La Presse Bisontine 209 - Mai 2019

BESANÇON 16

La Presse Bisontine n°209 - Mai 2019

SCIENCES

Environnement Un chercheur lanceur d’alerte

Spécialiste du climat, directeur de recherche émérite au C.N.R.S., le Bisontin Michel Magny publie un ouvrage dans lequel il démontre comment la crise de la nature est aussi la crise de l’homme.

chasseurs-cueilleurs aux premières sociétés agricoles, on note le dévelop- pement des violences, ou encore de mala- dies avec la domestication des animaux, et bientôt les premières inégalités liées à la richesse. Plus tard, la découverte et la conquête de l’Amérique seront res- ponsables d'unmassacre sans précédent de population, l’ère industrielle annonce la naissance du monde ouvrier et de ses premières révoltes…” rappelle le climatologue. Les récents mouvements sociaux en France du type Gilets jaunes, ou la montée des populismes en Europe, nous interrogent sur un système éco- nomique qui consomme les ressources naturelles sans établir le bien-être social. Presque un plaidoyer politique qu’il argumente factuellement. “La véritable question est celle de la place trop importante qu’a prise l’économie dans nos sociétés, au détriment de l’art de vivre ensemble qui prévaut encore chez les peuples autochtones. Cette crise écologique est l’occasion de nous inter- roger sur le type de société que l’on veut voir se développer. À la vitesse où se développe la crise écologique, c’est l’exis- tence de l’espèce humaine qui est en jeu. La question que nous pose l’An- thropocène est celle de la remise en cause d’un système économique qui conduit à l’épuisement des écosystèmes

L e réchauffement climatique pour- suit sa marche en avant. Bifur- quer paraît difficile “à moins de grands changements politiques, économiques et sociétaux” observe Michel Magny (67 ans), directeur de recherche émérite au C.N.R.S. et spé- cialiste des changements climatiques et environnementaux. Le Bisontin publie “Aux racines de l’Anthropocène, une crise écologique reflet d’une crise de l’homme” (éditions Le Bord de l’eau). L’Anthropocène désigne cette nouvelle époque géologique caractérisée par un impact sans précédent d’une espèce, l’Homme (Homo sapiens), sur l’écosys- tème planétaire depuis les débuts de la Révolution industrielle. Désormais à la retraite, le Franc-Com- tois expert du climat au sein du labo- ratoire Chrono-environnement à Besan- çon a étudié durant une partie de sa carrière les niveaux des lacs du Jura pour reconstituer 15 000 années d’his- toire climatique grâce à des carottages dans les sédiments lacustres. Le réchauffement climatique, il l’a analysé

de près. Le climat de Besançon est aujourd’hui devenu celui de Lyon en 1900. En moins d’un siècle, les tempé- ratures ont évolué plus rapidement qu’au cours des 7 000 dernières années, et les fonds de certains lacs jurassiens sont maintenant devenus des zones sans vie. Ces processus sont caractéristiques

de ce que les scientifiques nomment la Grande Accélération. Michel Magny s’intéresse de plus près aux interac- tions qui lient nature et sociétés humaines. “Avec les travaux de mes col- lègues (archéologues, géo- logues, paléo-environne- mentalistes), il est possible de comparer la trajectoire de l’environ- nement et celle des socié- tés. Au Néolithique par exemple, quand l’homme passe de sociétés relati- vement égalitaires de

Le climat de Besançon est devenu

Michel Magny, auteur d’un livre qui nous en dit long sur les contradictions de nos sociétés.

de celle de 2003. L’eau deviendra plus rare. Le nombre des réfugiés clima- tiques va s’accroître. Seul un change- ment réel des pratiques dans nos socié- tés peut dévier l’humanité d’une trajectoire fatale et éviter que “tout change pour que rien ne change.” n E.Ch.

et menace le vivre-ensemble dans nos sociétés.” Un constat, certes, pour quelles solutions ? “Des solutions techniques existent, répond Michel Magny. Mais il faut aussi une prise de conscience des véritables changements à opérer.” D’ici 2100, Besançon connaîtra une fréquence accrue des canicules du type

celui de Lyon en 1900.

“Aux racines de l’Anthropocène, une crise écologique reflet d’une crise de l’homme”, éditions Bord de l’Eau (24 euros)

ENVIRONNEMENT

Les dégâts de la chalarose Un abattage d’envergure en forêt de Chailluz et à la Malate Plusieurs zones boisées de Besançon sont atteintes par la chalarose du frêne. 1 200 arbres malades ont été abattus à la Malate et d’autres opérations sont menées à Chailluz.

E n avril, les engins fores- tiers de l’entreprise Girard étaient à pied d’œuvre de part et d’autre du chemin de la Malate pour sécuriser la route et la voie verte. Mandatés par la Ville, ils effec- tuaient des coupes importantes. Sur place, plusieurs frênes aux troncs et aux branchages secs étaient marqués d’une croix rouge, dans l’attente d’un abat- tage. “On attendait le printemps pour voir si les arbres que l’on constatait en détresse repar- taient. Mais ils sont définitive- ment morts” , indique Anne Vignot, adjointe au maire en charge du développement dura- ble et de l’environnement. Le responsable de cette héca- tombe n’est autre qu’un cham- pignon, arrivé dans l’Est de la France il y a 10 ans par la Pologne suite à l’introduction de frênes asiatiques. Il s’attaque aux feuilles et aux rameaux en les desséchant et provoque des lésions au collet. Cette maladie, appelée chalarose, engendre de lourds dégâts sur les peuple- ments de frêne, pourtant espèce pionnière. Avec la conjonction de la séche-

espèces comme les hêtres ou les épicéas se voyant aussi mena- cées par des épidémies (chancre, scolyte…) Les interventions vont ainsi se poursuivre en forêt de Chailluz où 3 000 arbres ont été abattus. “On va également cibler les collines boisées et autres lieux de promenades. Nous n’en sommes qu’au début” , remarque malheureusement l’adjointe. La régénération naturelle des secteurs de coupe sera privilé- giée. Comme à la Malate où de nombreux semis d’érables étaient présents et où on a laissé la chance aux frênes les plus résistants. Les parcelles mises à nu y feront l’objet d’un suivi particulier pour éviter que ne se propagent des plantes inva- sives. Si une solution a été trouvée ici dans la valorisation de ce bois mort pour alimenter les chauf- feries bisontines “grâce à un partenariat avec les acteurs de la filière bois” , ce n’est pas la finalité. Ce genre d’opération qui ne peut pas être assurée par la régie municipale a évidem- ment un coût. 25 000 euros sur le seul secteur de la Malate. n S.G.

resse, les arbres meurent sur pied par centaines ou deviennent vulnérables à d’autres patholo- gies, et menacent de tomber. Ce qui pousse la Ville de Besançon à intervenir. Ces coupes d’en- vergure sont sans précédent. “Quand une espèce complète dépérit comme celle-là, c’est inquiétant. Il ne s’agit pas que de quelques massifs. On peut s’interroger sur la réponse bio- logique que la forêt sera en capa- cité d’apporter.” Le développement croissant du champignon

25 000 euros sur le seul secteur de la Malate.

L’équipe municipale en discussion sur le chantier de la Malate.

conduit la muni- cipalité à réaliser un recensement exhaustif des frênes sur des sec- teurs à enjeux. Alors qu’elle cherche à promou- voir les activités outdoor avec les Grandes Heures Nature, elle sait d’ores et déjà qu’elle aura à rele- ver ici un défi éco- logique et écono- mique. D’autres

L’abattage a nécessité la fermeture du chemin de la Malate du 8 au 26 avril.

En forêt de Chailluz, les zones balisées, sécurisées, restent ouvertes au public.

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