La Presse Bisontine 55 - Mai 2005
L’ÉCONOMI E
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Alain Ricot : “Ce métier ne s’apprend pas dans les écoles” C ONFISERIE 10 tonnes de dragées produites Il a la double casquette de chocolatier et de dragéiste. Il est aujourd’hui à la tête de l’enseigne “Le chocolat noir” au centre-ville et des Dragées Jac- quemin rue des Cras, une société qu’il a reprise il y a plus de trois ans.
L a Presse Bisontine : On entre dans la période des mariages, communions, baptêmes. C’est un moment faste pour la commercialisation des dragées ? Alain Ricot : Cest vrai. Je dirais que la saison débute au mois de mars. On atteint le point le plus fort de lactivité en avril et mai. En deux mois, je réa- lise 40 % de mon chiffre daf- faires. L.P.B. : Combien de personnes employez-vous entre “Le chocolat noir” et la fabrique de dragées ? A.R. : Nous sommes 7 personnes au total dont 3 affectées à lac- tivité dragée. Leffectif peut monter à 14 en fonction des périodes. L.P.B. : Quel est votre chiffre d’af- faires en production de dragées ? A.R. : Nous sommes entre 150 000 et 200 000 euros. Mon objectif est de parvenir à aug- menter ce chiffre de 8 à 10 % par an. L.P.B. : La dragée est toujours un produit tendance ? A.R. : Pas exactement. Aujour- dhui, elle est en perte de vites- se. Cest à mon avis lié au fait
transmettre mes compétences.
quil y a moins de mariages, moins de baptêmes. On a per- du lhabitude de ce produit au fil des années. Avant, on en retrouvait systématiquement sur les tables de fêtes. Désor- mais, ce nest plus le cas. Le problème est que la dragée est encore associée à la religion parce quon en consomme sur- tout à loccasion dun baptême ou dun mariage. Elle est très connotée alors que ce produit na absolument rien à voir avec tout cela. L.P.B. : Cette friandise est souvent de couleur bleue, blanche et rose. Y a-t-il des innovations pour “ reloo- ker ” la dragée ? A.R. : Ce sont ces couleurs qui se vendent le plus. Mais il y a une tendance à la dragée de couleur vive et brillante. Je vais faire une formation pour maîtriser cette technique de fabrication. Je souhaiterais me lancer éga- lement dans la production de la véritable praline artisanale, qui se fait dans lesmêmes turbines que la dragée. L.P.B. : Avant vous, la maison Jac- quemin fonctionnait avec un réseau de revendeurs pour distribuer ses
produits dans presque toute la Fran- ce. Avez-vous conservé ce réseau ? A.R. : Jai supprimé au contrai- re tous les revendeurs. Cest nous qui commercialisons à 95 % toute notre production pour des raisons de coût. Quand jai repris cette entreprise, le chiffre daffaires était en bais- se. Jai constaté que les reven- deurs bénéficiaient dun prix
LP.B. : La dragée est un produit mar- ginal, ou alors la trouve-t-on dans tous les pays du monde ? A.R. : Dans la plupart des pays, on ne trouve pas de dragée. En Europe, seule la France, lEs- pagne, le Portugal et lItalie sont des consommateurs. Cest au Portugal que ce produit est
Alain Ricot : “En deux mois je réalise 40 % de mon chiffre d’affaires.”
à vendre son activité. Laffai- re ma semblé intéressante alors que de mon côté je venais dabandonner lidée de créer une grande boulangerie à Fra- nois faute davoir pu trouver un collaborateur de confiance. Je trouvais que les dragées Jac- quemin étaient un produit de référence qui coïncidait avec ma façon de voir les choses par rapport au niveau de qualité que je défends déjà au choco- lat noir, mon magasin du centre-ville. Jai donc repris lentreprise malgré certains avis défavorables. L.P.B. : En reprenant Jacquemin, vous avez également hérité du “boulet de la Citadelle.” Comment se com- porte ce produit ? A.R. : Cette année, nous sommes confrontés à une chute qui suit finalement lévolution du com- merce en général. Jai voulu étendre ce produit à toute la Franche-Comté en lui donnant une seconde appellation qui est le boulet comtois. Je suis propriétaire du nom. Le pro- blème est que je suis contre- fait localement alors que cest un produit déposé. Le boulet de la Citadelle est souvent copié mais jamais égalé. L.P.B. : Tous ces savoir-faire sont à découvrir à la fabrique rue des Cras où vous êtes en train d’aménager un musée de la dragée ? A.R. : Le musée est ouvert trois après-midi par semaine, le jeu- di, le vendredi et le samedi. Les gensvisitentlemagasin,ilsvoient le laboratoire où je travaille. Ils peuvent assister à une séance de fabrication à condition que je sois en période de production. On explique, on déguste. Il manque encore quelques pièces pour finaliser cemusée qui sera prêt dès cet été. ! Propos recueillis par T.C.
Dans la situation actuelle, il ne faudrait pas que le prix du fruit sec continue à monter. Car le consommateur est prêt à acheter un produit haut de gamme, mais pas à 40 euros le kilo. L.P.B. : Alors que le pouvoir d’achat des ménages est en baisse, on ima- gine que la grande distribution avec sa politique de prix bas vous fait du tort ? A.R. : Jai tendance à dire que la grande distribution tue le métier. Mais dun autre côté, je pense que les artisans ont aussi leur part de responsabi- lité dans cette déchéance. À un moment donné, ils se sont mis à commercialiser des produits industriels quils ne fabri- quaient plus et que lon retrou- vait partout, y compris dans la grande distribution. Ce nétait pas leur rôle. Lartisan est là pour faire la différence en imposant un niveau de qua- lité et une originalité. L.P.B. : Vous avez des projets d’in- vestissement dans un nouveau maga- sin par exemple ? A.R. : Jai quelques pistes de réflexion. En tout cas, si je dois créer un magasin, ça ne sera pas au centre-ville où lactivi- té est devenue difficile. Jirais plutôt en zone et a priori ce serait Valentin. L.P.B. : Vous avez donc des pers- pectives pour cette entreprise que vous avez reprise il y a plus de trois ans. Quelles étaient vos intentions à l’origine ? A.R. : La maison Jacquemin existe depuis 151 ans. Lacti- vité a perduré de père en fils pendant toute cette période. Lentreprise qui a employé jus- quà une centaine de salariés fabriquait du chocolat, de la dragée, des bonbons. Il y a trois ans et demi, jai appris que la famille Jacquemin cherchait
le plus réputé. Par contre, enAllemagne et en Angleterre, la dragée est inconnue. Comme aux États- Unis. L.P.B. : Existe-t-il autant de sortes de dragées qu’il existe de fabricants ? A.R. : On trouve trois
dachat des dragées avantageux ce qui leur permettait dappliquer des marges impor- tantes à la revente. Jai donc décidé daug- menter les prix pro- posés aux revendeurs. Mais nous navons pas trouvé de terrain den- tente. Je men suis
“Le prix de certaines amandes a augmenté de 100 %.”
catégories de dragées. Celles produites par les artisans qui cherchent à faire un produit de qualité avec moins de sucre. Les industriels qui fabriquent de la bonne dragée. Ensuite, il y a la grande distribution qui vend un prix et pas un pro- duit. L.P.B. : Qu’est-ce qui fait la diffé- rence ? A.R. : Ce qui change, cest la composition du sirop et la quan- tité de sucre mis autour de lamande pour faire la dragée. Nous travaillons entre 40 et 50 % de sucre, le reste est de lamande. Cette proportion per- met darriver à un produit final beaucoup plus tendre. Dans lindustrie, on a tendance à uti- liser beaucoup plus de sucre, un ingrédient qui coûte moins cher, pour enrober des amandes de qualité moyenne. Résultat, la dragée est plus dure. L.P.B. : Le problème se situe donc au niveau du prix de l’amande ? A.R. : Le marché de la dragée est contraint par laugmenta- tion du prix des fruits secs. Certaines amandes sachètent 10 euros le kilo, dautre se trou- vent à 18 euros le kilo, hors taxes. En 2003 par exemple, le prix de certaines amandes a augmenté de 100 %. La dif- ficulté est quon ne peut pas répercuter dautant cette haus- se sur le prix de vente au client.
donc séparé. Ça ne mintéres- sait pas davoir des charges fixes importantes, de ne pas gagner dargent et surtout de mettre en péril lactivité cho- colat. Je ne regrette pas ce choix car jai réussi malgré tout à maintenir le chiffre daffaires voire à laugmenter. Désormais, je travaille avec deux ou trois revendeurs, et nous avons deux points de vente fixe de dragées à Besançon, ici à la fabrique et au centre-ville. L.P.B. : Combien de tonnes de dra- gées produisez-vous chaque année ? A.R. : Je produis environ 10 tonnes. Par rapport à ce qui a été fabriqué dans ces locaux à une certaine époque, cest peu. Maintenant, il faut tenir comp- te que je suis seul à la fabri- cation, donc ce résultat est déjà pas mal. L.P.B. : Il existe beaucoup d’artisans dragéistes comme vous en France ? A.R. : Nous sommes 5 artisans en France. Il est évident que cest un savoir-faire qui se perd. À côté, il y a aussi quelques industriels qui fabriquent dans de grandes quantités. Le pro- blème de notre profession est que le métier de dragéiste ne sapprend pas dans les écoles. On se forme sur le tas. Ce fut mon cas. Jespère simplement quà terme ce métier ne va pas disparaître. Pour ma part, je souhaiterais pouvoir un jour
Le marché de la dragée est contraint par l’augmentation des prix des fruits secs.
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