La Presse Bisontine 256 - Octobre 2023

4 L’interview du mois

La Presse Bisontine n°256 - Octobre 2023

POLITIQUE

Dominique Voynet

“Des combats presque gagnés ne le sont plus” Après avoir occupé de nombreuses fonctions politiques, dont celle de ministre, Dominique Voynet est revenue aux sources en tant que secrétaire régionale d’Europe Écologie-Les Verts. Entretien avec une militante écologiste depuis 40 ans qui n’a jamais fait défaut à son parti politique.

L a Presse Bisontine : Vous avez été à la tête de l’Agence régionale de santé à Mayotte pendant deux ans (2020-2021) avant de prendre votre retraite. Quelles sont les raisons qui vous ont poussées à reprendre un mandat politique local en tant que secrétaire régionale E.E.L.V. ? Dominique Voynet : À Mayotte, c’était une période assez compliquée à gérer avec les confinements et la crise du Covid, ainsi que des crises de l’eau permanentes. Cela a demandé beaucoup d’énergie, et a été exigeant sur le plan personnel et professionnel. Au moment de prendre ma retraite, je ne pensais pas du tout me réinvestir politiquement. Je suis adhérente depuis 40 ans chez E.E.L.V. Mais en revenant dans la région, j’ai mesuré à quel point les lieux de l’enga gement collectif en général, dans les partis politiques, les associations, les syndicats, etc. avaient été lourdement impactés par le Covid. Le post-Covid a été difficile. Au fil des visios et des annu lations d’événements, une partie des forces vives s’est épuisée. Cécile Pru dhomme, alors elle-même secrétaire régionale du parti, a été happée par son engagement auprès d’Anne Vignot. J’ai trouvé que c’était une bonne idée un engagement sur une durée limitée (trois ans) avec comme envie de redresser la maison abîmée par le Covid et préparer la suite. Il y a beaucoup de jeunes pousses qui nous entourent.

votre mandat. Quel bilan peut-on en tirer ? D.V. : Il y a eu une année assez riche chez nos élus. Anne Vignot, lors de notre assemblée générale en novembre, viendra sûrement faire le point sur le travail effectué à Besançon. La Région est à la croisée des chemins avec un budget dif ficile à boucler. Nous restons des parte naires loyaux mais exigeants pour faire valoir notre point de vue. Et puis, il y a l’évolution du parti en lui-même. Il est très durement critiqué, c’est toujours la question du messager qui apporte des mauvaises nouvelles, qui suscitent des bouleversements dans notre vie. On pré fère détester le parti plutôt que de se poser les vraies questions. Nous avons une équipe profondément renouvelée, jeune, qui incarne la diversité de la France avec un peu de sagesse des anciens. À l’issue des états généraux du parti, la décision a été prise de mourir pour renaî tre le 14 octobre sous le nom Les Écolo gistes. L.P.B. : Que pensez-vous de la politique municipale menée par Anne Vignot ? D.V. : Une partie des critiques à son encon tre sont directement sexistes, sur sa façon de s’habiller, sa voix douce qui signifie un manque d’autorité… Je ne pense pas qu’elle manque d’autorité. Quand elle vient dans les réunions, elle se pose, écoute, discute avec les gens, elle est très attentive à ce que tout le monde puisse s’exprimer. Quand Simone Veil fait voter la suspension de la péna lisation de l’avortement, cela a été possible car c’était une femme de droite. Si cela avait été une femme de gauche, tout le monde aurait hurlé. Aujourd'hui, c’est un peu la même chose. Anne Vignot met en œuvre le programme sur lequel elle a été élue et des expérimentations pour que la transition écologique soit la plus juste possible. Elle est jugée plus dure ment que les hommes qui l’ont précédée. Et puis, les associations environnemen tales nationales ont analysé les bilans de mi-mandat des grandes villes. Deux ou trois villes cochent toutes les cases vertes dont Besançon. Anne fait ce qu’elle a dit et elle est en avance. L.P.B. : Aux prochaines élections européennes, les écologistes ont annoncé une liste Les Verts autonomes. Votre avis sur l’avenir de la Nupes ? D.V. : L’union faite pendant les législatives répondait à une demande de l’électorat à ce moment autour d’un projet national.

L.P.B. : Justement, quelles sont ces jeunes pousses qui deviendront peut-être le ou la future Dominique Voynet ? D.V. : Je leur souhaite (rires). Le parti a tendance à se renforcer dans les lieux où les équipes ont gagné des villes. J’ai le sentiment qu’en Franche-Comté, les jeunes pousses sont parfois isolées dans des territoires ruraux qui ne sont pas forcément faciles pour les écologistes. On peut citer Évelyne Poix dans le Haut Doubs, Anna Maillard à Montbéliard,

Anne Perrin à Lons-le Saunier ou encore Joce lyn Chenevier en Haute-Saône. Les gens sur lesquels on va compter demain, ce ne sont pas forcément des techniciens mais des gens enracinés sur le territoire qui connais sent ses forces et fai blesses, ses habitants. Je suis très attentive à l’ancrage territorial et aux capacités à mobi liser autour de soi. Il faut susciter de l’en thousiasme militant sinon on ne changera pas le monde. L.P.B. : Vous arrivez à la fin de la première année de

“Je ne pense pas qu’Anne Vignot manque d’autorité.”

Dominique Voynet est revenue dans ses terres natales après un dernier passage professionnel à Mayotte. Depuis un an, Dominique Voynet occupe le poste de secrétaire régionale d’E.E.L.V.

Les Écologistes ont toujours été très pro européens et fédéralistes quand la France Insoumise ou les communistes sont lar gement plus critiques. L’alliance n’est pas raisonnable sur le plan européen. Et les groupes européens écologistes comptent sur nous pour renforcer les rangs. C’est sûr que cela demande du respect pour que les divergences sur l’Europe ne nous empêchent pas de travailler ensemble sur le plan national. L.P.B. : Vous avez occupé presque tous les postes d’élus (députée, sénatrice, conseillère régionale, maire) et candidate à la présidentielle. Souhai tez-vous briguer un autre mandat à l’avenir ? D.V. : Pas du tout. J’ai adoré le travail que j’ai fait. Je ne me suis pas beaucoup éclaté au Conseil régional mais j’ai adoré mon mandat de maire, car on voit le bout des actes, il y a le contact avec la population. Le mandat de parlementaire est très frus trant car si on est dans la majorité, on vous demande de ne pas gêner le gouver nement, si vous êtes dans l’opposition, c’est “cause toujours, tu m’intéresses.” L.P.B. : Dans la région, l’un de vos plus gros faits d’armes politiques est l’arrêt du projet de Grand canal dans la vallée du Doubs… 26 ans plus tard, pouvez-vous revenir là-dessus ? D.V. : Le Grand canal m’a appris beaucoup de choses. C’était une lutte collective et très longue, presque 20 ans. J’ai appris qu’il fallait utiliser un panel d’arguments pour convaincre, pas seulement les argu ments écologiques. En 1997, ce combat longtemps minoritaire est devenu majo ritaire, seuls les députés qui avaient pris

Bio express l 1958 : Naissance à Montbéliard l 1984 : Elle figure parmi les fondateurs du parti Les Verts l 1985-1989 : Médecin-anesthésiste réanimatrice à Dole l 1985 : Cheffe de fil des Verts à Besançon l 1991 : députée européenne avant de devenir porte-parole nationale des Verts l 1992-1994 : Conseillère régionale l 1995 : Candidate à la présidentielle l 1997 : Députée de la troisième circonscription du Jura. La même année, le projet du grand canal Rhin-Rhône est abandonné. et de l’Environnement. Elle démissionne à la suite de son élection comme secrétaire nationale des Verts l 2004-2011 : Sénatrice l 2007 : Candidate à l’élection présidentielle l 2008-2014 : Maire de Montreuil l 2020-2021 : À la tête de l’Agence régionale de santé à Mayotte l Novembre 2022 : élue comme secrétaire régionale Franche-Comté d’E.E.L.V. l 1997-2001 : Ministre de l’Aménagement du territoire

Zoom Retour sur l’affaire du Grand canal dans la vallée du Doubs En 1997, alors qu’elle devient ministre de l’Aménagement du territoire et de l’Envi ronnement dans le gouvernement Jospin, Dominique Voynet pèse de tout son poids politique pour donner un coup d’arrêt au projet d’un Grand canal dans la Vallée du Doubs. Et ce, après plus de trente ans de combats et de parenthèses. De quoi s’agit-il ? La construction d’un canal à grand gabarit devait permettre aux convois de plus de 4 000 tonnes d’effectuer le trajet entre la mer du Nord et la Médi terranée. Sur le papier, la construction aurait engendré la destruction de deux hameaux d’Ou gney-Douvot, quand le hameau de Douvot allait devenir une île. 4 700 hectares de terres agricoles auraient été détruits. Très controversé, ce Grand canal a suscité des oppositions marquées, notamment sur son coût faramineux. Voulu comme une alternative au transport routier, ce projet de liaison fluviale a été abandonné en 1997. Les investissements se sont portés sur l’arrivée et le développement du T.G.V. n

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