La Presse Bisontine 56 - Juin 2005

11 LE DOSSIER

P ARQUET

Le procureur de la République se confie Jean-Yves Coquillat : “Laisser traîner une affaire, c’est une faute professionnelle” Arrivé il y a deux ans à la tête du parquet du tribunal de grande instance, Jean-Yves Coquillat dresse un bilan sans concession du fonctionnement de la justice à Besançon. Et insiste pour que la politique pénale ne soit pas uni- quement guidée par le tout répressif.

L a Presse Bisontine : On entend souvent dire que les magistrats sont débordés, ce qui expli- querait les délais interminables de certains jugements. Qu’en est-il à Besançon ? Jean-Yves Coquillat : On ne peut pas comparer la

demandé un état des lieux. Puis j’ai changé l’organisation du greffe, séparé le service de l’audiencement du greffe correctionnel. Il y a eu aussi un certain mouvement du personnel. Certains sont partis, d’autres ont changé de

service. Un greffier supplémentaire a été nommé également. Maintenant, j’exige des résultats. Et au final, l’am- biance de travail s’est améliorée. Les gens avaient en fait l’impression d’être abandonnés. Sur chaque bureau, il y avait des

situation de grandes villes françaises et de Besançon. Besançon souffre d’un manque de personnel, mais pas de magistrats. De ce côté-là, nous sommes plutôt bien lotis. Ce qui fait défaut, ce sont les greffiers. Car à quoi ça sert d’avoir des magistrats pour rendre

Jusqu’à 18 mois pour un jugement.

piles de dossiers, cela créait une dynamique négative. La première année, on a rattrapé le retard des jugements à taper. La deuxième, on s’est attaqué au retard de l’exécution des peines. Les délais désormais sont satisfaisants, on ne pourra pas descendre en dessous. Car tout se fait encore de façon manuelle, l’informatisa- tion n’est prévue que pour 2007. La justice doit être rapide aussi. Laisser traîner une affaire, c’est une faute professionnelle pour un magis- trat. L.P.B. : Quelles sont les grandes orientations de votre politique pénale ?

des jugements s’ils ne sont pas exécutés ensui- te ? Quand je suis arrivé en tant que procu- reur à Besançon il y a deux ans, les jugements correctionnels avaient 18 mois de retard. Et il fallait encore attendre un an à un an et demi pour que le jugement soit finalement exécuté. Maintenant, les jugements sont tapés dans les trois semaines et exécutés dans les trois semaines suivantes. L.P.B. : Pourquoi y avait-il de tels délais ? J.-Y.C. : Le problème, c’était simplement une organisation défectueuse. Il fallait donner une impulsion et remettre les gens au travail. J’ai

Pour le procureur de la République Jean-Yves Coquillat, “il faut une justice qui reste humaine, qui prenne en compte les intérêts de tout le monde.”

L.P.B. : Si une personne est arrêtée pour avoir fumé un joint, par exemple, vous poursuivez ? J.-Y.C. : S’il ne s’agit que d’utilisateurs simples, majeurs, il n’y aura pas d’action de poursuite. S’il y a de la revente, là, ce sera différent. Mais ce n’est pas le discours actuel. Une circulaire nous demande d’être plus fermes. On verra. L.P.B. : Il y a quelques mois, l’affaire des greffiers Caza- li a secoué le tribunal de commerce… J.-Y.C. : La justice ne distingue pas selon les auteurs. Ce n’est pas le désir de “se faire des notables”, comme cela a été dit par certains, mais la loi s’applique à tous et peut-être même un peu plus à ceux qui travaillent pour elle, avec une exigence d’honnêteté supplémentai- re. C’est facile de poursuivre quelqu’un qui a volé chez Carrefour. Mais comment poursuivre justement quelqu’un qui vole dans un super- marché, si on ne poursuit pas quelqu’un qui a fait bien pire. Il faut essayer d’être impartial, sont satisfaits bien sûr. Mais il y a aussi des dossiers, où on a parfois des réactions. Des enquêteurs qui ne comprennent pas pourquoi on laisse tomber. Il faut y prêter attention, dis- cuter. Juste deux exemples. Une femme était venue déposer plainte contre son ex-mari qui consultait des sites pédophiles et avait appor- té pour preuve l’ordinateur qui avait apparte- nu au couple. Sur le disque dur, les policiers ont effectivement retrouvé des éléments. Mais le parquet a classé l’affaire. Uniquement par- ce que les faits étaient prescrits. Légalement, on ne pouvait rien. Dans une autre affaire, un accident de la route meurtrier au Saut du Doubs, le dossier avait été classé par un de mes substituts qui considérait que la faute commise n’était que légère. Là aussi, les gen- darmes n’avaient pas compris. J’ai donc réétu- dié le dossier et là, j’ai finalement ouvert une procédure. O Propos recueillis par S.D. traiter tout le monde de la même façon devant la loi. Lors de mon dis- cours de rentrée, j’ai envoyé un mes- sage très clair au tribunal de com- merce, on va voir ce qu’ils en font. L.P.B. : Vos décisions de classer certaines affaires sont-elles toujours bien acceptées par les policiers ? J.-Y.C. : Quand on donne un suivi, ils

J.-Y.C. : Ce qui domine, c’est le principe de prag- matisme. Ça ne sert à rien de faire des effets d’annonce et de poursuivre si on ne juge pas après. J’ai essayé d’adapter les moyens à la politique. Depuis deux ans, j’ai diminué le nombre de jugements correctionnels, même si cela a surpris. Tout n’a pas vocation à aller à l’audience. On a ainsi eu recours à de nouvelles procédures qui n’étaient pas utilisées jus- qu’alors, la composition pénale, l’ordonnance pénale. Leur nombre est en forte augmenta- tion. On l’utilise principalement pour la délin- quance routière, les excès de vitesse. Depuis peu, nous disposons aussi de la procédure nou- velle du plaidé coupable dans notre arsenal juridique, qui devrait prendre de l’ampleur à terme. Ne passent ainsi en audience correc- tionnelle que les dossiers qui le méritent et on évite de perdre du temps sur des dossiers qui n’apportent rien à être traités ainsi. La ques- tion n’est pas de juger plus mais de juger mieux. se pour les mineurs est quasi systématique. Sur 1 325 procédures, 6 seulement ont été clas- sées. Cela peut se faire sous forme de rappel à la loi. C’est indispensable car la délinquan- ce des mineurs est quelque chose qu’on ne doit pas ignorer. On aurait vraiment besoin d’un centre de détention fermé pour mineurs dans la région par exemple. L.P.B. : Vous êtes pour la fermeté ? J.-Y.C. : Je ne recherche pas forcément la répres- sion. Même si je suis intraitable sur tout ce qui est vol professionnel, en bande organisée, le proxénétisme… Il faut une justice qui res- te humaine, qui prenne en compte les intérêts de tout le monde. Le terme de “tolérance zéro” ne fait pas partie de mon vocabulaire. Je reven- dique le droit de classer ce qui ne mérite pas d’être poursuivi et ce n’est pas une faiblesse que donner une chance à quelqu’un. Tout péna- liser semble être un travers dangereux. L.P.B. : Quelle est la proportion de plaintes pour lesquelles vous ne poursuivez pas ? J.-Y.C. : Sur 23 000 P.V. enregistrés en 2004 par les services de police et gen- darmerie, 17 000 ont été classés sans suite. D’abord parce que tous n’étaient pas poursuivables, soit parce qu’il y a une prescription, soit parce que l’au- teur est inconnu. Par contre, la répon-

“La question n’est pas de juger plus mais de juger mieux.”

Dès qu’une procédure est engagée par les services de police ou de gendarmerie, ceux-ci contactent le substitut du procureur de permanence. C’est lui qui décide alors des poursuites à ouvrir ou non.

Made with FlippingBook - professional solution for displaying marketing and sales documents online