La Presse Bisontine 56 - Juin 2005

A UDIENCE Chambre correctionnelle de Besançon Chronique de la justice ordinaire 12 LE DOSSIER Vols, violences conjugales, exhibitionnisme. Au tribunal correctionnel de Besançon, c’est la violence ordinaire qui défile. Les dossiers s’enchaînent. Au total, une vingtaine de personnes sont jugées en une après-midi.

D ans son bureau, au troisième étage du palais de justice, Yves Plantier, vice- président du tri- bunal correction- nel, sort sa robe de magistrat du petit placard. “Juste avant l’audience, il y a toujours un

réclame trois mois fermes. Son avocate plaide l’indul- gence. Ce n’est pas un grand délinquant “puisqu’à chaque fois il se fait prendre sur le champ.” Dans le public, sa fiancée essuie quelques larmes. Le président tranche. Ce sera quatre mois de pri- son. Il y a ensuite Emmanuel, un graphiste trentenaire, là pour s’être masturbé devant deux adolescentes devant la gare. Il suit une thérapie, n’ar- rive pas à expliquer son ges- te. Un mois avec sursis. De tout l’après-midi, M. Jacques est le seul à compa- raître détenu. “Nous nous connaissons” , s’amuse le pré- sident. L’agriculteur, la qua- rantaine, s’est fait une spé- cialité du vol dans les fruitières à comté de la région. Il a déjà été condamné il y a un mois pour des faits similaires. Là, il est question de sac de lait en poudre. “Les veaux avaient faim, je suis allé en chercher pour les engraisser.” Il écope de deux mois de prison ferme supplémentaires. Et repart, encadré par trois policiers. “Quelques fois, on peut déplo- rer de siéger en juge unique, explique Yves Plantier. On peut y perdre, parce qu’il n’y a pas de discussion collégia- le. C’est difficile de juger. Mais dès qu’on a un doute, on met en délibéré, pendant quelques jours. Le temps permet sou- vent de remettre les choses en perspective. Et puis il y a l’ap- pel. C’est une garantie, qui évite sûrement des erreurs.” O S.D.

re des travaux d’intérêts géné- raux” , lui demande le prési- dent. “Je sais rien du tout moi sur tout cela. Et puis, si c’est non, ça va être quoi à la pla- ce ? Parce qu’à mon âge, j’ai pas envie d’aller en prison.” Le président se plonge quelques instants sur ses notes, griffonne quelques mots, et rend sa décision dans la foulée. Un mois de pri- son avec sursis, et 40 heures de travaux d’intérêts généraux. Le magistrat se fait pédagogue, détaille la peine. “Une fois que vous aurez fait vos 40 heures, le sursis dis- paraît, personne n’en saura plus rien.” Et Sadir repart la mine réjouie. Entre chaque prévenu, l’huis- sier annonce l’affaire suivan- te, vérifie les convocations. Dans la salle, les bancs du public où se serrent prévenus, leurs familles et parties civiles, se vident peu à peu. Et le bal- let des avocats, ceux qui vont plaider et qui ont fini, reprend. C’est au tour d’un autre gar- çon, à peine plus vieux que Sadir. Il a été pris la main dans le sac, en train de déro- ber des baladeurs MP3 dans un grand supermarché et a menacé avec un cutter le vigi- le qui voulait l’arrêter. “Je l’ai pas blessé monsieur. Ma tête a cogité depuis. Je ne sais pas comment j’ai fait cela. Je vou- lais pas de mal” , se défend le jeune homme. Il a déjà été condamné à plusieurs reprises pour des vols, le procureur

peu de stress, de ten- sion. Et puis ça pas- se.” Cette après-midi, il préside seul l’au- dience. Une vingtai- ne de dossiers sont à l’ordre du jour. “Des affaires simples sou- vent. Dans les cas plus complexes, il n’y a plus qu’un dossier par audience.” Vols dans des super-

Dans le public, sa fiancée essuie quelques larmes.

marchés, violences conjugales, outrages à agent de police, exhibitionnisme, c’est la peti- te délinquance, la violence ordinaire qui défile. En trois heures trente, une petite quin- zaine de personnes sont jugées. Moyenne, quinze minutes par prévenu. La justice va vite. Sadir s’avance à la barre. Il a à peine 18 ans, prépare son C.A.P. d’horlogerie et n’a pas d’avocat avec lui. On lui reproche d’avoir recelé un télé- phone portable volé. “J’ai demandé si le téléphone était volé. Le type a souri alors j’ai compris” , explique-t-il. Le pro- cureur de la République récla- me un mois de prison. “J’ai fait une faute une fois, ça m’a suffi. Déjà venir ici, c’est pas drôle. Alors je vous jure que plus jamais j’aurai affaire à la justice” , implore Sadir. “Seriez-vous d’accord pour fai- Les magistrats : siège et parquet Les magistrats sont divisés entre magistrats du siège et du parquet. - Le parquet. Constitué par le pro- cureur et ses substituts - ils sont 8 àBesançon -, le parquet représente les intérêts de la société et parle au nomde celle-ci lors des audiences. C’est le procureur qui décide au début de la procédure de donner suite ou non à une affaire. C’est lui aussi qui dirige le travail des ser- vices judiciaires de police et de gen- darmerie. - Le siège. Appelés ainsi car ils sont assis pendant l’audience, contrai- rement au procureur qui se lève pour requérir, ce sont eux qui jugent véritablement. Après avoir enten- du les différentes parties - témoins, prévenu, avocats des deux parties et procureur -, ils tranchent le liti- ge. Lors d’une audience correc- tionnelle, ils sont généralement trois, un président de tribunal et deux assesseurs.

Cet autre jour, une audience entièrement consacrée aux infractions routières. (photo archive L.P.B.).

V ICTIMES

Une association pour les aider La victime, objet de toutes les préventions

Longtemps oubliée par la justice, la victi- me est revenue au centre des préoccupa- tions. Depuis 20 ans, une association, l’A.A.V.I., leur vient en aide.

tenu en janvier, Brigitte a eu gain de cause. “Aux yeux de ma fille, on a gagné. Quand elle a su qu’il a été puni, elle a été contente. Elle se remet lentement, mais ce n’est plus tout à fait la même.” Et désormais le rôle de vic- time est davantage reconnu par la justice elle-même. Depuis la loi Perben 2, le juge d’application des peines est ainsi tenu de prendre en compte des intérêts de la vic- time lorsqu’il décide d’une libération conditionnelle. “On peut entendre la victime si cette libération peut avoir des conséquences négatives pour elle. Et on doit l’infor- mer des décisions que l’on prend” , explique Patrick Baud, juge d’application des peines. O S.D.

Brigitte a appelé à l’aide il y a un an. “Ma fille avait 12 ans. Sur le moment, elle ne nous a pas parlé. C’est pas des choses qu’on dit facile- ment. On avait juste vu qu’el- le avait changé” , raconte-t- elle. Et puis un vendredi soir, sa fille a craqué. Et a racon- té avoir subi des attouche-

seur. “Ce sont les plus grandes souffrances, car elles ont le sentiment de ne pas être reconnues.” En 2004, 2 800 personnes ont été reçues par ses services. 20 % de plus que l’année pré- cédente, même si cela ne représente que 6 %, à peine de toutes les victimes. “Il faut

D ans un procès, il y a le prévenu. Mais il y a aus- si la victime. Pendant long- temps, elle a été la grande oubliée des tribunaux. Elle est depuis peu revenu au centre des attentions. “Il y a 20 ans, les victimes avaient l’impression qu’on se préoc- cupait plus de l’auteur des faits que d’elles. Elles n’étaient pas informées du suivi de leur plainte, ne savaient pas comment se déroule un procès. Mainte-

nant, les doléances ont chan- gé. Il y a un véritable droit des victimes. Elles réclament un droit à la parole dans le procès, à être reconnues com- me victimes” , explique Fathia M’rad, la directrice de l’as- sociation d’aide aux victimes d’infraction, l’A.A.V.I. Implantée depuis plus de 20 ans à Besançon, l’associa- tion les épaule, leur fournit une aide juridique et psy- chologique. Ou leur explique pourquoi leur dossier est clas- sé sans suite, faute parfois d’avoir pu retrouver l’agres-

ments sexuels de la part d’un gar- çon à peine plus âgé qu’elle, au col- lège. Brigitte a déposé plainte. “Mais au début, on ne sait pas trop ce qu’il faut faire.

réagir vite. Plus on tarde, et plus la personne va déve- lopper un senti- ment de solitude, d’abandon, qui va ensuite rejaillir sur toute son attitude” , reprend Fathia

Une aide juridique et psychologique.

M’rad. C’est à cet effet d’ailleurs qu’un numéro d’ap- pel national, le 08 VICTIMES a été mis en place il y a quelques semaines par Nico- le Guedj, la secrétaire d’É- tat aux Victimes.

La justice, on ne connaît pas, on a toujours peur. Et on n’avait pas les moyens de payer un avocat” , explique- t-elle. C’est l’association qui lui a fourni gratuitement l’ai- de juridique. Le procès s’est

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