La Presse Bisontine 258 - Décembre 2023

4 L’interview du mois

La Presse Bisontine n°258 - Décembre 2023

POLITIQUE

Myriam El Yassa

“La pensée sociale-démocrate perdure” Réélue il y a dix mois Première secrétaire fédérale du Parti socialiste, Myriam El Yassa est membre du Conseil national d’un P.-S. qui retrouve un peu de couleurs dans le pays. Elle livre son regard sur l’actualité politique du moment au niveau national avec les futures élections européennes de 2024 et au niveau local avec les municipales de 2026.

L a Presse Bisontine : Quel bilan tirez vous de vos deux premières années en tant que Première secrétaire fédérale du Doubs du Parti Socialiste ? Myriam El Yassa : Je suis Première secré taire fédérale du Doubs depuis 2021 et j’ai été réélue en 2023 avec 65 % des voix. Depuis 2021, il y a eu une restruc turation de la Fédération. Nous avons fait les campagnes présidentielle et législative de 2022 et retravaillé les grandes questions de fond que sont l’économie et le social. Depuis deux ans, le nombre d’adhérents a augmenté de 10 %, il y a plus de 5 000 nouveaux adhérents au niveau national. C’est un signe que le P.-S. retrouve des cou leurs et une place à gauche car il a su faire le bilan du quinquennat Hollande. Au niveau des villes, le P.-S. a su faire preuve d’ouverture, comme à Besançon ou à Bordeaux, pour garantir une union dès le premier tour des municipales de 2020. Aujourd’hui, le P.-S. est le parti de gauche qui a le plus d’élus ter ritoriaux. Aux Régionales de 2021, Marie-Guite Dufay a su tendre la main aux Verts dans sa lutte contre la droite et l’extrême-droite pour s’imposer à la tête de la Région Bourgogne-Franche Comté. J’ai adhéré au P.-S. en 2008 et depuis ce temps j’entends dire que le P.-S. est mort. Mais la pensée sociale démocrate perdure. Nous devons avoir la force de l’humilité mais aussi être fiers de notre histoire et de notre héri tage. Tout en ayant conscience d’avoir beaucoup de choses à reconstruire. L.P.B. : Vous faites partie du Conseil national du P.-S., quels sont les dossiers prioritaires aujourd’hui ? M.E.Y. : La priorité est la préparation de nos conventions sur la reconquête des quartiers populaires, la préparation des Européennes de 2024 et sur le Temps des femmes. Car ne l’oublions pas, le P.-S. est, par essence, féministe. Beaucoup de personnes se demandent quelle est la doctrine du P.-S. sur le féminisme. Mais je crois que nous l’avons montré en marquant notre dés accord avec L.F.I. suite à la réintégra tion d’Adrien Quatennens qui avait été accusé de violences conjugales. Concernant la reconquête des quartiers populaires, elle se traduit par des ate liers et des conférences sur les questions du pouvoir d’achat et de la sécurité, des thématiques qui ne sont pas l’apa nage de la droite et de l’extrême-droite. L’objectif du P.-S. est d’accompagner les plus fragiles, sans les considérer comme des victimes. L.P.B. : Est-ce dur d’être à la tête d’une orga nisation politique lorsqu’on est une femme ? M.E.Y. : Dans ma famille politique, je dois composer avec certains ego. Cer tains hommes ont du mal à accepter qu’une femme soit à la tête des socia

listes. Je dois travailler deux fois plus. Regardons quelques exemples de femmes politiques au niveau national, voyons comment Ségolène Royal a été traitée par sa famille politique en 2007 et Anne Hidalgo en 2022… L.P.B. : Et Anne Vignot à Besançon ? M.E.Y. : Je ne suis pas du même parti qu’elle et j’ai des désaccords sur le fond de sa politique. Mais je suis solidaire d’elle car elle est victime, au Conseil municipal, de machisme de la part de Ludovic Fagaut. Un machisme qui va au-delà de l’abject quand il refuse de l’appeler Madame la maire ou qu’il lui parle avec un ton agressif et paterna liste. C’est lui contester son autorité. Il faut respecter la fonction de premier magistrat. M. Fagaut ne doit pas oublier qu’il n’a pas été élu maire et qu’il a perdu. L.P.B. : Vous avez été secrétaire nationale à la lutte contre les discriminations du Parti socialiste, que vous reste-t-il de cette expérience ? M.E.Y. : Quand on me parle de discri mination, je rappelle toujours que nous avons en France le principe de laïcité qui est notre joyau et qui nous permet d’envisager une République apaisée qui respecte les croyances et les confes sions de chacun. Le problème est qu’au jourd’hui en France la parole raciste est décomplexée dans les médias. Et cela se ressent au quotidien, preuve en est avec ces tags racistes et écœu rants encore découverts le mois dernier à Besançon. Il faut re-sensibiliser les jeunes à la question de la citoyenneté, leur faire redécouvrir ce qu’est la Répu blique. Beaucoup se font embrigader dans des dérives fascistes, c’est scan daleux. Il faut revendiquer notre pensée universaliste. L.P.B. : Pourquoi la digue qui protège de l’arrivée du Rassemblement national jusque-là pour rait-elle céder en 2027 ?

Myriam El Yassa pense que le P.-S. pourra continuer son redres sement aux Européennes de juin 2024.

socialiste à l’époque, proche de Martine Aubry. Il a fait le grand écart. M.Macron est le président méprisant, méprisant des corps intermédiaires, des plus en difficulté, du corps ensei gnant. C’est sa psychologie ! Il ne res pecte même pas la laïcité quand il va à la messe du pape à Marseille. Il ne respecte même pas les codes de la fonc tion. L.P.B. : Quelle sera la stratégie du P.-S. pour les Européennes de 2024 ? M.E.Y. : Les Européennes seront impor tantes pour capter un rapport de force. Rappelons-nous de 2019 où Les Verts avaient fait 13,5 %. C’était un signe. En 2024, le Parti socialiste ira seul aux Européennes. Les sondages nous donnent de 8 à 10 %, au niveau des Verts. Il sera intéressant de voir les scores à Besançon. Je pense qu’il y aura plus de participation qu’en 2019, notamment à cause du conflit en Ukraine. À ce moment-là, nous aurons un aperçu des rapports de force à gauche et nous pourrons commencer à envisager l’union. Si nous nous pro jetons deux ans plus tard avec les muni cipales de 2026, le P.-S. fera tout pour une union à Besançon, mais pas à n’im porte quel prix. On en discutera avec nos militants. Statistiquement, 70 % des maires sortants sont réélus. Nous pourrions dire qu’Anne Vignot sera légitime en 2026 mais au niveau du Parti socialiste, l’union a laissé des traces. Il faudra travailler sur le pro gramme et la méthode. M.E.Y. : C’est combattre pour la justice sociale, pour l’universalisme, la tolé rance et revendiquer haut et fort qu’une vie humaine n’a pas de prix, notamment au regard du conflit actuel entre Israël et le Hamas. C’est être laïque et répu blicain. C’est aussi être éco-socialiste, car l’environnement est la bataille du siècle. Il faut repenser le vivant et notre rapport à la planète. n Propos recueillis par A.A. L.P.B. : Dernière question : c’est quoi être socia liste en 2024 ?

M.E.Y. : Le P.-S. s’en est relevé dès les législatives en ayant plus d’une tren taine de députés. Anne Hidalgo a fait preuve de courage. Il faut rappeler qu’il y avait peu de volontaires pour être candidats à l’époque. Depuis dix ans, le P.-S. est devenu plus un parti territorial qu’un parti national. Il est ancré dans le territoire, le milieu asso ciatif. Nous devons gagner en visibilité au niveau national. Ces 1,7 % mar quaient la fin d’un cycle et n’étaient pas liés à la personnalité d’Anne Hidalgo. L.P.B. : Vous avez récemment fait allusion aux alliances faites à l’époque par François Mit terrand. Est-ce le secret pour espérer voir un jour le P.-S. revenir au pouvoir ? M.E.Y. : C’est ce que tente de faire Olivier Faure. Incarner une union responsable et rassurante. Être une alternative sérieuse au bloc libéral-rassemblement national. Je tiens aussi à rappeler qu’un de nos premiers partenaires est le Parti communiste. Nous lui devons beaucoup. Notamment la victoire de 1981. Le P.-S. est redevable au P.C.F., à ses partenaires de gauche et au monde associatif. En politique, l’union fait la force. J’aimerais aujourd’hui que nous rentrions plus dans la culture du consensus, à l’allemande, avec moins de radicalité. Ce qui également fait beaucoup de mal à la politique, c’est l’hyper-présidentialisation. Emmanuel Macron fait de la politique comme il fait une étude de marché. Il est proche de la famille Rothschild, de la commis sion Attali. Et a une mission claire: détruire le service public. Depuis Emmanuel Macron, les Urgences vont elles mieux à Besançon? Non! Les instituteurs se sentent-ils plus valo risés ? Non ! A-t-il réduit la T.V.A. sur certains articles de première nécessité ? Non ! Il a une vision libérale des choses et ne sert pas les plus modestes. Ceux qui se prétendent de gauche et qui sou tiennent Emmanuel Macron encore aujourd’hui peuvent s’interroger ! Oli vier Dussopt (N.D.L.R.: ministre du Travail) était le plus jeune député

30 %. La classe politique n’est pas à la hauteur. Il suffit d’observer les échanges sur les réseaux sociaux. Le P.-S. doit incarner une alternative res ponsable, ni populiste, ni libérale. L.P.B. : Le 17 octobre dernier, le Conseil national du P.-S. a pris une résolution pour un moratoire quant à sa participation à la N.U.P.E.S., qu’en pensez-vous ? M.E.Y. : Lors de ce vote, 54 % des adhé rents se sont dits favorables à un mora toire et les 46 % restants à une sortie de la N.U.P.E.S. et à un élargissement de l’union de la gauche aux progres sistes (les soutiens de Bernard Caze neuve, de Carole Delga, de Guillaume Delacroix du P.R.G., etc.). Aujourd’hui, le rapport de force doit être rééquilibré dans le cadre de la N.U.P.E.S. Nous avons notamment un désaccord pro grammatique avec L.F.I. sur les ques tions internationales. Il faut un rééqui librage des forces de gauche pour les Européennes. La N.U.P.E.S. est dis créditée car beaucoup l’associent au “Lider Maximo” Mélenchon. Le parti L.F.I. a oublié qu’il avait eu besoin des autres partis de gauche pour avoir un groupe important à l’Assemblée natio nale. Nous incitons L.F.I. à être un peu plus démocrate, à avoir un peu plus le sens de la mesure. D’autant qu’ils revendiquent une VI ème République, parlementaire… L.P.B. : Cela veut dire, comme l’affirmait récem ment Laurent Joffrin dans son “Journal.info”, qu’il faut être socialiste avant d’être N.U.P.E.S. ? M.E.Y. : Cela veut dire qu’il faut mettre à jour sa propre doctrine et sa propre pensée avant de faire l’union. C’est ce que nous ferons pour les Municipales de 2026. Il faut être fiers d’être socia listes. Mais rester humbles. L.P.B. : Au niveau national, comment le P.-S. se relève-t-il des 1,7 % des voix d’Anne Hidalgo au premier tour de la Présidentielle de 2022. Un chiffre à relativiser considérant que beaucoup d’électeurs de gauche ont voté “utile”, c’est à-dire pour le candidat le mieux placé à gauche à l’époque à savoir Jean-Luc Mélenchon…

M.E.Y. : Elle a déjà cédé à cause du système Bol loré. Ça fait 20 ans que la pensée raciste du Rassemblement natio nal a pignon sur rue dans les médias. À ce propos, j’invite les mem bres du parti Les Répu blicains du Doubs a cla rifié leur position vis-à-vis du Rassemble ment national. Mais il faut être clair : la digue a aussi cédé car une par tie de la classe ouvrière, déçue par le P.-S., vote pour le Rassemblement national. Le bloc extrême-droite Le Pen Zemmour est à plus de

“La maire est victime de machisme de la part de Ludovic Fagaut.”

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