La Presse Bisontine 185 - Mars 2017

30 DOSSIER I

La Presse Bisontine n° 185 - Mars 2017

“Un médecin dans chaque village, c’est terminé” l Université Le Professeur Thierry Moulin Le numerus clausus fixant le nombre de futurs médecins passe de 176 à 186 à l’Université de Besançon. Suffisant pour attendre un effet à court terme ? Nouveau doyen de l’U.F.R. médecine, le Professeur Thierry Moulin répond.

T.M. : Nous sommes face à une évolution sociétale. Nous allons de plus en plus vers un exerci- ce en regroupement. Il y a les maisons médicales qui sont une réponse. Cela favorise l’instal- lation à plusieurs. Les étudiants sont formés également à cet exer- cice de groupe. L.P.B. . : Les encouragez-vous à se regrouper ? T.M. : C’est un tournant irrémé- diable. On ne peut plus exercer la médecine comme on le faisait à la fin du XIXème siècle. Vu la densité des connaissances, l’exer- cice est partagé. Les patients souhaitent aussi avoir plusieurs avis. Le médecin seul, coupé de tous, c’est terminé. Une répon- se vient également avec le numé- rique et la télémédecine. L.P.B. : La révolution numérique peut- elle répondre aux déserts médicaux selon vous ? T.M. : Imaginons des maisons médicales pluridisciplinaires. Si les médecins ont besoin d’un avis avant de déplacer le patient à l’hôpital de Besançon, c’est plus simple d’avoir un lien Internet pour faire une téléconsultation. Cette révolution favorise le par- tage, conforte les prises en char- ge et rassure aussi les patients. L.P.B. : Vous êtes donc pour les mai- sons de santé ? T.M. : Oui. Il faut que la faculté anticipe et forme les jeunesméde- cins dans ce domaine d’autant que le temps d’exercice partiel va s’intensifier avec la fémini- sation. C’est un constat et il faut le prendre en compte. Là où il fallait deux personnes, il en fau-

dra trois à l’avenir. L.P.B. : Cette aug- mentation du numerus clausus n’est donc qu’un pansement. En aucun cas un remède. T.M. : Cela va atténuer.Il faut que les profes- sionnels mon-

ternet à haut débit arrive bien partout. Les U.R.P.S. doivent favoriser les regroupements et la création d’un tissu de méde- cins généralistes qui collaborent pour irriguer le territoire. L.P.B. : Grâce à leur position de force, on a l’impression que les jeunes méde- cins prennent en otage les territoires en demandant toujours plus. T.M. : Ce n’est pas très bon de commencer son exercice en fai- sant monter les enchères. C’est un peu comme les médecins qui vont en Suisse : c’est l’utilisa- tion de la santé dans un but com- mercial. Il faut donc trouver le bon équilibre. L.P.B. : L’équilibre, c’est une aug- mentation du tarif de la consultation ? T.M. : Il faut probablement un peu plus que les 25 euros mais sans doute pas les 150 francs comme en Suisse. Il y a un del- ta à trouver. Mais ce n’est pas à la faculté d’y répondre. L.P.B. : Vous êtes donc contre la régu- lation des installations. T.M. : Obliger quelqu’un à exer- cer à un endroit n’est pas la réponse miraculeuse. Il vaut mieux des mesures incitatives positives, c’est à chaque faculté qui forme, d’irriguer son terri- toire. Quand vous êtes formé à Marseille, il y a peu de proba- bilité de tomber amoureux de secteurs comme le Haut-Doubs au point de s’y installer défini- tivement. C’est possible, mais rare. De même que quand vous êtes Franc-Comtois, vous voyez peu d’étudiants aller s’installer en Corse. n Propos recueillis par E.Ch.

L a Presse Bisontine : Près de 1 200 étudiants sont inscrits en première année à Besançon. Combien de places leur sont réservées cette année en médecine ? Thierry Moulin (Professeur de neuro- logie, doyen de l’université de sciences médicales et pharmaceutiques depuis janvier) : En 2017, le numerus clausus est de 186. Il a augmenté pour les médecins de 10 places (176 en 2016) mais ne devrait pas changer pour les kinésithé-

rapeutes, les pharmaciens. C’est une bonne chose que ce chiffre augmente car nous savons que nous aurons moins de médecins dans les années à venir. L’effet du numerus clausus est à long terme.À court terme, on ressent les effets sur les internes qui sont environ 700 à Besançon, un chiffre qui augmente. Les gens qui ont 60 ans aujourd’hui seront soignés par les élèves que nous formons.

L.P.B. : Ouvrir des postes, c’est bien. Cela ne risque-t-il pas d’abaisser le niveau ? T.M. : Non, on ne peut pas consi- dérer que c’est une formation au rabais ! Il faudra simplement dispenser les stages pour cha- cun des internes, et disposer des enseignants qui vont avec. L.P.B. : Comment expliquer le désin- térêt des internes à s’établir comme “médecin de campagne” ? Quel mes- sage glissez-vous ?

“L’avenir est dans la télémédecine.”

trent une solidarité entre eux pour compenser les manques. Le monde libéral doit s’organi- ser comme s’organisent les éta- blissements publics. L.P.B. : Les mesures des collectivités comme les exonérations de charges sont-elles connues des étudiants ? T.M. : Oui, c’est très bien et nous communiquons aux internes en lien étroit avec l’A.R.S. pour expliciter ces incitations depuis plusieurs années déjà.Mais cela montre des limites. L.P.B. : Lesquelles ? T.M. : Même s’il y a des aides, les petits villages ne sont pas attrac- tifs. Que chaque village ait son médecin à l’ancienne, c’est ter- miné. L.P.B. : Comment faire alors pour atti- rer ? T.M. : Encore une fois, il faut des maisons médicales, des points de relais, comme avec des phar- macies équipées de cabines de télémédecine. Le numérique va nous aider à rendre l’accès plus équitable possible. Maintenant, ce sont aussi les politiques qu’il faut interroger et savoir si l’In-

Professeur de neurologie au C.H.R.U. de Besançon, Thierry Moulin est depuis janvier le doyen de la faculté de médecine.

l Maison médicale Ils s’installent ensemble Valdahon attire 5 jeunes médecins bisontins

5 jeunes docteurs issus de la faculté de Besançon ont fait part de leur volonté de s’installer dans une maison médicale construite par la S.E.D.D. avec le soutien de Valdahon. Ouverture fin 2018.

La maison médicale initiée par la S.E.D.D. à Valdahon attire cinq jeunes médecins bisontins (photo Archi + Tech).

V aldahon est dans le Top 10 des villes de 5 000 habi- tants en France qui explo- se démographiquement. Le nombre de médecins, lui, reste le même. Pire, trois se rappro- chent de l’âge de la retraite. “Il fau- drait 5 ou 6 médecins pour répondre à la demande. 30 % des Valdahonnais vont se faire soigner à l’extérieur” consta- te Jacques Angeli, adjoint en charge du social à Valdahon. La mairie a discuté avec les médecins présents. Elle leur a fait part de sa volonté de développer unemaisonmédi- cale où seront regroupés un cabinet de médecins généralistes, des spécia- listes, et des associations paramédi- cales. Les médecins déjà présents n’ont pas décidé de s’y installer. Ce sont 5 jeunes médecins, tous issus des bancs de la faculté de médecine de Besan- çon, qui s’installeront là. Un jeune thésard âgé de 34 ans a déci- dé de venir dans ce futur centre après des remplacements effectués à Besan- çon. Pourquoi ce choix dans un désert

médical ? “Valdahon n’est pas la cam- pagne. Il y a des infrastructures publiques, des commerces, et un axe routier principal, et des professionnels de santé médicaux et paramédicaux déjà établis” explique le docteur qui préfère ne pas dévoiler son identité. Pour attirer, Valdahon profite de son statut de “zone médicale blanche”.Ain- si, les étudiants en médecine peuvent

bénéficier de 1 200 euros d’aides par mois délivrés par l’A.R.S. à condition de s’installer àValdahon une fois leurs études termi- nées. “Rares sont les méde- cins qui s’installent seuls aujourd’hui, commente le jeune docteur. Notre géné- ration préfère exercer en cabinet de groupe. Un binôme permet déjà d’as- surer la continuité des soins de façon optimale en évitant le burn-out dû à des semaines de travail

Ouverture prévue fin 2018.

posé du pôle médecins généralistes avec une salle de garde, un pôle de spé- cialistes de 300 m 2 (cabinet de der- matologie, infirmières libérales, para- médicaux…), un pôle avec des associations de santé. “Si nous avons plus de 50 % de prospects, nous démar- rons début 2018 les travaux” indique la S.E.D.D. qui proposera “un prix com- pétitif à la location ou à la vente.” Le coût du centre médical est évalué à 2 millions d’euros. n

trop chargées et sans fin, gestion des congés et absences pour formations” témoigne le futur docteur valdahon- nais. Dans les faits, Valdahon vend un ter- rain à la S.E.D.D. au niveau du quar- tier de Maulbronn, près du laboratoi- re d’analyses médicales et de radiologie. La société d’équipement va dévelop- per et commercialiser le bâtiment. “Nous avons proposé un prix du ter- rain bonifié à la S.E.D.D. Le deal : vous

construisez, vous accueillez, vous louez ou vous vendez” explique Gérard Faivre, adjoint en charge de l’urbanisme àVal- dahon. La S.E.D.D. ne craint pas pour le rem- plissage : “Le risque est limité, com- mente Sylvain Raibois, directeur adjoint à la société d’équipement. Nous avons réalisé une étude de faisabilité. Nous avons déjà 5 médecins, tous titrés, qui sont intéressés.” Si tout va bien, le bâti- ment qui ouvrira fin 2018 sera com-

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