La Presse Bisontine 54 - Avril 2005
L’ INTERVI EW DU MOIS
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Éditorial
H ÔPITAL
Réforme de la santé
Patrick Pelloux : “On ne doit pas gérer l’hôpital comme une entreprise”
Boomerang Interrogées par la Banque de France de Besançon début 2005, 18% des entreprises francs-comtoises osent avouer qu’elles ont dans les cartons un projet d’investissement à l’étranger. Faut-il pour autant en déduire que près d’une entreprise sur cinq a prévu de quitter le sol régional pour des territoires plus accueillants ? Non. La plupart d’entre elles prévoient d’investir dans une unité à l’étranger pour être au plus prêt des futurs marchés porteurs tels que la Chine par exemple. Cette nuan- ce n’est pas pour autant rassurante. Les deux pages que nous consacrons ce mois-ci au “phénomène de la délo- calisation” donnent une première leçon, c’est qu’aucun organisme, aucun syn- dicat professionnel, aucune institution, aucune collectivité locale n’a lamoindre idée précise du nombre d’entreprises locales qui prévoient d’investir à l’étran- ger. Personne ne prend la peine de recenser - sauf cette étude la Banque de France mais qui ne repose que sur un échantillon de 650 entreprises - l’am- pleur de ce phénomène qui risque de percuter de plein fouet, tel un boome- rang, la consciencedes décideurs locaux dans deux ou trois ans. Pour certains observateurs, comme le président de la Chambre de Commerce et d’Indus- trie, il serait plutôt réjouissant de voir nos fleurons de l’industrie localemettre un pied à l’étranger. Il ne faudrait pas parler de délocalisation, expression taboue. Mais en vérité, c’est au contact des premiers concernés - les chefs d’en- treprises eux-mêmes - que l’on s’aper- çoit à quels points certains sont au pied du mur : ils n’investissent pas à l’étran- ger par stratégie de développement, mais souvent par obligation. Obligation de survie. Au risque de perdre leurs don- neurs d’ordre qui compressent de plus enplus les prix. Une seule solution alors : produire là où ça coûte le moins cher. Les syndicats de salariés, bien sûr, n’ad- mettent jamais de telles explications. Pourtant, les dirigeants d’entreprises ne font que suivre un mouvement inéluc- table qui devrait conduire au schéma suivant : ici les départements recherche, développement, commercialisation, pro- duction à haute technicité, là-bas, tout ce qui relève de la production de gros volumes ne nécessitant pas un savoir- faire pointu. Schématique ou alarmiste, ce scénario n’en est pas moins réalis- te. Les chefs d’entreprises en sont, pour la plupart, convaincus. !
La France a découvert l’urgentiste Patrick Pelloux au cœur de la canicule de l’été 2003. (photo A.F.P.)
Médecin urgentiste à l’hôpital Saint-Antoine à Paris, Patrick Pelloux a été le premier à tirer la sonnette d’alar- me en pleine canicule d’août 2003. À la tête de l’asso- ciation des médecins urgentistes hospitaliers de Fran- ce, il fustige toujours lemanque demoyens des hôpitaux et les réformes amorcées par le gouvernement.
L.P.B. : Que pensez-vous de la réforme instaurant le principe du médecin référent ? P.P. : Dès le début, nous avons combattu cette reforme de lassurance maladie car on craignait quelle naboutisse à un accès au soin limité. Mais on aurait aimé voir toutes les contestations actuelles au moment où la loi a été votée. Maintenant, il faudrait quel- le aille jusquau bout de son échec, pour prouver que le
L.P.B. : Que pensez-vous de la réforme de l’hôpital engagée par le gouvernement, qui prévoit notamment la rémunération des établissements à l’acte ? P.P. : Cest une catastrophe. Cest intéressant tout de même de noter que le gou- vernement emploie ce mot de tarification à lactivité. À aucun moment, il ne parle de la qualité des soins, du ser- vice public, de laccès au soin. Derrière un objectif que tout
L a Presse Bisontine : Deux ans après la cani- cule, avez-vous l’im- pression que la situa- tion au sein de l’hôpital s’est améliorée ? Patrick Pelloux : Non, certai- nement pas. Tout dabord par- ce que ce qui sest passé à lété 2003 na pas empêché le gouvernement de mener sa politique de réforme de lhô- pital, ce qui est une erreur. La rationalisation des moyens est de pire en pire. Cette année, lobjectif national des
meilleur systè- me qui soit est lassurance sup- portée par tous, pour tous. L.P.B. : Quelle serait la solution pour réduire le déficit de
le monde peut comprendre - réfor- mer lhôpital, pour quil fonctionne mieux - ce plan cache lhôpital entreprise : prendre lentre- prise commemodè-
tique. Les personnes âgées de demain, cest nous. Et lors- quon voit comment elles sont considérées, comme des sous- problèmes de la société, cest inquiétant. Mais cest un pro- blème de société. La même question se pose dailleurs pour les handicapés, les défi- cients mentaux... L.P.B. : Et aux urgences ? P.P. : Aux urgences, on prend tout de plein fouet. La fin de la permanence de soir, que le
sait cette année, est-ce qu’on pour- rait y faire face cette fois-ci ? P.P. : Je nen sais rien et per- sonne ne le sait. Cest vrai quil y a eu une évolution, qui a été comprise par la popu- lation. Mais en même temps, je sens que je ne pourrais pas alerter lopinion publique com- me je lai fait en 2003. Ce nest pas simple de faire du syn- dicalisme et dêtre médecin, on vous met des bâtons dans les roues en permanence. Ceci dit, je ne suis pas devin, mais si lhôpital devait faire face à la même affluence, ça sera difficile. Les épidémies de grippe et de gastro-entérite des dernières semaines lont montré. Des grèves se pré- parent dailleurs dans les ser- vices urgentistes pour les pro- chaines semaines, contre le manque de moyens. Et il y a des aberrations. À Paris, qui a été la région la plus tou- chée par la mortalité des per- sonnes âgées à lété 2003, 600 lits de gériatrie vont être fer- més. Cest du non-sens.
“Les malades ne sont pas des boîtes que l’on manipule.”
Jean-François Hauser
l’assurance maladie ? P.P. : Le gouvernement négli- ge tout ce qui concerne la poli- tique de prévention. La seu- le qui ait vraiment été menée, ça a été pour la route et la prévention routière. Et on sest aperçu que, lorsquil y a moins daccident, il y a aus- si moins de blessés, de han- dicapés, de jours dhospitali- sation Donc, ça coûte moins cher à la sécurité sociale. Une politique globale de santé publique doit sinscrire dans la continuité, dans la pré- vention. Cest primordial et il faudrait que cela soit élar- gi au tabac, à lalcool !
le pour lhôpital. Mais on ne peut pas gérer lhôpital com- me une entreprise. Parce que les malades ne sont pas des boîtes demballage que lon manipule, ce sont des êtres humains. Au nom de la ren- tabilité, il faut aller toujours plus vite, libérer les lits dès que possible, ne plus prendre de temps pour écouter le patient. On altère la qualité des soins. Il y a une réforme par contre qui mériterait dêtre menée, celle du lien entre hôpital et université. En France, on a tendance à croire quen dehors du centre hospitalier universitaire, il ny a pas de salut. Et les hôpi- taux sont les plus malmenés en termes de budget notam- ment.
gouvernement a voulu, et qui a pour conséquence quil ny a plus de méde- cin de nuit en vil- le, a apporté un afflux de patients supplémentaires. Mais si on ne nous
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“Sans plus de moyens, impossible de faire face.”
dépenses pour las- surance maladie a été fixé à 3,6 % de laugmentation des dépenses hospita- lières, alors quil aurait été néces-
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donne pas plus de moyens, cest impossible de faire face. Vous pouvez toujours essayer de faire tenir deux litres deau dans une bouteille dun litre, vous ny arriverez jamais.
saire de le fixer à 5 %. Il ny a pas eu dévolution. Certes, les petites mesures durgen- ce ont été plus ou moins sui- vies suivant les endroits. Concernant maintenant la prise en charge des personnes âgées, cest toujours drama-
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Propos recueillis par S.D.
Crédits photos : La Presse Bisontine, Florent Cardinaux, Hôpital Saint-Antoine, Jean-Pierre Sergent.
L.P.B. : Si la canicule se reprodui-
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