La Presse Bisontine 57 - Juillet-Août 2005

L’ INTERVI EW DU MOIS

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Éditorial

T ÉMOIN

Du journalisme à la direction du Tour de France

Christian Prudhomme : “Je souhaite un climat d’incertitude”

Équation “Besançon et le sport de haut niveau : la difficile équation.” C’est en ces termes que La Presse Bisontine avait consacré il y a plus de deux ans, un dossier à cette question. Visionnaire ? Le sport bisontin se portait alors à merveille : un club de handball fémi- nin qui multipliait les trophées, une équipe de football en passe de retrou- ver la Ligue 2 et un B.B.C.D. aux portes de l’élite nationale. Deux ans plus tard, ce beau tableau s’est sérieusement assombri. Le handball s’est enfoncé dans les déficits. Aux déboires spor- tifs, le B.R.C. y ajoute une bérézina financière et le basket ne brille guè- re plus. Le nœud du problème est bien entendu l’argent. Entre temps, les col- lectivités publiques, ville de Besan- çon et Conseil général du Doubs en tête, avaient largement soutenu l’as- cension du sport bisontin, à coup d’in- vestissements en Palais des Sports et autres stade Léo-Lagrange. Le Conseil général du Doubs a signifié récemment son refus d’accorder une rallonge à un B.R.C. moribond. Est- ce vraiment un mal que les collecti- vités aient un jour le courage de dire stop ? Stop aux dérives d’un sport professionnel tiraillé entre des exi- gences financières devenues insen- sées et nécessairement limité car n’évoluant pas parmi l’élite nationa- le. N’y a-t-il pas aujourd’hui une cer- taine incohérence à financer avec de l’argent public des clubs étranglés par les exigences du sport moderne, notamment des salaires ou les caprices de “stars”, rétributions qu’elles ne méritent parfois pas du tout ? Le pro- blème de Besançon, c’est que la vil- le et l’agglomération n’abritent pas d’entreprises assez solides pour deve- nir de vrais sponsors, fiables et géné- reux. Si les collectivités doivent bien accompagner la construction et l’as- cension du sport local, elles ne doi- vent pas en être les principaux mécènes. Les collectivités ne doivent être que les accompagnateurs du sport et non les financeurs. Il est bien là le mal bisontin : on en appelle aux institutions publiques quand ça va mal, car on n’a personne d’autres vers qui se tourner. Les élus sont donc les principales cibles des critiques lorsque les clubs déclinent. Les raisons de ces déclins massifs ne seraient-elles pas à trouver au sein même des struc- tures sportives. Leurs dirigeants vin- dicatifs devraient y réfléchir. O Jean-François Hauser

Journaliste, il commentait le Tour sur France 2. Depuis un an, il est directeur du cyclisme d’Amaury Sport Orga- nisation (A.S.O.). Bientôt, il prendra la tête du Tour de France à la suite de Jean-Marie Leblanc.

L a Presse Bisontine : Vous êtes responsable du cyclis- me chez A.S.O. (Amaury Sport Organisation). Êtes- vous pour autant patron du Tour de France ? Christian Prudhomme : Non, c’est Jean-Marie Leblanc le patron du Tour comme il l’est depuis 1989. Il en est la figure emblé- matique. En terme d’organi- gramme, je rappellerai que Jean-Marie Leblanc est direc- teur général délégué d’A.S.O. et moi je suis au sein d’A.S.O. le directeur du cyclisme. L.P.B. : Quelles sont vos missions en tant que responsable du cyclis- me ? C.P. : C’est déjà de faire en sor- te que la “boutique” tourne, dans l’organisation d’un cer- tain nombre d’épreuves, du Tour du Qatar qui se déroule fin janvier à celui du Burki- na-Faso programmé début novembre, avec en figure de proue le Tour de France. J’ai pris la responsabilité de quelques courses comme le Paris-Nice où j’étais entouré d’une équipe remarquable. Il y a aussi d’autres épreuves comme le Tour de Picardie ou le Tour du Qatar, où Jean- Marie Leblanc n’était pas là. Même si je n’avais préparé les parcours, j’étais responsable du dispositif sur le terrain. Pour le reste, il y a un parta- ge des rôles avec Jean-Marie Leblanc, sachant que la trans- mission de témoin se fait pro- gressivement entre nous. Il reste en poste jusqu’à la fin 2006, ensuite il me passera la main. L.P.B. : Vous êtes le bras droit de Jean-Marie Leblanc et donc son futur remplaçant ? C.P. : Je ne suis pas venu pour autre chose. Alors que je n’avais rien demandé, je n’ai pas quitté pour rien le poste que j’occupais à France Télé- visions, où j’étais très bien, puisque j’avais accepté de

vitesses, comme ça a déjà été fait sur leMont Ventoux. Ponc- tuellement, sur telle ou telle étape, on explique aux uns et aux autres, et aussi à la pres- se, que les conditions habi- tuelles peuvent changer sur certains parcours qui ne sont pas accessibles dans un for- mat classique imposant. L.P.B. : Vous voudriez l’emmener où ce Tour de France ? C.P. : Vousme reposerez la ques- tion quand je serais patron du Tour. Je peux vous dire que je m’inscris clairement dans la continuité de Jean-Marie Leblanc. On verra plus tard si je suis dans la lignée. L.P.B. : Vous préparez-vous à être confronté à une situation de crise sur le Tour de France comme en 1998 avec l’affaire Festina ? C.P. : Non, on ne s’y prépare pas. Le dopage est le fléau du sport de haut niveau. On le sait. L’opinion a un peu chan- gé d’idée après les Jeux Olym- piques d’Athènes en se ren- dant compte que le problème n’était pas propre au vélo. Maintenant, je suis convain- cu qu’unemajorité de coureurs sont des sportifs de haut niveau parfaitement honnêtes qui respectent les règles. C’est vrai aussi que le dopage est un fléau qui guette et contre lequel il faut être armé. L.P.B. : Comment se présente le Tour 2005. Faut-il s’attendre à une énième victoire d’Armstrong ? C.P. : C’est le dernier Tour d’Armstrong. Il l’a annoncé le 18 avril dernier et il n’y a aucu- ne ambiguïté là-dessus. Der- nier Tour, dernière victoire ? Il est encore le favori cette année. L.P.B. : On parle beaucoup en ce moment de Vinokourov. Est-il un adversaire sérieux pour Armstrong ? C.P. : J’espère beaucoup en Vinokourov qui est un cou- reur magnifique, entrepre- nant, qui ose. Il a un sens tac- tique et une intelligence de la course très affirmée. Il est capable d’attaquer partout et surtout là où on ne l’attend pas. J’espère qu’il sera en mesure de créer un climat d’in- certitude sur ce Tour, ça avait été le cas en 2003. Tout ce que j’espère, c’est qu’Armstrong aura des adver- saires à son niveau, dignes de lui d’une certaine manière. Ça n’a pas été le cas l’année dernière. Vinokourov peut être cet élément déclencheur, ce catalyseur d’attaque. On aura

thèses ? C.P. : Les patrons du Tour ont les uns et les autres été jour- nalistes. Dans le choix que j’ai fait de venir, le fait que ces personnages emblématiques aient été journalistes, était essentiel pour moi. C’est-à- dire que d’une certainemaniè- re, je pouvais quitter lemétier sans le trahir. L.P.B. : Jean-Marie Leblanc est un ancien coureur professionnel. Vous ne l’êtes pas. Est-ce que c’est néces- saire d’être passé par le vélo pour s’occuper de ce sport ? C.P. : Jean-Marie Leblanc est atypique. C’était le seul. Évi- demment, dans la structure d’A.S.O., il y a d’anciens cou- reurs professionnels qui ont participé au Tour de France. C’est clair qu’on ne peut pas être une société qui organise les plus grandes compétitions cyclistes, sans anciens cou- reurs professionnels. Si dans l’élaboration d’un parcours, ces personnes-là estiment qu’un peloton de 200 coureurs ne passe pas à tel ou tel endroit, je ne vais pas dire le contraire. Donc, est-ce que c’est vrai- ment indispensable d’avoir été coureur pour être patron du Tour de France ? J’espère que non. L.P.B. : Vous vous sentez comment dans vos nouvelles fonctions ? C.P. : Plutôt bien. C’est très dif- férent de la profession de jour- naliste, mais c’est un métier dans lequel on voyage aussi beaucoup. Il faut prendre son bâton de pèlerin et aller sur les courses qu’on organise. Nous sommes à 68 jours de compétition en 2005. Il y a beaucoup de contacts. Je vois aujourd’hui d’avantage d’élus que de champions. C’est un métier où il faut donner. Voir le bonheur que l’on peut com- muniquer dans les régions de France parce qu’on représen- te le Tour, c’est extraordinai- re.

Christian Prudhomme : “Je m’inscris clairement dans la continuité de Jean-Marie Leblanc.”

convaincu qu’il sera encore là pour animer la course. L.P.B. : Le parcours est plutôt favo- rable aux grimpeurs, aux rouleurs ? C.P. : C’est un parcours fait pour ceux qui osent. J’aime- rais qu’on ne soit plus dans quelque chose de trop strict comme ces dernières années, où on sait que le Tour se joue à des endroits précis. Je rêve que ça puisse se jouer ailleurs mais qu’il n’y ait pas qu’une échappée chevaleresque d’un coureur qui ne vise pas le géné- ral comme Richard Virenque à Saint-Flour en 2004. Il fau- drait que ce soit un des cou- reurs qui visent le général qui se lance comme ça. Je sou- haiterais un scénario qui sor- te de l’ordinaire. J’espère que ce seramoins formaté que l’an- née dernière, quel que soit le vainqueur. Quand j’étais gamin, la pre- mière semaine du Tour, il se passait toujours quelque cho- se. Ça n’arrive plus. L.P.B. : La direction du Tour a-t-elle un rôle à jouer dans l’élaboration des parcours pour changer la don- ne. Où alors le déroulement de la course ne repose-t-il que sur des stratégies d’équipes ? C.P. : Selon la formule, ce sont les coureurs qui disposent. On n’a rien d’autre à faire. Mais une fois encore, j’espère qu’il y auraun climat d’incertitude. O Propos recueillis par T.C.

peut-être aussi un Ullrich devant, ce qui pourrait chan- ger la donne. L.P.B. : Et les coureurs français dans tout ça ? C.P. : Si les Français sont concentrés sur un objectif pré- cis, ils peuvent réussir. Mais dans un registre particulier de victoire d’étape ou de prix spécifiques. Si David Mon- coutier ouChristopheMoreau se concentrent sur le maillot à pois du meilleur grimpeur après Richard Virenque, ils seront des candidats sérieux. À mon avis, il ne faut pas nécessairement se concentrer sur une huitième, une dixiè- me ou une douzième place au classement général. Les Fran- çais seront dans ce registre- là. Par contre, pour terminer dans les cinq premiers duTour, à moins d’un concours de cir- constances, je n’y crois pas vraiment. L.P.B. : On se souvient de Cédric Vasseur qui avait fait très bonne impression dans le Tour 97 en défen- dant lemaillot pendant douze jours. Depuis, sa carrière est en dents de scie. Thomas Vœckler peut-il connaître le même parcours ? C.P. : Thomas Vœckler est un excellent coureur qui peut évo- luer dans un registre de vain- queur d’étape. Il a un vrai sens tactique et un cœur extraor- dinaire. Après, il ne sera pas maillot jaune tous les ans pen- dant dix jours. Il a beaucoup donné l’an passé. Je suis

prendre la place de rédacteur en chef des deux rédactions des sports de la 2 et de la 3. En plus, c’est relativement sympa de com- menter le Tour de France.Mais quand

est éditée par “Les Éditions de la Presse Bisontine”- 5 bis, Grande Rue - BP 83 143 - 25503 MORTEAU CEDEX - Tél. : 03 81 67 90 80 - Fax : 03 81 67 90 81

“Le parcours est fait pour ceux qui osent.”

L.P.B. : Êtes-vous tou- jours en phase avec Jean-Marie Leblanc ? C.P. : C’est évident que sur le thème du gigantisme du Tour comme sur

E-mail : publipresse@wanadoo.fr Directeur de la publication : Éric TOURNOUX Directeur de la rédaction : Jean-François HAUSER Directeur artistique : Olivier CHEVALIER Rédaction : Thomas Comte, Solène Davesne,

beaucoup d’autres thèmes, nous sommes totalement en phase. Pour moi, il faut que le Tour puisse toujours aller où il veut aller sportivement. C’est nécessaire. C’est pour cela qu’on travaille sur une sorte de zone technique à deux

la proposition m’a été faite par Jean-Marie Leblanc et Patrice Clerc de devenir res- ponsable du cyclisme àA.S.O., je ne me voyais pas dire non. L.P.B. : Vous mettez donc votre car- rière de journaliste entre paren-

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Imprimé à I.P.S. - ISSN : 1623-7641 Dépôt légal : Juin 2005 Commission paritaire : 1102I80130

Crédits photos : La Presse Bisontine, A.S.O., Casino Barrière, la Citadelle, Cyclop sécurité.

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