La Presse Bisontine 197 - Avril 2018

DOSSIER

19 La Presse Bisontine n° 197 - Avril 2018

l État des lieux

l Interview La cheville ouvrière de la commission “Avoir un autre regard sur ce qu’est réellement la prostitution dans ce département” Éline Chenillat est chargée de mission départementale aux droits des femmes à la Direction Départementale de la Cohésion Sociale et de la Protection des Populations du Doubs. C’est elle qui coordonne au nom du préfet les actions de cette nouvelle commission de lutte contre la prostitution.

20 000 en France

Une trentaine de prostituées de rue à Besançon… La plupart étrangères, les prostituées sévissant sur la voie publique se font de plus en plus discrètes. Et à côté de ces prostituées “visibles”, il y a tou(te)s les autres, vie Internet, ou sur les campus.

S elon un rapport parlementaire dit “Geoffroy-Bousquet” présen- té en 2011 devant l’Assemblée Nationale, “il y aurait entre 18 000 et 20 000 personnes prostituées en France aujourd’hui.” Ce chiffre est issu, selon le ministre de l’Intérieur, du croisement de diverses données : le nombre de personnes alors mises en cause pour racolage par la police natio- nale (ce délit n’existe plus aujourd’hui), le nombre de victimes de traite des êtres humains ou de proxénétisme identifiées dans des procédures judiciaires et les évaluations issues du monde associatif. Qu’en est-il actuellement sur Besan- çon ? “Sur le ressort de la zone police, nous avons comptabilisé 31 prostituées de rue indique Benoît Desferet, le direc- teur départemental de la sécurité publique. Mais il est clair qu’aujourd’hui, la majorité des cas de prostitution se passent désormais via Internet et qu’il est dès lors très difficile de faire l’objet d’un suivi et d’un contrôle” avoue le

chef de la police. Sur ces 31 prostituées de rue, la plu- part sont étrangères, à plus de 85 % : essentiellement des personnes bulgares et roumaines mais aussi moldaves, alba- naises et kosovares, ainsi que des per- sonnes originaires d’Afrique : Nigé- rianes et Camerounaises. “On remarque en effet de plus en plus de prostituées d’Afrique Noire” confirme le commis- saire Desferet. La trentaine de prostituées de rue recen- sée par les forces de l’ordre à Besan- çon ne sont que la partie émergée de l’iceberg puisque la prostitution de rue n’est elle-même qu’une des nombreuses formes de prostitution. Elle ne repré- senterait que 30 % de la prostitution globale selon les résultats d’une récen- te étude Prostcost, menée en partena- riat avec les Mouvement du Nid et Psy- tel. Tout le reste est caché, dans l’intimité d’un appartement ou d’une chambre étudiante. n J.-F.H.

L a Presse Bisontine : Qu’est-ce que cette commission peut changer au destin des prostitué(e)s ? Éline Chenillat : Cette commission a deux missions principales, dont la première est la mise en place d’une stratégie départementale de lutte contre la prostitution. L’idée première est d’avoir un autre regard sur ce qu’est réellement la prostitution dans ce département. Nous souhaitons avoir une connaissance plus précise sur la prostitution cachée, notam- ment sur Internet ou la prostitution étudiante, ou encore le michetonna- ge qui consiste à s’adonner à des pra- tiques sexuelles, non pas contre de l’argent, mais contre certains ser- vices ou échanges : portable, etc. Il n’en reste pas moins que 80 % de la prostitution est issue de réseaux orga- nisés de proxénétisme, avec des per- sonnes qui n’ont pas choisi de se pros- tituer. Le deuxième axe de notre action sera la mise en place de parcours de sor- tie de la prostitution pour accompa- gner les personnes qui souhaitent bénéficier d’un parcours d’insertion plus global, la difficulté principale étant bien sûr de capter ces personnes. Pour les personnes qui n’auraient pas de titre de séjour, ce parcours leur permettra de bénéficier d’une autorisation provisoire de séjour. L.P.B. : Le plus difficile étant d’appréhen- der cette prostitution dite cachée ? E.C. : C’est la raison pour laquelle nous allons travailler avec une asso- ciation de Côte-d’Or qui a déjà com- mencé à investiguer sur cette ques- tion. Nous nous appuierons également sur le travail mené sur cette ques- tion dans le département d’Eure-et-

Éline Chenillat est au nom de l’État la cheville ouvrière de cette nouvelle commission de lutte contre la prostitution dans notre département.

met par exemple de contribuer au paiement du loyer est susceptible elle aussi d’être poursuivie. L.P.B. : La loi française a évolué, encore en 2016 notamment, mais à part par desmesures d’interdiction totale, comment peut-on vrai- ment lutter contre la prostitution ? E.C. : La principale avancée de la loi de 2016, c’est que les prostitué(e)s qui pouvaient auparavant être sanc- tionné(e)s pour racolage, sont désor- mais considéré(e)s comme des vic- times. Ce sont les clients et les proxénètes qui sont maintenant pour- suivis. C’est le principe français du prohibitionnisme de la prostitution, contrairement à l’abolitionnisme en vigueur dans certains pays comme la Roumanie ou la Lituanie par exemple où on punit aussi les per- sonnes prostituées. En France, on a préféré favoriser la protection des victimes, c’est-à-dire des prosti- tué(e)s. n Propos recueillis par J.-F.H.

Loir dont je devais rencontrer très prochainement les instigateurs. Notre travail va commencer par le recen- sement des sites Internet (genre Vivastreet, ou des sites plus clas- siques) sur lesquels on peut trouver des annonces liées à la prostitution. Nous travaillerons également en lien avec l’Université pour ce qui touche à la prostitution étudiante. L.P.B. : Il y a aussi de la prostitution dite “choisie” ? E.C. : Oui, mais elle représente un pourcentage infime, inférieur à 1 %. On rappelle à ce sujet à ceux qui défendent cette forme de prostitu- tion qu’au-delà du fait que l’on choi- sit ce qu’on veut faire avec son corps, le législateur pose un certain nombre de principes, et notamment celui de l’interdiction légale de la marchan- disation du corps, même si c’est consenti. Une personne qui habite- rait avec quelqu’un qui se prostitue et qui sait que cette prostitution per-

Selon Benoît Desferet, directeur départemental

de la police, “la majorité des cas de

prostitution se passent désor- mais via Internet.”

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