La Presse Bisontine 57 - Juillet-Août 2005

DOSSIER

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Il est 21 heures, Besançon s’éveille…

La nuit, Besançon baigne dans une ambiance particulière. Un calme apparent. À l’heure où certains d’entre nous vont se coucher, d’autres partent au travail. Ils sont agent au centre de tri de La Poste, boulanger, policier, croupier au casino, sage-femme, médecin, D.J., bar- man. Ce sont tous des profes- sionnels qui ont pour point com- mun de partager le même univers, celui de la nuit, mais avec un regard différent en fonc- tion de leur métier. Dans ce numéro, La Presse Bisontine a choisi d’aller à la rencontre de ces hommes et des ces femmes qui, par obligation ou choix déli- béré, ont pris l’habitude de vivre à un rythme décalé. Il est 21 heures. Besançon s’éveille. Reportage, découverte.

S OLIDARITÉ

Une écoute 24 h/24 À S.O.S. Amitié, solidarité et écoute non stop

a déjà eu. Six en deux ans et demi. La pré- vention du suicide est d’ailleurs une des fonc- tions premières de l’association née il y a 48 ans. Mais les bénévoles ne peuvent prévenir les secours qu’avec le consentement de la per- sonne. Et il raconte cette nuit terrible où une femme a téléphoné peu avant minuit. Elle avait avalé des cachets en grande quantité, refusait d’être secourue. “À un moment, au

te fiche statistique. Anonyme bien sûr, le prin- cipe de base de S.O.S. Amitié. La situation de l’appel est classée selon un code chiffré. 45, c’est les phonophiles. Des hommes souvent, qui trouvent leur jouissance sexuelle par le contact téléphonique. 45, c’est justement le chiffre qu’est en train d’inscrire Michel sur la fiche. “Vous êtes en train de faire quoi là ?” , demande Michel, ironique. “Je me branle, ça vous dérange ?”

En permanence, de jour comme de nuit, l’association S.O.S. Amitié offre une écoute à toutes les personnes dépressives, iso- lées ou traumatisées. Au bout du fil, un bénévole. Là pour prê- ter une oreille attentive, assurer une présence, sans jamais juger.

C’ est un appartement, comme tant d’autres, anonyme, de Besançon. Selon les statuts de l’association, le lieu doit être tenu secret et per- sonne sauf les bénévoles n’en connaît l’adresse. Au milieu du bureau, dans la plus petite pièce, un téléphone blanc. À côté, un poste de radio, plusieurs classeurs, des livres de Boris Cyrulnik et des magazines de psychologie. Lorsque quelqu’un compose le numéro de S.O.S. Amitié, c’est là que l’appel arrive. Vingt-quatre heures sur vingt-quatre, tous les jours de l’année, un bénévole de l’association est au bout du fil. Ils sont une quarantaine à se relayer, il en faudrait dix de plus pour que le fonctionnement soit optimal. “Il a fallu que je vienne ici pour comprendre certaines choses. Au début, je pensais qu’ici appelaient surtout des gens seuls, qui voulaient parler parce qu’ils s’embêtaient. Mais c’est généralement un malai- se plus profond” , résume Michel Vasseur, en préparant le café. Vice-président de l’associa-

tion depuis deux ans, c’est lui qui cette nuit- là, de 22 heures à 8 heures le lendemain, assu- re la permanence. Retraité depuis huit ans, il est arrivé par hasard dans l’association. “Une histoire débile” , com- me il dit. “La personne qui s’occupait de régler nos obsèques à l’avance nous a montré un article sur l’association. On cherchait à s’occuper, explique, laconique, Michel. Faut pas rester tout seul. On peut tellement aider.” L’année dernière, S.O.S. Amitié a reçu 17 700 appels. 2 000 de plus que l’année précédente. “Comme quoi tout n’est pas rose en France.” Des gens qui souffrent de la solitude, de trau- matismes psychologiques ou de dépression sou- vent. Et qui cherchent plus une écoute qu’un dialogue, parlent sans attendre de réponse. Ce soir, le téléphone reste désespérément silen- cieux, puis sonne enfin. Au bout du fil, une voix masculine, lasse, entrecoupée de longs silences. Et qui en permanence répète que “ce n’est pas évident” et se plaint de sa “misère actuelle.” Devant lui, Michel remplit une peti-

bout d’une heure, elle m’a dit qu’el- le allait raccrocher. On l’entendait frissonner de tout son corps sous l’effet des médicaments. Puis elle m’a dit au revoir. En rentrant chez moi, j’ai tout raconté à ma femme et j’ai chialé.”

Mais la plupart des appelants sont des habitués. Qui ont leurs surnoms. Il y a la dame de l’heure, “qui appel- le entre 8 et 9 heures presque tous les jours pour nous demander l’heu- re trois ou quatre fois de suite.” Il y

“On l’entendait frissonner de tout son corps.”

Pour supporter ces situations, savoir écouter sans juger aussi, chaque écoutant a reçu une formation de trois mois. Mais les appels tra- giques sont rares. La nuit est déjà bien avan- cée. Dernier appel. Une femme encore, enjouée cette fois, boulimique, parce que seule. “Dites donc, ça marche chez vous. Il y a toujours quel- qu’un quand j’appelle” , commence-t-elle en riant. Elle se plaint de sa solitude. “Il faut être drôlement costaud pour faire ce que vous faites. Je vous félicite” , affirme-t-elle avec recon- naissance. “Je me suis livrée à vous, ça m’a fait bien” , dit-elle encore. Et elle raccroche. Dans la pièce à côté, un lit attend, un télé- phone au pied. Michel part se coucher. Prêt à répondre dès la première sonnerie. O S.D.

a aussi “Mon ange”. Elle appelle un peu avant minuit. “Ma vie aurait dû s’arrêter il y a long- temps. J’aurais pas dû naître” , confie la fem- me. Elle parle sans s’arrêter pendant des dizaines de minutes, voix monocorde, se répè- te plusieurs fois, revient sur ses pas dans un monologue. À l’autre bout du fil, Michel écou- te, sans intervenir, ne pose pas de questions. “À part les petits vieux, qui nous appellent pour discuter parce qu’ils n’ont pas entendu une voix depuis longtemps, il n’y a pas de vraie communication, de discussion” , reconnaît-il. Il est un peu soucieux, “Mon ange” va mal. “Elle est passée du mauvais côté. Avant, elle gardait encore l’espoir, plus maintenant.” Des personnes au bord du suicide, Michel en

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