La Presse Bisontine 209 - Mai 2019

L’INTERVIEW DU MOIS

La Presse Bisontine n°209 - Mai 2019

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SANTÉ

La directrice générale du C.H.R.U. de Besançon

“Les économies ne se font pas au détriment du personnel” Sa parole est rare. Directrice du Centre hospitalier

universitaire de Besançon, Chantal Carroger évoque son projet d’établissement (2020-2024). Conditions de travail, vente de Saint-Jacques, réorganisation des urgences, finances, embauches, elle répond.

L a Presse Bisontine : Commençons par l’actualité. Le procès entre l’hôpital et le professeur Philippe Humbert, poursuivi pour diffamation, a été rendu en avril.Votre commentaire alors que lemédecin se pourvoit en cassation ? Chantal Carroger : Je retiens ce qu’a dit le président du tribunal au pro- fesseur : il y a une ligne rouge à ne pas franchir. On ne peut pas comme le Pr Humbert l’a fait déshonorer un hôpital sans en apporter la preuve. C’est lui qui nous attaque en disant que “le C.H.R.U. ferait des chimiothérapies pour de l’argent” sans en apporter lamoindre preuve. C’est scandaleux. L.P.B. : On vous sent personnellement tou- chée. C.C. : Je l’ai été car il a écrit et dit que “la directrice n’en a rien à faire des malades.” Cette phrase est fausse, d’où mon dépôt de plainte à titre personnel. Si je fais ce métier, c’est parce que j’aime l’humain ! Ma mère fut infirmière 30 ans dans un hôpital,ma sœur l’est également, je baigne aux côtés de ces gens qui travaillent, qui ont des métiers dif- ficiles. J’ai de l’admiration pour les soignants, je crois au service public, à l’égalité des soins. L.P.B. :Vous aimez l’humain, certes, mais votre rôle est de gérer le budget d’un mas- todonte (7 000 fiches de salaire tous les mois). Avez-vous réussi le pari d’un retour à l’équilibre financier ? C.C. : L’hôpital est à l’excédent depuis 2017. On termine 2018 avec + 1,6 million d’euros sur un budget annuel de 548 millions d’euros. Sur 32 C.H.U. en France, 17 sont en déficit, Besançon fait partie des 15 à l’ex- cédent. L.P.B. : Ces économies se font-elles sur le dos des personnels dont certains se disent à bout ?

380 personnes accueillies (10 000 de plus qu’en 2015). On opère éga- lement davantage avec 27 000 inter- ventions au bloc opératoire. L.P.B. :Vous écrivez le projet d’établissement 2020-2024.Voulez-vous conduire le C.H.R.U. vers un établissement qui centralise toujours plus ? C.C. : Je ne suis pas là pour croquer les autres ! Au contraire, un des axes est de pousser le C.H.R.U. hors ses murs avec le développement d’équipes médicales territoriales là où il le faut. Exemple avec Dole (N.D.L.R. : le service chirurgie a été fermé, occasionnant un report de patients à Besançon) où une équipe médicale de l’hôpital consul- tera puis opérera d’ici deux ans là- bas. Il faut revenir au plus près de la population. Je veux aussi mieux travailler avec les libéraux pour un exercice mixte, qu’ils puissent par exemple s’organiser sur des horaires en début de soirée pour que tous les patients n’arrivent au C.H.U. Nous avons aussi besoin des spé- cialistes en ville. Autres axes : accompagner la télémédecine, tra- vailler sur l’évolution des métiers, développer l’intelligence artificielle. L’hôpital a une responsabilité éco- nomique, sociétale, environnemen- tale. L.P.B. : Parmi les grandes étapes à avenir, il y a la vente de Saint-Jacques. Avez-vous un acheteur ? C.C. : Trois opérateurs sont en course. Nous déciderons dans les prochaines semaines qui d’Eiffage, Bouygues, Vinci, sera désigné.Une fois ce choix, nous connaîtrons le prix de vente. Nous sommes en négociation. L.P.B. : Où déménageront les 300 agents qui restent encore à Saint-Jacques ? C.C. : À Minjoz dans un bâtiment que nous allons construire à droite du bâtiment vert pour un montant de 6 millions d’euros. Il faudra déplacer l’institut médico-légal, la psychiatrie, la direction… Nous nous devons d’être au cœur du réac- teur ! La partie administrative remontera à Minjoz en 2021. L.P.B. : Même si vous les rencontrez déjà, vous serez donc au plus près des agents dont certains se disent à bout. Y a-t-il un malaise à l’hôpital ? C.C. : On dit toujours qu’il y a plus de travail et moins de moyens. C’est faux. La Chambre régionale des comptes a écrit qu’entre fin 2011 et début 2016, nous avons créé 309 postes. On peut estimer que ce n’est pas assez mais nous avons des dif- ficultés pour embaucher des infir- mières. Nous avons développé l’am- bulatoire, ce qui nous permet de réaffecter du personnel à d’autres tâches.

La directrice du C.H.R.U. de Besançon Chantal Carroger.

an avec son chef de service. L.P.B. : Vous combattez certaines pratiques comme le sexisme pré- sent en milieu hospita- lier. C.C. : J’y veille en tant que femme. Depuis que je suis en poste, quelques-unes de ces pratiques me sont remontées. Je les ai traitées.Avec les liens hiérarchiques, des femmes s’écrasent et cela, je ne l’accepte pas. Des conférences ont lieu à ce sujet.

L.P.B. : Pourquoi certains agents disent alors être à bout de souffle ? C.C. : Déjà, ce ne sont pas tous les agents. La manière de travailler a changé. Avant, vous étiez en poste du lundi au vendredi, vous établis- siez un lien avec le patient. À la demande du personnel et des syn- dicats, le travail de 12 heures s’est développé car il permet de travailler 13 jours dans le mois, ce qui réduit les coûts de nounou, de transport. Mais les jours où vous travaillez, c’est lourd. Lorsque vous revenez de repos, vous vous rendez compte que le patient est parti. Oui, la prise en charge plus rapide déstabilise, et oui, le lien avec le patient et entre les équipes s’est perdu. En raison des 35 heures, le temps de chevau- chement entre les professionnels a diminué. On a moins le temps de demander au collègue s’il va bien. L.P.B. : Moins d’esprit d’équipe explique- t-il la hausse de l’absentéisme en 2018, à 8,41 % contre 7,95 % en 2017 ? C.C. : Je n’en sais rien. C’est la raison pour laquelle j’ai demandé un audit pour comprendre. L.P.B. : Une grève a touché les urgences. Qu’avez-vous fait pour ce service qui est en première ligne face aux incivilités ? C.C. : Un plan d’actions a été mis en place avec 63mesures. Quelques exemples : on réfléchit à mettre un cabinet de médecins libéraux dans les urgences, qui pourrait faire de la petite urgence, on sécurise l’entrée, on réfléchit au temps de travail, au management qui est à revoir.Unmédecin doit par exemple avoir un entretien d’évaluation par

avéré ? C.C. : Ce sujet a inquiété mais une réunion avec le préfet et d’autres responsables a permis de trouver une solution. Nous le garderons. L.P.B. : Quels seront les grands chantiers d’infrastructures à venir ? C.C. : Refaire les salles de réani- mation, terminer le chantier de réhabilitation de la tour Minjoz dont la livraison est prévue en 2024. Sur 128 millions d’euros investis dans la tour, déjà 77 millions ont été réalisés, dont 29 millions pour le désamiantage. L.P.B. :À ce sujet, pourquoi un pourvoi en cassation dans le dossier amiante ? C.C. : C’est du droit pur. Je l’ai dit aux agents : “On ne fait pas cela parce que l’on ne veut pas payer ou que l’on ne veut pas reconnaître le préjudice.” L.P.B. : Ravie d’être le capitaine de ce navire qui s’étend encore dans le cadre du Groupement hospitalier ? C.C. : Oui. Dans les tempêtes,mieux vaut être à la barre d’un paquebot que sur un yacht, bien qu’un paque- bot soit plus difficile à manœuvrer. Je préside le Groupement hospita- lier de territoire (G.H.T.) qui s’agran- dit avec l’arrivée en 2020 des hôpi- taux de Saint-Ylie et de Novillars (psychiatrie). Encore une fois, je ne veux pas “bouffer” les voisins pour dire que le C.H.U. est le roi du monde. Il faut maintenir des pla- teaux partout. À nous de le relier avec des équipes qui sortiront de nos murs. n Propos recueillis par E.Ch.

Bio express

l Chantal Carroger est titulaire d’une maîtrise de droit public et diplômée de l’École nationale de santé publique. Elle commence sa carrière en 1986 au Centre hospitalier de Thiers. En janvier 1996, elle devient chef d’établissement de l’hôpital de Decize dans la Nièvre, de Tulle (2003-2004), puis du C.H.R.U. de Reims pendant 4 ans. Elle poursuit sa carrière à Rodez en qualité de chef d’établissement (2009-2011), puis directrice générale adjointe du C.H.U. de Nice, où elle exerce jusqu’en septembre 2015. 2015, elle est nommée directrice générale du C.H.R.U. de Besançon. l l Le 1 er octobre

“L’hôpital devra être hors les murs.”

C.C. : Non, ce n’est pas au détriment du personnel. Nous avons créé 309 postes depuis sur 5 ans, dont 60 l’an dernier. Nous sommes parvenus à ce retour à l’équi- libre grâce à une rigueur dans les cotations des actes. Le nombre de patients hospitali- sés augmente de 3 % par an, soit 54 590 patients accueillis en 2018, le chiffre des consultations gran- dit (769 000), comme celui du passage aux urgences avec 89

L.P.B. : Le Conseil d’État souhaite réduire le nombre d’hôpitaux en France possédant le U d’Universitaire. Besançon est-il sur la sellette ? C.C. : Non. Ce qui a été demandé par le Conseil d’État n’a pas été validé par le Premier ministre. En revanche, il a été demandé de tra- vailler en réseau pour être plus fort en recherche. Ce sera un défi. Entre Dijon et Besançon, nous avons des forces et des difficultés mais pas de tête de pont : il faut nous réunir sans position hégémonique de l’un sur l’autre. Nous sommes un petit C.H.U. mais nous avons de vraies réussites en cancérologie, sur le cancer du pancréas, en chirurgie pédiatrique, en intelligence artifi- cielle… L.P.B. : Les risques de perdre l’hélicoptère de la sécurité civile, sous-utilisé, est-il

“Une réflexion pour un

cabinet de médecins aux urgences.”

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