La Presse Bisontine 219 - Juillet 2020
L’INTERVIEW DU MOIS
La Presse Bisontine n°219 - Juillet 2020
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POLITIQUE
La présidente de la Région Bourgogne-Franche-Comté
“Le secteur du tourisme est un des plus ravagés par cette crise” En première ligne sur le front de la crise
économique qui se profile, la Région Bourgogne- Franche-Comté prépare un nouveau plan d’aide. Sa présidente Marie-Guite Dufay consacre l’intégralité de son emploi du temps à gérer l’après-crise sanitaire et la reprise - espérée - de l’économie régionale. Interview.
L a Presse Bisontine : Comment personnellement avez-vous vécu cette période si particu- lière ? Marie-Guite Dufay : J’avoue que j’ai été sidérée, en état de choc. Je me revois le dimanche soir où je suivais les résultats des muni- cipales pour toutes les com- munes de la région et le lundi matin, j’ai complètement oublié ce sujet pour passer à autre chose. Je n’ai plus pensé à rien d’autre pendant deux mois et demi. Je sentais bien dès le 16 mars qu’une urgence écono- mique allait frapper à la porte de la région. On a tout de suite vu que sur ce plan-là, nous allions devoir être plus réactifs que jamais. Happée par ce sujet, j’en suis même arrivée à me demander ce que je faisais avant le 16mars…Voilàmon état d’es- prit depuis deux mois et demi où je passe mes journées en lien avec les entreprises, les acteurs socio-économiques, les élus ter- ritoriaux… Et par la force des choses, je n’ai plus bougé de Besançon alors que je suis sans cesse sur la route habituelle- ment. L.P.B. : Après avoir géré l’urgence, déployé un plan d’aides aux petites entreprises notamment, quelle est votre préoccupation ? M.-G.D. : Il faut désormais accom- pagner au plus près le rebond attendu, la relance. Je n’em- ploierai pas de grandes formules du genre “Il faut inventer le monde d’après” car il y a déjà
est à venir ? M.-G.D. : Mon rôle est de me pro- jeter et oui, je le pense. J’ai été par exemple une des premières à sonner l’alerte sur la question de la formation, qui est essen- tielle. Elle doit être considérée comme un levier pour sécuriser les parcours et c’est immédia- tement qu’on doit commencer à travailler ce sujet essentiel. Parallèlement, nous travaillons désormais à la meilleure manière de venir en aide aux petites entreprises pour qu’elles maintiennent la tête hors de l’eau. La reprise sera sans doute plus poussive que prévu. Il y a aussi la question de l’investis- sement massif à engager pour les P.M.E. de notre territoire. Problème : comment s’y prendre sachant que les finances de la Région sont prises dans un véri- table étau ? L.P.B. : Comment la crise pèse-t-elle justement sur les finances de la Région Bourgogne-Franche-Comté ? M.-G.D. : Les Régions sont les col- lectivités territoriales les plus impactées par cette crise, sim- plement parce que jusqu’ici on était les mieux loties, grâce à une recette dynamique liée à la T.V.A., aux taxes sur le carbu- rant ou encore aux recettes sur les cartes grises. Depuis deux mois, ces recettes ont catastro- phiquement diminué. Sur cette année 2020, la Région Bour- gogne-Franche-Comté est en train de perdre 45 millions d’eu- ros de recettes liées à la fiscalité. Et pour 2021, nous prévoyons une perte de 125 millions. Nous nous apprêtons donc à perdre 170 millions d’euros dans les 18 mois qui arrivent. C’est un effet ciseau dévastateur entre la hausse de nos dépenses et la baisse de nos recettes. Si bien que la capacité d’investissement de la Région, si l’État ne garantit pas les recettes des Régions, serait divisée par deux. On demande donc solennellement à l’État que les recettes des Régions soient garanties à hau- teur de ce qu’elles étaient en 2019. L’objectif est capital : cela nous permettra d’emprunter de façon correcte pour accompagner le plan de relance prévu par l’État. Il ne faut pas perdre de
Marie-Guite Dufay, présidente de la Région Bourgogne-Franche-Comté, jusqu’en mars 2021, au moins.
il faut qu’on soit dans le coup d’après en préparant l’avène- ment de l’hydrogène. L.P.B. : Un mot de l’agriculture régio- nale ? M.-G.D. : C’est un de mes grands sujets. Les habitudes alimen- taires ont commencé à changer et cette prise de conscience s’est renforcée pendant cette crise. Manger local est non seulement bon pour l’environnement, mais pour l’économie locale, le por- tefeuille, les paysages, les pâtu- rages, etc. Je travaille à la créa- tion, j’espère d’ici l’année prochaine, d’un label régional pour la distribution des produits locaux par la grande distribu- tion. Certaines grandes surfaces - Super U, Intermarché et Leclerc par exemple - le font déjà. Il faut étendre ce concept à l’échelle régionale. C’est un de mes objectifs avant la fin du mandat. L.P.B. : Cette crise aura-t-elle eu du bon dans la façon de travailler ? Le télé-travail est-il efficient, y compris pour les élus régionaux ? M.-G.D. : Le télé-travail était auparavant considéré comme un instrument de luxe, voire
pas très sérieux. Il a prouvé son efficacité mais attention, il ne peut pas être généralisé partout et tout le temps. Il peut aussi créer d’autres tensions, notam- ment au sein des familles, et une forme d’isolement. L.P.B. :Vous évoquiez la fin du mandat programmée en mars 2021. Pensez- vous déjà à la suite ? Serez-vous à nouveau candidate ? M.-G.D. : Je commence à peine à me poser ces questions. Je n’ai pas de réponse à ce jour… L.P.B. : Quelle autre leçon tirez- vous de cette crise ? M.-G.D. : On s’est aperçu depuis deux mois et demi que les Fran- çais se sont sans doute rendu compte qu’ils avaient besoin au quotidien de leurs élus locaux et que ces derniers ont un rôle essentiel. Dans ce cadre, la Région a toute sa légitimité dans l’animation du territoire et de la concertation. C’est par ce genre d’événements qu’on nouera une vraie conscience ter- ritoriale à même de constituer un rempart par rapport à l’in- certitude dans laquelle cette crise nous a plongés. n Propos recueillis par J.-F.H.
vue que 70%de l’investissement public en France sont assurés par les collectivités locales. L.P.B. : En avril, vous aviez annoncé la création d’un fonds régional doté de 22 millions d’euros, abondé par les établissements publics de coopération intercommunale (E.P.C.I.) pour soutenir l’économie régionale. Où en est-on ? M.-G.D. : Nous sommes en train de le détricoter complètement pour en faire un nouveau. Plu- sieurs raisons à cela : d’abord l’État nous l’a siphonné et n’ac- ceptait pas que ces aides publiques soient consacrées à des lignes d’investissement alors qu’on est plus dans le fonction- nement. Ensuite, ce fonds tou- chait finalement peu d’entre- prises car la plupart ont eu recours au prêt garanti par l’État (P.G.E.) qui a connu un succès phénoménal. Les 300 entreprises qui avaient sollicité ce fonds seront bien évidemment soute- nues, mais cette enveloppe de 22millions seramobilisée d’une autre façon. L’idée est d’être actif à partir de septembre aumoment où les entreprises en auront le plus besoin. Ce nouveau plan sera voté à la prochaine assem- blée régionale mi-juin.
L.P.B. :Quels sont les secteurs d’activité qui vous inquiètent le plus ? M.-G.D. : Concer- nant les petites entreprises du tourisme, je me fais beaucoup de souci. C’est sans doute un des sec- teurs les plus ravagés par cette crise. Dans l’in- dustrie automo- bile, ce sera sans doute aussi très compliqué. L’hor- logerie souffre également et je crains beaucoup
“Vers un label régional pour la
une réalité immé- diate à gérer : le tissu économique de notre région a été mis sous cloche et le chômage par- tiel couvert par l’État a été certes une vraie sécurité pour les entre- prises, mais aussi un éteignoir de la réalité. Comment vont se passer les choses à partir de ce début juin ? C’est toute ma préoccupation. L.P.B. : Estimez-vous que le plus compliqué
distribution des produits locaux.”
“La reprise sera sans doute plus poussive que prévu.”
de rapatriements de frontaliers du Haut-Doubs. Concernant les grands groupes, il y a aussi des inquiétudes. L’exemple-type, c’est General Electric à Belfort. On assiste là un véritable scan- dale, avec des méthodes de voyous de la part des dirigeants américains qui ont profité de la crise sanitaire pour délocaliser des productions en Hongrie et aux États-Unis dans des régions moins touchées par le Covid. Dans le Nord Franche-Comté,
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