La Presse Bisontine 197 - Avril 2018

L’INTERVIEW DU MOIS

La Presse Bisontine n° 197 - Avril 2018

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POLITIQUE

L’ancienne députée Barbara Romagnan

“On peut avoir une vraie utilité

en dehors de tout mandat”

L a Presse Bisontine : Avec le recul, com- ment analysez-vous votre défaite de juin dernier. C’était attendu ? Barbara Romagnan : Malgré le contexte national, j’ai tout de même été sur- prise. Quand on fait campagne, on se dit toujours qu’on va gagner. Cette défaite était peut-être prévisible, mais je ne la prévoyais pas. L.P.B. : On vit mal d’autant plus mal ce gen- re de déconvenue ? B.R. : J’ai été assez surprise de ma réac- tion car je pensais que je vivrais plus mal que ça cet échec. Bon, c’est com- me ça, c’est la démocratie et dans la démocratie, ce ne sont pas forcément toujours les meilleurs qui gagnent, y compris quand c’est moi qui gagne… Bien sûr, ce genre d’échec amène for- cément à des remises en cause, mais il faut dire aussi que la vie de dépu- tée s’accompagnait d’une vraie fatigue physique. Quand on est député, on ne s’arrête jamais : le week-end, le soir, pendant les vacances… Même si on a une grande liberté d’organisation et la chance de choisir ses sujets de tra- vail, le rythme est particulièrement usant. Maintenant, il faut trouver d’autres choses pour se sentir utile. L.P.B. : Votre position de frondeuse sous le précédent gouvernement ne vous a-t-elle pas coûté votre réélection ? B.R. : Si je n’avais pas été frondeuse, le résultat aurait sans doute été le même. J’ai défendu tout au long du mandat ce que je croyais juste. L.P.B. : Avez-vous repris une activité profes- sionnelle ? B.R. : Depuis juin, je n’ai pas de travail. Comme tout autre salarié, je touche société. Et n’exclut pas un jour de revenir sur la scène politique. Interview. L’ancienne députée bisontine victime de la vague macroniste qui a balayé la France en juin dernier sort de son silence. Même si elle a quitté le parti socialiste, elle n’en reste pas moins impliquée sur les questions de

Barbara Romagnan n’a pas d’emploi pour l’instant. Elle prépare un concours pour intégrer l’enseignement professionnel.

ment. Sur la question migratoire, c’est encore pire : la façon dont on traite les gens qui arrivent sur notre territoire est indigne et participe du racisme. J’estime que la politique à l’égard des migrants est la plus dure de ces 50 dernières années. L.P.B. : Il faut donc accueillir tout le monde sur le sol français ?! Soutenez-vous le col- lectif bisontin Sol Mi Ré qui a réquisitionné illégalement un local rue d’Arènes ? B.R. : On peut choisir de ne pas accueillir les migrants, mais ils viendront quand même. Bien sûr que je soutiens Sol Mi Ré même s’ils ne sont pas dans la léga- lité. Ils investissent un lieu qui n’est pas occupé. Certes, c’est illégal, mais ce n’est pas illégitime. C’est même sou- haitable…Et pour qu’on ne tombe pas dans l’anarchie, il faut que les pou- voirs publics accompagnent ces gens en établissant un bail précaire. En plus, la politique actuelle sert le commerce des passeurs. Il faut créer en France les conditions de l’accueil. L.P.B. : Un mot enfin sur les propos tenus (puis rectifiés) par l’autre député bisontin Éric Alau- zet sur les retraités qui feraient partie d’une “génération dorée”. C’est une maladresse ? B.R. : Expliquer que les retraités peu- vent contribuer à remplir les caisses de l’État alors qu’on fait des fleurs à ceux qui sont déjà privilégiés, c’est contribuer à opposer les gens entre eux. Les retraités contribuent aussi beaucoup à la richesse du pays, notam- ment à travers leur engagement dans les associations. Du haut de ses 5 000 euros par mois, on ne peut pas affir- mer que les retraités sont des privilé- giés. n Propos recueillis par J.-F.H.

vernement. Ce n’est pas cela que j’appelle la démocratie. L.P.B. : Un mot sur votre suc- cesseure Fannette Charvier ? B.R. : Je n’ai rien vu de ce qu’elle a fait. Cela ne veut pas dire qu’elle n’a encore rien fait… Mais si on cherche des infor- mations sur ses actions, on ne trouve pas grand- chose pour l’instant. Elle fait sans doute de son mieux. Je lui reproche juste de renoncer à son pouvoir de législateur en approuvant le système des ordonnances. L.P.B. : Vous estimez tout de même que l’actuel gouver- nement fait mieux que le pré- cédent ?

en octobre dernier.

moins de chance à la base. Pour moi, c’est aussi un enjeu d’égalité démo- cratique. Et ce métier peut aussi me laisser du temps pour réfléchir et m’en- gager dans la cité.Avoir du temps pour soi et pour les autres, c’est ce que je souhaite aussi. L.P.B. : Y a-t-il une vie possible après la poli- tique ? B.R. : Ma vie a beaucoup été organisée autour de la politique, c’est vrai, avec quatre campagnes législatives à mon actif. J’essaie aujourd’hui de m’enga- ger différemment. Je participe par exemple aux discussions qu’organise le C.D.N. autour de sa programmation théâtrale, sur des thèmes qui me tien- nent à cœur comme la désobéissance civile, les classes sociales ou le sort des migrants par exemple. On peut avoir une vraie utilité en dehors de tout man- dat quand je vois le combat que mènent des femmes comme Dominique Hen- ry, la paysanne du Haut-Doubs qui s’est battue contre la ferme des 1 000 vaches, ou encore Laurence De Cock sur les utilisations médiatiques et poli- tiques de l’histoire. C’est dans ce gen- re d’engagements que je me reconnais aussi. L.P.B. : Les élections, c’est terminé pour vous? B.R. : Non, pas forcément. Je ne serai pas candidate dans des élections proches, c’est sûr, ni pour la mairie de Besançon non plus, mais de manière générale, je n’exclus rien du tout. Je ne dis pas que je ne serai plus jamais candidate à une élection. L.P.B. : Vous êtes toujours socialiste ? B.R. : Je suis socialiste, écologiste et féministe. Même si j’ai quitté le P.-S.

L.P.B. : À cause de quoi ? B.R. : La goutte d’eau a été le jour où les députés socialistes n’ont pas bron- ché au sujet de la sixième prolonga- tion de l’état d’urgence qui devient une loi commune. Les députés P.-S. ont voté pour et le P.-S. n’a exprimé aucune opi- nion sur le sujet. L.P.B. : Vous êtes toujours une militante pour- tant ? B.R. : Oui, au sein du mouvement Géné- ration-s lancé par Benoît Hamon. Je représente régulièrement le mouve- ment dans des réunions publiques en France. Récemment, j’étais par exemple au nom du mouvement aux assises de l’écologie. Et sur le plan local, je tra- vaille à animer un groupe local Géné- ration-s qui s’est constitué à Besan- çon. L.P.B. : Revenons sur les dernières législa- tives dont un des mérites, vous le reconnais- sez sans doute, est d’avoir largement régé- néré la classe politique ? B.R. : On est bien obligé de reconnaître qu’il y a plein de visages nouveaux, ce qui n’est pas une qualité en soi, mais en effet, ils sont nouveaux. Ensuite, sur le plan de la diversité, on ne voit guère de différences ar rapport à avant et je dirais même qu’il y a une plus grosse proportion dans l’assemblée de catégories sociales privilégiées, rien qui reflète le vrai visage de la société. Mais ce qui me choque le plus, c’est que ces nouveaux députés votent tous comme un seul homme et ont voté, avec l’approbation des ordonnances sur le travail ou la S.N.C.F., pour qu’on leur retire leur pouvoir de contrôle du gou-

“On ne peut pas affirmer que les

retraités sont des privilégiés.”

encore 57 % de la rému- nération brute de dépu- té, pendant 23 mois. Mais je prépare actuel- lement le concours de l’enseignement profes- sionnel. J’ai enseigné pendant quinze ans, j’ai envie d’enseigner cette fois en lycée profes- sionnel. Ce concours que je passerai en interne en décembre et en exter- ne en mars me per- mettra d’avoir l’assu- rance d’un emploi en devenant titulaire. L.P.B. : Et pourquoi pas dans les filières générales ? B.R. : C’est un public dif- férent en enseignement professionnel, avec des jeunes qui ont peut-être

“Je n’ai rien vu de ce qu’a fait Fannette Charvier.”

B.R. : J’estime surtout qu’il fait, en pire, ce qu’il avait annoncé sur la libérali- sation de l’économie et continue à pri- vilégier le libéralisme économique à tout crin. Ce gouvernement favorise non pas le travail, mais les plus riches, c’est une réalité. Pour le reste, c’est une politique dans la continuité de la précédente. L.P.B. : Et sur les sujets de société ? B.R. : Sur l’école par exemple, on est dans le recul. Le dédoublement des classes de C.P., c’est bien, mais cela se fait au détriment des classes suivantes avec des moyens qui ne suivent pas. Au lieu de faire une évaluation serei- ne de ce qui a été mis en place les années précednets, on casse directe-

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