La Presse Bisontine 181 - Novembre 2016

L’INTERVIEW DU MOIS

La Presse Bisontine n° 181 - Novembre 2016

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POLITIQUE

Il est candidat aux législatives de 2017 “Je ne suis plus du tout à l’aise dans mon parti”

Le député Éric Alauzet, candidat à sa propre succession, est marginalisé au sein de son propre camp Europe Écologie-Les Verts, un parti qu’il hésite à quitter. Entre écologie, social-démocratie, où se situe le candidat à sa propre

succession dans la IIème circonscription du Doubs ? Entretien.

L a Presse Bisontine : Participerez-vous aux primaires d’Europe Écologie-Les Verts qui ont démarré ? Éric Alauzet : Je suis très partagé car je reste sur l’idée d’une grande primaire de la gauche qui est la seule solution raisonnable au regard du contexte actuel. Je ne suis pas favorable aux autres candidatures, y compris au sein de mon propre camp. J’estime que nous aurons plus de chances de faire valoir nos idées dans une gran- de primaire. Présenter un candidat écologiste indépendamment de la grande primaire de gauche, le jeu n’en vaut pas la chandelle. Il n’y a qu’à voir le bilan de la précédente primaire écologis- te : on a traîné pendant 4 ans ce score de 2 %. Si Dany Cohn-Bendit était allé au bout de sa démarche il y a 5 ans, il aurait fait 10 ou 15 % et le mandat aurait un peu plus simple pour nous les écologistes. L.P.B. : Mais vous êtes toujours écologiste, vous qui avez quitté le groupe E.E.L.V. à l’Assemblée nationale ? E.A. : Mes convictions écologiques remontent très loin. Mes premiers frémissements écologistes, humanistes ont été avec Rousseau et Voltaire, ce qui m’a d’ailleurs amené à faire médecine. Et plus tard, j’ai découvert que de nombreuses mala- dies étaient liées à l’environnement, ce qui a ren- forcé mes convictions humanistes, écologistes, républicaines et de gauche. Alors oui, je suis tou- jours écologiste. J’ai appartenu aux Verts dès 1988. L.P.B. : Alors pourquoi quitter le groupe E.E.L.V. pour rejoindre un groupe “socialistes, républicains et citoyens” ? E.A. : C’est plutôt le groupe E.E.L.V. qui a explo- sé. Tout a commencé quand les deux ministres verts ont démissionné du gouvernement en 2014. La mésaventure Denis Baupin a fini de frac- tionner notre groupe. C’était devenu impossible de travailler dans ces conditions et sans groupe politique, on ne peut rien faire. C’est la raison pour laquelle nous avons rejoint ce groupe qui depuis notre arrivée s’appelle “socialistes, éco-

Élu pour la première fois à l’Assemblée nationale en 2012, Éric Alauzet brigue un second mandat en juin prochain. Pour la mairie de Besançon en 2020, “on verra plus tard” dit-il.

E.A. : Non, ce choix n’est pas lié à mon investi- ture mais principalement au fait que le parti auquel j’aspire n’existe pas. Je suis dans une période de transition et j’assume. Je ne veux pas chercher à creuser le fossé et je me dis que j’ar- riverai à maintenir de la cohésion autour du bilan et des idées que je défends. L.P.B. : Vous pensez que vos électeurs vont y comprendre quelque chose ? E.A. : Je pense que les électeurs se fichent com- plètement de ces considérations d’appareils poli- tiques. Les gens me connaissent, ils savent que j’ai un parcours cohérent, rectiligne, que je suis assidu dans mon travail de parlementaire. Ils jugeront là dessus. L.P.B. : Le salut d’un candidat passe-t-il forcément par son appartenance à un parti ? E.A. : Les partis sont complètement déconsidé- rés, d’ailleurs quels qu’ils soient. Ce n’est pas que le cas d’E.E.L.V. Pour autant, on ne fera jamais de politique en France sans partis poli- tiques, c’est ainsi. C’est dans nos institutions et dans notre culture. Ceux qui veulent s’inscrire hors des partis captent peut-être un certain inté- rêt en ce moment mais ce genre de phénomène peut très vite retomber. À l’exemple d’Emma- nuel Macron, je ne crois pas à ce genre de démarche. L.P.B. : Il y a un an, vous hésitiez à briguer un second mandat de député. Vous êtes bien candidat à votre propre succession ? E.A. : Oui, et avec beaucoup d’envie. Il y a un an en effet, j’ai ressenti une certaine lassitude, une fatigue.Aujourd’hui, le contexte fait que j’ai vrai- ment envie d’aller expliquer aux gens ce qu’on a fait, pourquoi on l’a fait, mais aussi ce qu’on n’a pas fait alors qu’on l’avait annoncé. Je veux jouer totalement la carte de la transparence. L.P.B. : Des choses qui n’ont pas été faites comme le fameux thème de la finance internationale et de l’évasion fiscale, votre cheval de bataille. Un échec ?

E.A. : Il y a eu de réelles avancées dans ce domaine et je me suis beau- coup battu sur cette question en effet.Mais nous sommes loin d’être allés jusqu’au bout car il y a des choses, hélas, qui dépassent nos pouvoirs. Il faut continuer à tra- vailler sur la manière de réguler cette folie du néo-libéralisme débri- dé. C’est très dur, c’est très long, mais on ne va surtout pas se rési- gner. Je veux aussi expliquer que sur le plan local, on peut agir : sur la construction, l’énergie, la mal- bouffe, l’épargne, avec des projets locaux. L.P.B. : Si on comprend bien, vous ne participerez pas aux primaires des éco- los, mais à celles de la gauche en sou- tenant le candidat vert François de Rugy. Il faudra donc ensuite soutenir le bilan du gouvernement sortant. Ou pas. La tâche s’annonce compliquée pour vous !

L.P.B. : La cacophonie des Verts au niveau national se retrouve également sur le plan local où le mouvement part en miettes. Cette situation vous chagrine ? E.A. : Sur le plan local déjà, c’est moins politisé et tant mieux. C’est à l’image des divisions qui touchent tous les partis. On verra par la suite si on peut reconstruire tout ça. Je demande jus- te au niveau local que tout le monde fasse les efforts de maintenir du lien et de la compré- hension mutuelle. Je m’emploie à cela. L.P.B. : Craignez-vous d’avoir dans les pattes un candi- dat P.S. aux législatives vu que les Verts sur le plan natio- nal ont décidé de présenter des candidats partout ? E.A. : Je trouve ce mot d’ordre national d’E.E.L.V. un peu suicidaire. Si on va devant les électeurs pour régler ses comptes, ce n’est pas la meilleu- re façon de les réconcilier avec la politique. J’en appelle à une prise de responsabilité collective, y compris sur le bilan de ce gouvernement, même pour des mesures mal vécues comme l’augmen- tation des impôts. Elle a été votée par toute la gauche, écologistes et frondeurs inclus. Quant au P.S., je ne pense pas que sur le plan national, comme sur le plan local, il ait envie de mettre quelqu’un en face de moi. Le problème se pose- rait plus au niveau du P.S. départemental… L.P.B. : Vous aurez donc le logo du P.S. sur vos affiches de campagne ? E.A. : La mode n’est pas à l’affichage des partis, mais, oui, par loyauté envers les forces qui me soutiennent, je l’aurai. L.P.B. : Si à l’issue de la primaire de la gauche, votre pou- lain François de Rugy n’est pas retenu et que François Hollande sort vainqueur, vous soutiendrez le président sortant ? E.A. : Je soutiendrai le vainqueur des primaires, quel qu’il soit. J’ai un paquet de reproches à fai- re à François Hollande, je l’expliquerai à tous ceux qui veulent des explications précises, mais je le soutiendrai si c’est lui. n Propos recueillis par J.-F.H.

“Je soutiendrai François Hollande si c’est le candidat.”

logistes, républicains et citoyens.” C’est un groupe politique à l’As- semblée, ce n’est pas un parti poli- tique ! L.P.B. : Mais pourquoi ne franchissez- vous pas complètement le Rubicon : démis- sionnez des Verts et rejoignez le P.S. ! E.A. : Cela ne fait plus de secret pour personne : je ne me sens plus du tout à l’aise dans mon parti. J’hé- site pourtant à le quitter parce que cela fait 28 ans que j’y suis, ce n’est pas facile de claquer la porte com- me ça. D’autant que le parti auquel j’aspire n’est pas le P.S. C’est un parti qui n’existe pas, celui d’une gauche écologiste moderne, une sorte de social-démocratie écolo- giste. Par conséquent, soit je reste à E.E.L.V., soit je poursuis seul, sans parti. Il est difficile aujour- d’hui de dire où je serai dans cinq mois. Mon travail et mon esprit d’ouverture font que j’espère au final avoir le soutien et d’E.E.L.V., et du P.S. L.P.B. : C’est une position purement élec- toraliste en vue des législatives !

”Le parti auquel j’aspire n’existe pas.”

E.A. : On constate que tout l’échiquier politique a glissé à droite en cinq ans. C’est le cas partout dans le monde, et en France. La gauche a glis- sé à droite, la droite à l’extrême droite. Les valeurs collectives s’effacent au profit des valeurs indi- viduelles qui montent. Ce virage à droite, y com- pris du gouvernement actuel, ne me convient pas. Sur certains points comme le C.I.C.E., la gauche a fait ce que la droite rêvait de faire mais n’avait pas fait ! Ceci dit, ce n’est pas forcément en changeant de président que cette tendance de fond va changer. Les gens sentent que les poli- tiques n’ont plus la main et c’est ça qui les débous- sole. Je prône en fait plus de fermeté au niveau international pour retrouver un peu de sens col- lectif et à l’inverse, sur le plan local, plus de liber- té et de souplesse pour créer de la richesse et de l’innovation, avec des circuits courts et une éco- nomie circulaire. Les choses sont beaucoup plus complexes, nos citoyens ont besoin de pédago- gie.

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