La Presse Bisontine 56 - Juin 2005

10 LE DOSSIER

Z OOM La détention provisoire Prison sans procès Avant son procès, le prévenu peut être placé en détention provisoire. Une mesure souvent justifiée par la nécessité de mener l’enquête.

B ATAILLE JUDICIAIRE Sept ans de rebondissements “Même si je n’ai pas toujours confiance, je continue à espérer dans la justice” Classements sans suite, dossiers égarés. Depuis plus de 7 ans, Fabienne Retrouvey se bat pour traduire devant la justice une affaire de drainage illégal à Grandfontai- ne. Le dossier est désormais à l’instruction.

F aire de la prison sans procès, cela arrive par- fois. Et c’est la détention provisoire. Quand la justice ne peut pas relâcher le pré- venu avant son procès, sou-

la détention qui ordonne nor- malement le placement en détention, après avoir été sai- si par le juge d’instruction. “Je n’ai pas l’impression qu’il y ait de heurt frontal. Quand

F abienne Retrouvey est une acharnée. Depuis 1998, elle fait tout pour que la culpabilité du maire de Grandfontaine soit reconnue, dans une affaire de faux en écritures publiques. Une première plainte a été déposée il y a 7 ans. Une pre- mière fois, le procureur l’a clas- sée sans suite. Elle s’est alors tournée vers le doyen des juges d’instruction, qui a à son tour prononcé un non-lieu. La chambre de l’instruction lui a finalement donné raison et reconnu que le dossier méri- tait d’être poursuivi. “Mais le

publiques contre le Conseil régional, le procureur lui aurait dit d’aller négocier, plutôt que de saisir la justice, affirme-t- il. Fabienne, elle, veut croire à la justice. Chez elle, elle gar- de encore le petit mot d’en- couragement d’une amie, qui avait entrepris des procédures similaires. “Cela avait pris 8 ans, mais le maire avait fini par être reconnu coupable. Alors pourquoi pas dans mon cas aussi. Même si je n'ai pas tou- jours confiance, je continue à espérer dans la justice” , dit- elle. O S.D.

près, en téléphonant pour prendre des nouvelles. On me disait que c’était à l’étude et puis un jour, alors que la pres- cription se rapprochait, on m’a annoncé que le dos- sier avait disparu.” Serge Grass, à la tête d’une association de contribuables, est persuadé que “dès qu’on touche au pou- voir, la justice atteint ses limites. Selon que vous êtes puissants ou pas, ce n’est pas la même chose.” En 1993, alors qu’il déposait plainte pour faux en écritures

juge d’instruction actuel est l’adjoint du procureur de l’époque, celui-là même qui avait classé l’affaire. Je le vois mal se déjuger maintenant. Et

vent dans les affaires criminelles, parce que trop dan- gereux ou qu’elle a besoin de le mettre à l’ombre quelque temps pour les

le juge d’instruction veut placer en déten- tion, en général, il place” , remarque-t- on au barreau. Et il n’est pas rare que la détention

299 personnes ont ainsi été indemnisées.

quand une affaire n’intéresse pas le juge d’instruction, cela peut durer des années” , se lamen- te Fabienne Retrou- vey. Dans une autre des procédures qu’elle

“Un jour, on m’a dit que le dossier avait disparu.”

provisoire dure des mois. Si la personne est finalement blanchie, ne reste plus qu’à demander réparation. En 2003, 299 personnes ont ain- si été indemnisées, pour un montant global de 2, 95 mil- lions d’euros, selon les chiffres de la justice. O

besoins de l’enquête. “La rai- son invoquée est souvent le danger de trouble à l’ordre public. On l’utilise à toutes les sauces” , affirme l’avocate Bri- gitte Tournier, même si pour elle, Besançon n’est “pas par- ticulièrement répressif.” C’est le juge des libertés et de

a engagée, concernant des drai- nages illégaux sur sa commu- ne, le dossier aurait disparu du parquet. “Je le suivais de

C OMPARUTIONS IMMÉDIATES Jugement un à deux jours après les faits Le tribunal ne lésine pas sur la comparution immédiate La procédure, qui a connu une nouvelle impulsion avec les lois Per- ben, est très utilisée à Besançon. 150 comparutions immédiates ont eu lieu l’année dernière. Même si elle soulève des critiques.

T ÉMOIGNAGE

Détention provisoire pendant un an

“La justice est un mammouth très lent” Laurent a été libéré il y a quelques mois après avoir été placé en détention provisoire pendant plus d’un an. Lui se dit innocent. Et attend toujours son procès.

O n l’appellera Laurent, le pré- nom a été chan- gé. Un matin, des gendarmes sont venus le chercher à son travail, parce qu’ils voulaient l’in- terroger sur “une affaire”. Ils n’en ont pas dit plus. Une affaire de mœurs. Laurent les a suivis, per- suadé qu’il “serait de retour avant midi, au plus tard en fin d’après-midi.” Après une journée de gar- de à vue, il a été placé en détention provisoire. “Mon avocat me disait de ne pas m’inquiéter, que tout irait vite. Et puis les semaines, les mois se passent. Puis une année…” , murmure- t-il. Aujourd’hui, Laurent est à nouveau libre depuis quelques mois, après un an et 10 jours de maison d’arrêt. Il attend toujours son procès, dont la date n’est pas encore fixée. Depuis sa libération, il n’a aucun contrôle judiciaire, peut quitter le territoire national quand il veut. “La preuve que même la justice maintenant ne doit plus trop croire à ce qu’on me reproche. Et qu’elle m’a mis un peu trop vite en prison” , affirme Laurent, qui se dit innocent depuis le début. “Je n’avais jamais eu affaire à la jus-

“L a comparution immédiate s’est considérablement déve- loppée à Besançon depuis plusieurs années” , note Brigitte Tournier, avo- cate pénaliste. Prévu depuis longtemps par les textes de loi, ce mode de jugement accéléré a pris une nou- velle ampleur avec les lois Perben.

n’ont jamais cru à sa cul- pabilité, l’ont toujours sou- tenu, mais il a perdu sa société, qui a fait faillite. Depuis sa sortie, Laurent essaye de “se remettre dans sa tête” , de se reconstrui- re lentement. “Mais tant que le procès n’est pas pas- sé, j’ai toujours une épée de Damoclès au-dessus de la tête. C’est relativement lourd à supporter.” Sa voi-

En 2004, 150 affaires ont été jugées sur ce mode. Le but, accélérer la

tice. Alors quand le poli- cier m’a demandé si je vou- lais un avocat commis d’of- fice, j’ai dit oui. Mais, je pense que ça a retardé ma libération.” En prison, il a appris par cœur le code pénal, “crié à son avocat les choses qui semblent évidentes, qui ne peuvent pas matériellement avoir eu lieu.” Laurent raconte aussi les passages devant

vite pour des dossiers pour lesquels on n’a pas d’éléments” , critique l’avo- cat Christian Dufay. Et les peines encourues peuvent aller jusqu’à deux ans de prison tout de même. “Alors quand une affaire est assez grave, que mon client nie les faits, je lui conseille de demander à être jugé plus tard. Même s’il doit faire de la détention provisoire.” O

procédure judiciaire et évi- ter la détention provisoi- re. Car le prévenu est jugé dans la foulée, le lende- main ou deux jours après avoir été interpellé.

La rapidité a aussi des revers.

Mais la rapidité a aussi des revers. “Il y a un excès inverse. On juge très

ture devenait vieillissante, il a fallu qu’il en rachète une neu- ve. “Mais au moment de signer, je me suis dit “C’est con, si ça tombe, ils vont te remettre en taule sans que tu

le juge des liber- tés et de la déten- tion, tous les quatre mois, qui lui laisse entendre que tout devrait aller vite, mais renouvelle finale- ment lemandat de dépôt et sonmain- tien en détention

“Un jeu d’enfant

d’envoyer un voisin en prison.”

puisses en profiter.” J’ai eu soudain peur. J’ai ache- té la voiture quand même, mais ça n’a pas été un plai- sir comme avant.” Il veut maintenant que tout se termine le plus vite possible. Il ne compte pas trop sur les réparations de la justice. “Je ne me fais aucune illusion, ça ne réparera pas tout. C’est hallucinant et ça peut arri- ver à n’importe qui. Sans que personne ne s’en émeu- ve. C’est devenu un jeu d’enfant d’envoyer un voi- sin en prison.” O S.D.

provisoire. “Et là, vous ne comprenez plus rien du tout.” Depuis, il en veut à la justice. “Lorsque le chef d’inculpation est énorme, je peux comprendre qu’on mette quelqu’un “à l’ombre” pendant unmois, le temps de faire des véri- fications. Mais la justice est un mammouth très lent, et c’est insupportable. C’est sûr que les magis- trats doivent avoir 1 000 bonnes excuses, mais il y a dans le même temps la vie de personnes qui se joue.” En prison, ses proches qui

En comparution immédiate, les peines peuvent aller jusqu’à deux ans (photo archive L.P.B.).

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