenus entre

Le centre-ville de Besançon recèle quelques détails maçonniques comme ce compas et cette équerre sculptés sur le fronton du bâtiment situé au 120, Grande rue.

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