La Presse Bisontine 215 - Décembre 2019

L’INTERVIEW DU MOIS

La Presse Bisontine n°215 - Décembre 2019

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FINANCE

Un lanceur d’alerte “Moi, Maxime, taupe de la D.G.S.E. au cœur des paradis fiscaux” La vie du Bisontin Maxime Renahy est un roman d’espionnage.

L a Presse Bisontine : En mars 2007, vous intégrez le prestigieux cabinet d’avocats Mourant à Jersey, un paradis fiscal des îles anglo-nor- mandes abritant les secrets bancaires des milliardaires, multinationales, hommes politiques. Pourquoi contacter les services secrets seulement quelques semaines après votre prise de poste ? Maxime Renahy : J’ai été formé par ce cabinet : je n’y connaissais pas grand-chose aumonde de la finance. Mais le bon côté des pays anglo- saxons est d’embaucher sur un profil plutôt que sur l’expérience. Rapi- dement, je me suis dit que je ne pouvais pas laisser les informations que je voyais passer ou que j’enten- dais.À cette époque, peu de monde parlait d’évasion fiscale, de rétro- commissions… J’ai contacté la D.G.S.E. (direction générale de la sécurité intérieure) pour deux rai- sons : j’ai toujours eu envie de tra- vailler pour eux et l’opportunité m’a conduit vers eux. L.P.B. : Comment se noue le contact ? M.R. : À l’époque, il y avait peu d’élé- ments sur Internet pour trouver un numéro de téléphone. J’envoie alors une lettre au ministère de la Défense depuis Jersey. On me répond seulement après plusieurs semaines. De retour en vacances à Besançon chez mon père, je prends le téléphone et j’appelle l’état-major livre bientôt adapté à la télé. Ses connaissances sont désormais à disposition des citoyens. Administrateur de fonds à Jersey puis au Luxembourg de 2007 à 2012, il a livré des informations cruciales sur des entreprises françaises cherchant à échapper au fisc. Il a fait tomber le masque dans un

un sentiment “patriotique”. À ce moment, je vois par exemple pas- ser le dossier Samsonite devant moi, peu de temps après mon arri- vée. Ce jour-là, la transaction rap- portait à Mitt Romney (ex-candi- dat à la présidentielle aux États-Unis) et ses associés 950mil- lions de dollars pour une mise ini- tiale de 106millions d’euros. L’acte signé sous mes yeux était l’abou- tissement d’un plan implacable visant entre autres à licencier les quelque 200 salariés de l’usine Samsonite à Hénin-Beaumont pour délocaliser la production en Asie. L.P.B. : Comment obtenez-vous la confiance des services secrets ? M.R. : Au premier rendez-vous, à Paris, j’avais déjà préparé des dos- siers de rétrocommissions dans lemonde de l’armement, des inves- tissements interdits de multina- tionales françaises, des abus de biens sociaux, des délits d’initiés, des liquidations frauduleuses. La confiance se base grâce à ma dis- ponibilité et ma sincérité et parce que je leur délivre des informa- tions de premier plan.À l’époque, je sens que ma vie bascule dans cette vie d’espion et je suis hyper- motivé. L.P.B. : Comment transmettez-vous les documents ? M.R. : Je dois écrire sur une clé U.S.B. et la remettre àmon officier traitant en main propre. Ma mis- sion consiste répondre à une liste de course, de tenter de développer un réseau d’espions sur l’île, de donner des informations récupé- rées. L.P.B. :Vous voilà devenu taupe. Comment vit-on avec cette double casquette ? M.R. : Il faut savoir aimer et trahir. J’ai noué beaucoup de relations, je suis rentré dans des clubs de sport, participé à de nombreuses soirées pour récolter le maximum. Il faut savoir que Jersey est une toute petite île. Très rapidement, je me suis fait accepter car je suis sociable. J’ai récupéré des infor- mations lors de soirées, parties de poker, mais aussi parce que les collègues avec qui je travaillais parlaient souvent “boulot”… Il fallait les écouter sans trop en demander pour ne pas se faire démasquer et ensuite vérifier. L.P.B. : Et vous avez eu de nombreuses relations avec des femmes… M.R. : (rires). J’explique dans mon livre que les femmes à Jersey ne sont pas écoutées et considérées par les hommes. Si vous prenez le temps de les écouter, elles finis- sent par vous dévoiler des infos. C’est ce que j’ai fait avec une femme richissime.

Le Bisontin Maxime Renahy.

Quand des gens abusent de leur pouvoir, nous sommes là pour le leur rappeler. Le fait de ne pas retenir ma candidature était une décision politique. L.P.B. :Vous n’êtes plus espion.Vous êtes grillé chez les banquiers et les avocats. De quoi vivez-vous ? Regrettez-vous ? M.R. : Je ne regrette rien. J’ai créé la plate-forme associative “lan- ceuralerte.org”. qui sert aux syn- dicats, salariés, O.N.G., médias alternatifs. J’ai lancé avec mon frèreAlexandre des attaques judi- ciaires contre 8 multinationales comme Bigard et Lactalis pour leur demander de publier leur compte. Nous avons gagné. Je suis rémunéré pour mes analyses financières pour des syndicats, je travaille pour laWebT.V. Lemédia, j’ai mon livre qui marche bien et j’ai bientôt l’adaptation à la télé. L.P.B. :Vous vous méfiez de la politique. Pourtant, vous étiez au lancement de la liste“BesançonVerte et Solidaire”portée par La France Insoumise… M.R. : C’est uniquement pour les soutenir car ce sont des militants, qui ne sont pas des radicaux. Ils se battent.J’ai peut-être un côté anar- chiste qui résulte de la culture du socialisme utopique à Besançon. L.P.B. : Votre ennemi, c’est la finance… M.R. : (rires). Non. Hollande a pro- noncé cette phrase mais il a fait comme Sarkozy et maintenant Macron. Il y a des personnes com- pétentes dans les services français mais encore faut-il que le politique veuille se battre. Mon but est de mettre la lumière les systèmes de fraudes d’entreprises, de politiques, des hauts fonctionnaires. On ne peut plus se laisser faire. Je n’ai rien contre le fait de faire de l’ar- gent honnêtement. n Propos recueillis par E.Ch.

Pinault, Bouygues…

L.P.B. : Que gagnez-vous à balancer ? M.R. : Pas un centime. Dans ma famille,mon grand-père était résis- tant. Il était fromager au Barboux (Haut-Doubs) et n’a jamais demandé d’argent quand il aidait des juifs à passer en Suisse. Pareil pour mon père, militant maoïste, lorsqu’il a mené des actions pour L.I.P. à Besançon. Cela peut paraî- tre utopique et naïf. Mais avec ce combat contre ces riches, se posait cette question : qu’est-ce qui est juste, qu’est-ce qui est droit ? Ces gens richissimes trichent et parce qu’ils sont puissants, ils auraient tous les droits ! Je ne pouvais plus le supporter. L.P.B. :Avez-vous été surpris par le faible niveau de connaissance de l’État en matière d’évasion fiscale à l’époque ? M.R. : On m’a demandé d’estimer les fonds propres et des solvabilités de certaines banques. J’ai été cho- qué que l’État me demande cela. Malgré tout, les agents de la D.G.S.E. ont une culture générale développée et leur niveau de connaissance sur la finance était honorable.Mais l’intelligence éco- nomique, c’est le parent pauvre de la France ! L.P.B. : Racontez-nous une découverte originale ? M.R. : Des amies polonaises au cabinet étaient choquées d’avoir à gérer les actifs juteux d’une congrégation catholique (La Légion du Christ) régie par des vœux de pauvreté, qui au-delà de ses participations via les paradis fiscaux dans des investissements comme le laboratoire Pfizer, alors détenteur du monopole Viagra, possédait deux communautés actives en France et avait créé un cercle d’influence où se rencon- traient les plus grands noms du C.A.C. 40 : Charles Beigbeder,

L.P.B. : Puis arrive une forme de décep- tion. M.R. : Ne pas savoir ce que devien- nent mes informations est une frustration.Onme dit juste :“Elles sont remontées au plus haut niveau.” Je me dis alors que je sers les intérêts des multinatio- nales françaises. Être idéaliste, c’est bien, mais quand tu vois que tu nourris le système capitaliste, tu te dis qu’il faut le quitter. L.P.B. :Annoncez-vous votre fin de carrière aux services secrets ? M.R. : Je leur dis que je prends une année sabbatique mais ils ne me croient pas (N.D.L.R. : les services l’ont mis sur écoute et savent qu’il veut arrêter). L.P.B. :En déballant votre histoire,d’ailleurs parfaitement écrite dans le livre, crai- gnez-vous pour votre sécurité ? M.R. : Je suis vigilant quand je vais à Paris. La tension est redescendue et je n’ai aucun procès. Je sais que je ne retournerai pas à Jersey… L.P.B. : Pourquoi vous a-t-on interdit l’accès au salon Livres dans la Boucle à Besançon en septembre dernier ? M.R. : Lamaison d’édition a envoyé une demande très en avance qui n’a pas eu de réponse. Le maire de Besançonme connaît ainsi que mon frère : nous sommes des emmerdeurs via notamment notre blog lecompost.net.. J’ai dit sur Facebook que j’irai… et là, 150 personnes, des ami(e)s gilets jaunes, des militants, ont crié “Pour Maxime, liberté d’expres- sion” alors que je pensais être seul ou seulement avec quelques amis. Les gens m’ont poussé et nous sommes rentrés. Je ne voulais pas de débordements même je suis un emmerdeur professionnel.

Bio express

Né à Besançon,

l

il a 41 ans

l Il a un frère et une sœur

l Son grand-père a fait partie de la résistance à Besançon et dans le Haut- Doubs, son père était maoïste En 2007, après avoir travaillé dans de grands hôtels de luxe parisiens, il part en Angleterre. Il est embauché à Jersey dans un cabinet d’avocats l

l En 2012, il démissionne

l En 2016, Maxime contacte une maison d’éditions en qui il a confiance

l Avril 2019 : sortie de “Là où est l’argent”, éditions Les Arènes (20 euros). Création de la plate- forme lanceurdalerte.org 22 novembre 2019 : il signe avec Arte une adaptation de son livre à la télé l

de l’armée deTerre au culot. Je dis que je travaille dans la finance offshore, que je dispose d’in- formations cru- ciales. Je le fais sans trop y croire, en laissant mes coordonnées. On me rappelle plus tard et on me demande de créer une boîtemail sous un faux nom, puis de venir à Paris. C’était en 2008. L.P.B. : Pourquoi fran- chir le pas ? M.R. : Le plaisir de se rendre utile et

“La déception de ne pas savoir ce que deviennent mes informations.”

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