La Presse Bisontine 176 - Mai 2016

L’INTERVIEW DU MOIS

La Presse Bisontine n° 176 - Mai 2016

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SOCIÉTÉ

Le journaliste Christian Malard “Droite et gauche ont fermé les yeux sur les cellules islamistes”

Le journaliste Christian Malard puise ses anecdotes de ses rencontres avec les grands chefs d’État de ce monde. Consultant diplomatique et éditorialiste pour C.N.N. et i24News, le Bisontin de naissance anime une conférence-débat sur “la poudrière moyen-orientale” jeudi 28 avril à la Cité des arts.

L a Presse Bisontine : jeudi 28 avril, vous évo- querez à l’auditorium de la Cité des arts de Besançon un sujet d’actualité : “La poudriè- re moyen-orientale”. Quelle légitimité avez-vous pour parler d’un thème si sensible ? Christian Malard : Durant ma carrière de jour- naliste, j’ai interviewé 41 chefs d’État dont la quasi-totalité de ceux du monde arabe, à l’exception de Saddam Hussein, du roi Mohammed VI du Maroc et du président yéménite. J’ai rencontré tous les premiers ministres israéliens, Bachar El Assad à partir de 2009 jusqu’à 2011 et bien avant, son père Hafez El-Assad, mais aussi le roi Hussein de Jordanie, sept présidents amé- ricains dont GeorgesW. Bush (quatre fois) mais aussi Vladimir Poutine trois fois. Je suis sans doute celui qui a le plus inter- viewé Hosni Moubarak que j’ai rencontré 29 fois de 1979 à 2009… L.P.B. : En 40 ans de radio et de télévision à Fran- ce 3, vous avez donc vécu et beaucoup entendu de choses “off”. Désormais, estimez-vous avoir une liberté de parole pour parler de la situation au Moyen-Orient ?

L.P.B. Permet-elle de comprendre la position de Vladimir Poutine et de la Russie dans le conflit syrien ? C.M. : Oui. Nous sommes en pleine révolu- tion syrienne. François Hollande reçoit à l’Élysée Vladimir Poutine pour lui deman- der un appui. Poutine dit “niet”. Il dit ceci : “Vous les Occidentaux êtes bien gentils : regardez les bêtises que vous avez com- mises. Vous avez lâché Moubarak : du coup, on se retrouve avec les Frères musulmans. Niet. Vous avez fait tomber Ben Ali : on a Enarda. C’est niet. Vous avez mis Khada- fi dehors, regardez le chaos. Niet. Et main- tenant vous me demandez de lâcher Bachar El-Assad ! Il n’est pas parfait mais je regret- te, j’ai mes intérêts stratégiques en Syrie avec un point d’ancrage de ma flotte à Tar- tous qui me donne accès à la Méditerra- née. Vous me demandez de choisir entre la peste et le choléra : je préfère la peste !” L.P.B. : La coalition a commis des erreurs, certes, mais cela n’explique pas la montée de Daech ! C.M. : La plus grande erreur vient du pré- sident américain et deValéry Giscard-d’Es- taing lorsqu’en 1979, au sommet de la Gua- deloupe, ils décident de lâcher le chah d’Iran pour jouer Khomeini. L’Iran a été le can- cer et les métastases sont là. Khomeini a fait des petits-enfants avec le Hesbollah qu’il a financé et le jihad. L.P.B. : L’interventionnisme américain en Irak a fait le reste… C.M. : En mettant un coup de pied dans la fourmilière en Irak, on a créé Daech avec l’appui de l’ancienne police de Saddam, chiite. On paye le contrecoup des erreurs commises. L.P.B. : N’est-ce pas facile de juger après les évé- nements tragiques en France et en Belgique ? C.M. : L’histoire des islamistes, voilà 12 ans que j’en parle. Lorsque j’étais à France 3 en tant que responsable du service étran- ger de la chaîne, je proposais des sujets sur ce thème. Certains confrères critiquaient ce choix car ils ne voyaient pas le danger. Je pense aujourd’hui à eux et je me dis : “pauvres gens.” Je reproche également à la gauche comme à la droite d’avoir fermé les yeux pendant tant d’années sur l’exis- tence des cellules islamistes dans toute la France. On connaît aujourd’hui les rami- fications entre le réseau de Molenbeek et des banlieues parisiennes. Depuis 2004, la lutte anti-terroriste savait que des liens se nouaient. J’accuse nos politiques d’avoir été irresponsables sans doute pour pré- server, pensaient-ils, la paix sociale ! On en paye le prix fort. L.P.B. : Vos discours ne sont-ils pas instrumenta- lisés ? Comment vivez-vous cette exposition ? C.M. : Le problème israélo-palestinien est tellement sensible que lorsque vous dites un mot, il peut être interprété par les deux camps. On peut vous critiquer. L.P.B. : Comment un Bisontin qui passa son enfan- ce avenue Clemenceau est-il arrivé à côtoyer les grands décideurs de ce monde ? C.M. : Je suis parti de Besançon après mes années à la faculté Mégevand. J’étais assez bon en anglais et en langues mortes. J’ai intégré la Queen’s university au Canada

Biographie

l 1949. Naissance à Besançon. 1979. Il débute sa carrière de journaliste comme chroniqueur sur RTL avec le soutien de Philippe Bouvard. l 1987 : il participe à l’aventure de La Cinq. Il entre à la rédaction en tant que chroniqueur politique étrangère. Il couvre la guerre du Golfe depuis Washington. l 1992. Il rejoint FR3 où il dirigera le service étranger de la chaîne publique. l 2013. Sur la chaîne israélienne i24news, Christian Malard anime l’émission Tout est politique en duo avec le journaliste Michaël Darmon, chef du service politique d’iTélé. Il collabore pour C.N.N. Le journaliste a également écrit deux livres : “Sucré d’État : Mémoires du pâtissier français de la Maison-Blanche”, Flammarion, février 2006 et “Dans les secrets des maîtres du monde”, Éditions de la Martinière, 2012. l

“On paye le contrecoup des erreurs commises.”

C.M. : J’estime à 66 ans avoir le recul pour me permettre de commenter une situation que je connais parfaitement. Je peux commettre des erreurs mais j’ai vécu trois ans en Iran lors de la Révo- lution (il fut l’un des rares journalistes à participer au retour de l’ayatollah Kho- meiny en Iran à bord d’un avion dans son pays… le 2 février 1979). L.P.B. : Le public présent doit-il s’attendre à un cours magistral ou bien à ce que vous dévoiliez des anecdotes vécues avec les grands de ce monde ? C.M. : Je raconterai des anec- dotes bien sûr comme l’en- trevue de juin 2012 entre François Hollande et Vladi- mir Poutine à Paris. L.P.B. : Qu’a-t-elle de si particu- lière ? C.M. : Je dévoilerai ce que m’a révélé Dimitri Peskov, diplo- mate russe actuellement secrétaire de presse du pré- sident.

Spécialiste du Moyen-Orient, le journaliste Christian Malard est de retour dans sa ville natale pour une conférence-débat.

(de 1972 à 1974) en étant détaché de l’uni- versité Paris IV Sorbonne. C’est donc au Canada que j’ai débuté le journalisme en radio. Lorsque je suis rentré en France, j’ai fait des demandes de stage à Europe 1, radio pour laquelle mon père (Jean) colla- borait. Finalement, RTL m’a retenu. L.P.B. : Votre premier scoop est arrivé assez vite… C.M. : C’était durant l’affaire du Waterga- te (1974). Vu que je parlais couramment anglais, j’ai réussi deux coups en inter- viewant deux conseillers du président amé- ricain Nixon. J’ai eu Georges Penchenier, Jacques Paoli et Philippe Bouvard comme mentors. En 1987, j’ai participé à l’aven- ture de la 5 (jusqu’à sa disparition en 1992). Puis, j’ai rejoint France 3. J’ai désormais une vie de retraité…mais je peux travailler en tant que consultant diplomatique et édi- torialiste pour i24news, j’ai beaucoup de travail. Nous sommes une équipe soudée avec Paul Amar et Jean-Charles Banoun. L.P.B. : Votre maman et une partie de votre famil- le vivent encore à Besançon. C.M. : Je suis attaché à cette ville que j’ai-

me. Ma mère et ma sœur y vivent encore. Mon père est décédé en 1996 : il fut un des premiers à avoir libéré la Citadelle le 8 sep- tembre 1944 et fit partie des premiers éclai- reurs. Il était dans le respect des personnes. Je tiens de lui. L.P.B. : Avez-vous suivi la guéguerre Besançon- Dijon ? C.M. : Je défendrai toujours Besançon qui a de nombreux atouts. Le mépris qu’a eu le maire de Dijon, ça ne paye pas. Nous avons des talents àBesançon : je pense par exemple au chanteur Lilian que j’affectionne parti- culièrement. Je dis “vive Besançon.” L.P.B. : Pourquoi avoir répondu positivement à l’in- vitation du Lions Club Citadelle Besançon et de Laurent Bloch, l’organisateur de ce débat, sachant que les bénéfices iront aux enfants polytraumati- sés des Salins de Bregille ? C.M. : Le problème du handicap me touche dans son ensemble. J’ai moi-même un fils handicapé moteur, Christophe, qui est une source de bonheur qui m’apprend à rela- tiviser les choses de la vie. n Propos recueillis par E.Ch.

Jeudi 28 avril, à la Cité des Arts

O rganisée par le Lions Club Besançon Citadelle de Besançon, la conférence-débat “La poudrière moyen-orientale : le pour- quoi de cette situation explosive, les conséquences et perspecti- ve d’avenir” se déroule jeudi 28 avril à 20 heures à l’auditorium du Conservatoire du Grand Besançon (Cité des Arts - 12, avenue Gaulard à Besançon). “Les fonds récoltés seront versés aux enfants polytraumatisés des Salins de Bregille à Besançon. Nous finan- çons chaque année des opérations locales” explique Laurent Blo- ch, président du Lions Citadelle composé de 25 membres.

Contact : lionscitadelle@gmail.com - Tarif : 12 euros

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