La Presse Bisontine 244 - Octobre 2022

26 Le dossier

La Presse Bisontine n°244 - Octobre 2022

l Banque Les craintes des professionnels “L’immobiler reste la meilleure valeur refuge” Après un début d’année positif, l’automne s’annonce plus compliqué pour les emprunteurs. L’éclairage de Sylvie Rodier, la directrice des crédits et de l’immobilier au Crédit Agricole Franche-Comté.

L a Presse Bisontine : Com ment se porte actuellement le marché des crédits immo biliers ? Sylvie Rodier : Paradoxalement, malgré le contexte, la demande reste très forte.À une vingtaine de dossiers près, nous étions à début septembre sur les mêmes niveaux de réalisation qu’en 2021. Au Crédit Agricole Franche-Comté, nous gérons environ 8 000 dossiers immobi liers par an, pour près d’1,3 mil liard d’euros de crédit. Dans cet environnement économique un peu anxiogène, nous constatons que le recours à la pierre est rassurant. L’immobilier est une valeur qui continue à croître. Mais plusieurs facteurs nous poussent à modérer cet enthou siasme. L.P.B. : Lesquels ? S.R. : D’abord les contraintes réglementaires imposées par le Haut conseil à la stabilité finan cière (H.C.S.F.) qui exige depuis l’an dernier un taux d’endette

garantie et aux frais d’assu rance. Les taux d’intérêt des crédits ont récemment aug menté et ce taux d’usure qu’on n’a pas le droit de dépasser est désormais beaucoup trop bas. La conséquence de ce taux d’usure trop bas (il est fixé à 2,48 % sur 20 ans), c’est que nous sommes contraints de refu ser de nombreux dossiers. Ce taux d’usure est en décalage total avec la situation financière actuelle. On attendait une hausse de ce taux d’usure pour le 1 er octobre, cette décision de l’État est indispensable. La conséquence de ce taux d’usure trop bas, c’est que depuis trois mois, avec la hausse des taux de crédit, les banques ont financé des dossiers à perte, juste pour ne pas couper le marché. On en est même à devoir refuser de bons dossiers. Rien qu’au cours du dernier mois, 23 % de nos dossiers immobiliers dépas saient ce fameux taux d’usure.

ment maximal pour nos clients de 35 %, avec une dérogation possible à hauteur de 20 % des dossiers. Mais dans ces 20 %, le H.C.S.F. nous impose désormais 80 % de dossiers de primo-accé dants à la propriété, et pas plus de 4 % d’investisseurs. Ces der niers sont particulièrement mécontents car nous sommes contraints de refuser beaucoup de dossiers d’investisseurs. L’au tre gros souci actuellement, c’est le taux d’usure.

Sylvie Rodier attire l’attention sur trois principaux motifs d’inquiétude concernant le marché immobilier.

un peu plus le nombre de dos siers que nous pourrons accep ter. L.P.B. : Avec tous ces obstacles, com ment se présente la fin d’année ? S.R. : Avec l’inflation, le risque est de voir des clients subir une baisse de leur pouvoir d’achat avec des taux de crédit qui vont continuer à grimper. Il peut y avoir un risque de blocage de la machine. Alors même qu’il manque 150 000 logements neufs en France tous les ans.

Ajoutons à cela la loi sur le Zéro artificialisation nette (Z.A.N.) : on assiste depuis six mois à un quasi-arrêt des mises en construction. On ne peut pas rester dans cet attentisme.Avec la crise des matériaux et la hausse des prix, on espère aussi que les entreprises tiennent le coup… Malgré tout, nous pen sons que le marché immobilier va rester d’un bon niveau car il reste la meilleure valeur refuge. n Propos recueillis par J.-F.H.

L.P.B. : Que signifie cette notion ? S.R. : C’est un taux fixé par l’État au-delà duquel on ne peut pas aller. Ce taux est indexé sur le cumul entre le taux actuel du crédit et les taux liés aux frais de dossier, aux frais de la

marche des crédits immobiliers ? S.R. : Oui, le troisième motif d’in quiétude, c’est la loi Résilience. Quand un bien immobilier est classé F ou G - soit tout de même 16 % du parc immobilier régio nal, et 50 % si on ajoute les caté gories E -, nous sommes désor mais tenus de vérifier que dans le dossier de prêt figurent des travaux de rénovation énergé tique, sans quoi les propriétaires ne pourront plus louer leurs biens locatifs classés F ou G. Ce troisième facteur limite encore

“Le gros souci actuellement, c’est le taux d’usure.”

L.P.B. : Il y a d’autres freins à la bonne

l Immobilier Difficultés d’accès au prêt Les courtiers apportent du crédit aux dossiers

actuelle d’une partie conseil de plus en plus prépondérante. Avec un taux d’usure et un taux d’endettement qui frei nent beaucoup de dossiers, l’expertise du courtier devient précieuse : meil leure argumentation et surtout connaissance des bons interlocuteurs à sol liciter. “On connaît les bonnes portes d’entrées pour chaque dossier” , reprend Nicolas Bresson. Les conditions pour obtenir un prêt se sont donc durcies : il faut contracter un prêt sur 25 ans au maximum, ne pas dépasser 35 % d’endettement assu rances comprises, ni le taux d’usure, avoir un apport minimum et justifier d’une bonne gestion de compte. “Avant, si on dépassait un peu le taux d'endet tement avec les assurances, ça passait. Plus maintenant” , constate Philippe Brenet. Quant au taux d’usure, qui sera reva lorisé en octobre de 0,35, le problème se situe ailleurs, selon eux. “Cette aug mentation pourrait dénouer le marché mais en contrepartie, les banques ne doivent pas augmenter les taux d’intérêt. Or, elles prêtent aujourd’hui à perte” , éclaire Nicolas Bresson. Pour les experts de Mon Courtier, il faudrait revoir la méthode de calcul du taux d’usure. “Elle date de 1960 et établit une Une auto régulation du marché.

moyenne de taux sur une période don née. Pendant des années, le taux d’usure correspondait à la méthode de calcul et à l’augmentation régulière des taux d’intérêt. Aujourd’hui, l’augmentation est trop brusque” , remarque Philippe Brenet. Réactualiser la méthode de calcul avec la conjoncture actuelle est une des pistes avancées par les cour tiers pour trouver des solutions. De même que sortir les assurances de prêt du calcul. “Surtout avec la loi Lemoine qui facilite le changement d’assurances” , poursuit Philippe Brenet. Pour autant, les deux associés de Mon Courtier préfèrent voir le verre àmoitié plein, plutôt qu’à moitié vide. “Fina lement, le marché se régule de lui-même, il y a une autodiscipline des clients. Ceux qui ne rentrent pas dans le moule reviennent après avoir trouvé de l’épargne” , remarquent les deux cour tiers. Ils s’estiment heureux que des clients autant que les banques conti nuent à jouer le jeu, malgré tout. “Si on veut redonner confiance aux gens, il faut les accompagner. J’encourage les gens à avoir des projets immobiliers, c’est encore pertinent aujourd’hui, note Nicolas Bresson. La pierre reste un placement sûr. On trouvera toujours des solutions. Ce ne sera pas simple et très énergivore, mais on y arrivera.” En apportant du crédit à des dossiers immobiliers, le métier de courtier a encore de belles heures devant lui. n L.P.

Face à des conditions d’obtention de prêt immobilier durcies, les courtiers dépensent de l’énergie pour trouver des banques qui acceptent les dossiers. En toile de fond se dessine l’évolution d’un métier qui devient de plus en plus incontournable.

S ur le bureau de Philippe Bre net, de Mon courtier, le mail vient de tomber. Le non est court, net et concis. Une banque rejette le dossier d’une cliente, qui rem plit pourtant toutes les conditions requises, voire plus. Philippe Brenet

en tombe presque des nues. Le métier de courtier est loin d’être de tout repos, encore plus dans le contexte écono mique actuel. “On va trouver une banque qui acceptera le dossier. Mais cela demande une énergie phénoménale, souligne Philippe Brenet. “Avant, on

faisait le tour des banques pour obtenir les meilleurs taux et les meilleures conditions. Aujourd’hui, on fait le tour des banques pour qu’un dossier soit accepté” , résume Nicolas Bresson, asso cié à Mon Courtier. L e métier évolue et se dote à l’heure

Philippe Brenet et Nicolas Bresson de Mon Courtier restent relativement optimistes sur l’avenir de leur métier, qu’ils voient évoluer.

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