La Presse Bisontine 233 - Novembre 2021

18 Besançon

La Presse Bisontine n°233 - Novembre 2021

SOCIÉTÉ

Le sénateur Jacques Grosperrin “Le cyber-harcèlement doit devenir une cause nationale” Le sénateur du Doubs

est vice-président de la mission d’information du Sénat sur le harcèle- ment scolaire et le cyber- harcèlement.

qui est très bien, mais il ne faut pas oublier le bien-être de nos enfants à l’école et en dehors de l’école. Je pense que c’est prioritaire. L.P.B. : Pourquoi cette question reste taboue ? J.G. : C’est un peu le syndrome deVichy, c’est-à-dire que la culture de la dénon- ciation n’est pas bien vue en France et les enfants souvent n’osent pas dénoncer leur bourreau. C’est d’ailleurs souvent l’enfant harcelé qu’on change d’école et non pas l’enfant harceleur. Les Anglo-Saxons sont beaucoup plus dans cette culture de la dénonciation. L’Éducation nationale a mis en place des ambassadeurs, des référents, mais c’est encore insuffisant. L.P.B. : L’émergence du #anti2010 sur le réseau social Tik Tok récemment est un nouveau signe de la dérive du cyber-harcèlement ? J.G. : Exactement. Ce n’est pas un hasard si le ministère de l’Éducation a mis si peu de temps à réagir et à prendre au sérieux ce genre d’initiative. Il a pris le contre-pied rapidement en lançant un #bienvenue2010. La violence du harcèlement s’amplifie évidemment avec les nouveaux usages des smart- phones dont sont désormais équipés tous les jeunes, souvent dès la 6 ème . L.P.B. : Quels remèdes préconisez-vous ? J.G. : Nous avons fait plusieurs dizaines de recommandations (N.D.L.R. : voir le zoom ci-dessous) basées sur trois grands principes : prévenir, détecter et traiter. Je ne pense pas qu’il faille forcément les appliquer toutes, mais un certain nombre qui me paraissent prioritaires. Des numéros gratuits ont été mis en place, le 30 18 contre les violences numériques et le 30 20 “stop harcèlement”mis en place par le minis- tère. Ce n’est pas encore suffisant, il faut trouver d’autres formules. Dans l’académie de Besançon, le recteur Jean-François Chanet fait un très bon travail sur la question avec l’existence d’une cellule qui fait rapidement remon- ter les informations quand un enfant se plaint de harcèlement, mais tous les personnels de l’Éducation nationale ne sont pas non plus formés à cette question. Je pense par exemple qu’il faudrait inclure dans le concours pour les enseignants, un module de forma- tion dédié à ce sujet. Pourquoi ne pas confier cette mission aux professeurs d’éducation physique dont la matière est peut-être plus axée encore sur le comportement des élèves que dans les autres matières ? L.P.B. : L’affaire Mila a-t-elle fait avancer la prise de conscience ? J.G. : Naturellement. Il est intolérable qu’on en soit arrivé là avec cette jeune fille. Mais derrière cette affaire, il ne faut pas oublier que se cachent des dizaines de petites affaires Mila moins retentissantes et tout aussi perni- cieuses. Combien de jeunes dépriment et décrochent du système scolaire suite à du cyber-harcèlement ? L’anonymat sur les réseaux sociaux est aussi une

Chaque année, près d’1 million d’enfants seraient concernés par le phénomène.

L a Presse Bisontine : Les conséquences du harcèlement scolaire et du cyber- harcèlement ne sont-elles pas encore suffisamment connues pour qu’il soit nécessaire de créer une mission d’informa- tion ? Jacques Grosperrin : Ce sujet est pris en compte dans notre pays depuis une dizaine d’années seulement. Nous avons du retard par rapport à d’autres pays, scandinaves notamment, qui ont traité ce sujet à bras-le-corps dès les années quatre-vingt. Qui sait qu’en France, depuis le 1 er janvier de cette année, 18 jeunes se sont suicidés pour cause de harcèlement ? C’est drama- tique. On estime entre 6 et 10 % le nombre d’élèves qui subissent du har- cèlement à l’école, et du cyber-harcè- lement en dehors des murs de l’école. Au total, entre 800 000 et 1 million d’enfants sont confrontés au problème en France. C’est d’abord un drame indi- viduel, mais collectif aussi car il touche les familles qui ne parviennent pas toujours à déceler les signaux faibles du harcèlement à l’encontre de leur enfant. Le harcèlement touche tous les milieux sociaux, sans exception. Aucun établissement, aucun milieu, aucune région n’est pas concernée. L’école ne doit en aucun cas être un lieu de souffrance, mais seulement un lieu d’apprentissage et d’épanouisse- ment moral et psychologique des

Les principales propositions du rapport

Jacques Grosperrin était le vice-président de cette mission sur le harcèlement.

l Mettre d’office sur les ordinateurs dis- tribués aux collégiens et lycéens par les collectivités une sensibilisation à la pré- vention du harcèlement. l Expérimenter dans le secondaire une priorisation des heures de vie scolaire en faveur de la prévention du harcèle- ment. Axe N° 2 : Détecter l Mettre en place un protocole d’écoute et de transmission d’information entre tous les adultes présents dans un éta- blissement scolaire. l Afficher très clairement dans les éta- blissements scolaires les numéros 30 18 et 30 20 et leurs finalités. l Lancer une grande campagne nationale sur le harcèlement scolaire avec des clips didactiques courts. l Inscrire dans les formations continues obligatoires des enseignants du premier degré une sensibilisation au harcèlement scolaire. Axe N° 3 : Traiter l Faire remonter systématiquement tout fait de harcèlement et, chaque année, présenter les mesures prises en conseil d’administration. l Rendre plus simple pour la victime le dépôt de plainte pour cyber-harcèlement. l Développer le recours aux stages de la P.J.J. pour les personnes condamnées pour harcèlement scolaire et développer les T.I.G. traitant spécifiquement de ces questions pour les enfants harceleurs. l Permettre une ouverture de 30 18 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. l Développer une plateforme permettant à toutes les parties prenantes d’interagir en ligne en complément du numéro 30 18.

Axe N° 1 : Prévenir l Lancer une grande campagne nationale sir l’utilisation raisonnable du numérique avec notamment des clips télévisuels sur les dangers du cyber-harcèlement. l Favoriser le développement d’une appli- cation ou la certification d’applications permettant une modération des propos tenus sur les réseaux sociaux en suppri- mant automatiquement pour l’utilisateur la visibilité des contenus haineux ou offen- sant. l Mettre en place et systématiser les lieux de rencontre entre parents ainsi qu’entre parents et équipe pédagogique. l Donner plus de visibilité au concours “Non au harcèlement”. l Obliger les réseaux sociaux à présenter de manière explicite et compréhensible par des jeunes utilisateurs des extraits des principales conditions d’utilisation, notamment celles relatives au cyber-har- cèlement. l Contraindre les réseaux sociaux à pré- senter périodiquement (tous les six mois à un an) à leurs utilisateurs une courte vidéo de sensibilisation sur les usages du numérique. l Promouvoir l’instauration du “name and shame” pour inciter les réseaux sociaux à être véritablement moteurs dans la lutte contre le cyber-harcèlement scolaire. l Impliquer les élèves dans la rédaction du règlement intérieur simple ou d’une charte de lutte contre le harcèlement. l Rendre obligatoire lors des réunions de préparation d la rentrée scolaire entre les D.A.S.E.N. et les chefs d’établissement une sensibilisation à la prévention au har- cèlement scolaire et à la qualité du climat scolaire.

question à soulever.

L.P.B. : Qu’attendez-vous désormais pour faire avan- cer vos propositions ? J.G. : Il faut que le gou- vernement s’en empare. Ce sujet est transpartisan, il ne doit pas faire l’objet de propos polémiques ou de divisions. D’ail- leurs les résultats de cette mission d’infor- mation ont été approu- vés à l’unanimité au Sénat. Donner à cette question la dimension de grande cause natio- nale ne pourra que faire avancer les choses. On n’a pas

enfants. Je souhaite que ce sujet devienne une grande cause nationale en France pour l’année 2022. L.P.B. : Le président de la République, le ministre de l’Éducation nationale notamment ne sont pas insensibles à cette ques- tion ? J.G. : Non, et des choses sont engagées et réa- lisées par les rectorats sur cette question depuis plusieurs années, mais je sou- haiterais qu’on profite de cette année 2022 où Emmanuel Macron sera en plus président de l’Europe, pour met- tre cette cause en avant, dans la lumière. On légifère depuis quelque temps sur le bien-être animal, ce

“On a d’abord besoin d’une vraie prise de

“Combien de jeunes dépriment et décrochent du système scolaire ?”

conscience collective.”

besoin de nouvelles lois car on a tout l’arsenal législatif pour lutter. On a d’abord besoin de pédagogie et d’une vraie prise de conscience collective. L.P.B. : Quel est le rôle des parents dans tout ça ? J.G. : Il est fondamental. La communi- cation, la discussion, est évidemment nécessaire. Discuter avec les copains peut aussi être utile. Et surveiller les applis que son enfant a sur son télé- phone peut tout autant être utile. Et être capable de résister, même si c’est dur, à la pression sociale concernant les nouvelles technologies et la géné- ralisation des smartphones. n Propos recueillis par J.-F.H.

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